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Image : http://ilemauricekaya.free.fr/oly_k/lammystik/lammystik03ratsitatane_lucien_brey.jpg

 

Personnage historique et légendaire dans la culture des Mascareignes, chanté par le ségatier Kaya, héros d’une pièce d’Aziz Asgarally, Ratsitatane ou Ratsitatanina entre dans le roman Révolutions de J.-M.G. Le Clézio qui le présente comme « un fils de grand chef de la Grande-Terre » (R, 434) poursuivi et capturé par les chasseurs de « marrons » à l’île Maurice dans les années 1821-1822. Les recherches historiques relèvent les incertitudes et les théories variables concernant les divers épisodes de la vie de ce héros de la lutte contre l’esclavage. Selon Issa Asgarally, ces incertitudes sont inévitables « en raison du manque de plusieurs documents » (De L’Esclavage, 2005, 37). Des lacunes qui laissent toute latitude à l’imagination du romancier pour donner une autre vision du personnage et nourrir la légende.

Les recherches historiques sur la vie de Ratsitatane soulignent son appartenance à la noblesse. Ratsitatane était un prince malgache : neveu de Radama Ier, roi de Madagascar et fils d’Andriamambavola (Ministre de Radama), il avait été exilé à Maurice en 1821 pour avoir tenté de tuer James Hastie, l’agent britannique auprès de Radama. Selon Issa Asgarally (33), les motifs de cette tentative de meurtre seraient liés à l’honneur et à la loyauté envers son oncle. Ratsitatane tenait Hastie pour responsable des pertes en hommes de Radama Ier lors d’un combat. Néanmoins, comme le souligne Larson, il existe plusieurs hypothèses concernant les raisons de son exil (2008, 329-330).

Dans un premier temps, Radama Ier a ordonné la mort de Ratsitatane à Tananarive, puis abandonné ce projet par crainte d’une révolte populaire et choisi de l’envoyer en exil à l’île Maurice qui, rappelle Larson, était alors un centre pénal pour l’Inde britannique. Le 24 décembre 1821, accompagné par Hastie, Ratsitatane a rejoint Maurice en bateau et il a été incarcéré au bagne de Port-Louis le 3 janvier 1822 dans l’attente d’être déporté vers l’île Rodrigues.

En prison, Ratsitatane a été placé dans les mêmes conditions que les esclaves en dépit de son enregistrement comme un « noir malgache », noble commandant militaire à Madagascar. Conscient du sort qui l’attendait, il a choisi de s’évader pour retourner à Madagascar. Selon Issa Asgarally, son évasion aurait pu avoir lieu « dans la soirée du 17 et 18 février, sans doute après 19 heures » (32). Échappé du bagne, Ratsitatane s’est réfugié dans les bois de la montagne Le Pouce où d’autres Malgaches, suivis de plusieurs esclaves et « apprentis », l’ont rejoint. Après sa capture le 20 février, facilitée par la trahison de Laizafy, l’apprenti d’origine malgache qui, avec un drapeau blanc, avait averti Monsieur Orieux, responsable de la chasse aux Marrons, il a été emprisonné, avec 40 esclaves et apprentis, durant les deux mois de délibérations avant le procès. Finalement, Ratsitatane et cinq de ses compagnons ont été jugés coupables d’avoir planifié une révolte sur la ville de Port Louis. Condamné par le Gouverneur Farquhar à être guillotiné, ainsi que La Tulipe et Kotolovo, Ratsitatane a trouvé la mort le 15 avril sur la Plaine Verte de Port Louis. Larson fait référence au témoignage du Chef de Police Edward Byam qui rapporte les détails de son exécution : « Ratsitatane a été mené à l’échafaud en dernier et a jeté un regard ferme et sans crainte. Le bourreau a dû donner trois à quatre coups aux autres victimes avant qu’elles ne meurent. Ratsitatane a tremblé en voyant les corps de ses compatriotes, mais il s’est redressé, s’est avancé vers le bloc et a posé sa tête en insistant sur le fait qu’il n’était pas coupable du crime. Sa mort a été annoncée par un coup de feu et un drapeau rouge a été levé. » (notre traduction).

Le rappel de ces évènements historiques livre un point de vue officiel qui ne peut définir l’homme Ratsitatane. En offrant la transposition romanesque de cette histoire dans le récit second intitulé « Kilwa », l’auteur de Révolutions permet au lecteur d’avoir accès à la fois aux rapports de William Stone – clerc principal, placé sous le commandement du Capitaine F. Rossi à l’île Maurice en 1822 – et à une perspective plus humaine et intime par le récit de la jeune esclave africaine, Kiambé, que le chef malgache protège et qui devient sa femme. Répondant à la nécessité de convoquer « toutes les mémoires » (Glissant, 2009, 177), l’emploi de la voix narrative à la première personne, utilisée aussi bien pour l’esclave que pour la transmission du document officiel écrit par un témoin oculaire, assure l’égalité de statut et la complémentarité du récit romanesque et du témoignage historique.

C’est par la voix de Kiambé que l’humanité de Ratsitatane est d’abord présentée dans un récit qui tisse les détails de la vie personnelle avec les références historiques. Bien avant sa mort, Ratsitatane est décrit comme le héros d’une double légende, celle d’un guerrier et d’un libérateur. Kiambé met en lumière son rôle de leader indomptable : « [...] ce nom résonnait comme un tambour de guerre. Avec lui il a une armée, les esclaves de Villebague, de Grande Rosalie, Belle Vue, de l’Embarras à Crève-Cœur [...] ils sont là-haut dans la montagne, ils vont descendre et libérer tous les Noirs […] » (R, 434). Dans un contexte de crainte et de désespoir, l’homme Ratsitatane incarne l’espoir de la liberté pour le peuple avec lequel il vit. L’héroïque combattant que décrit Kiambé apparaît aussi pacifiste et guérisseur. Elle le présente comme un être généreux et un homme de réflexion. Elle met enfin l’accent sur le charisme de ce « personnage mythique » (Sohy, 205) : ses gestes sont ceux d’un saint homme qui pose ses mains sur la tête de la jeune femme pour lui transmettre sa chaleur (R, 456-458). Aux termes violents utilisés dans les récits officiels des hommes de pouvoir pour décrire les esclaves, la voix de Kiambé oppose l’image d’un homme et d’un chef plein d’humanité.

Toutefois, nous notons que si le rapport officiel de William Stone, reproduit en italiques dans le texte, mentionne la totalité des faits connus de l’histoire de Ratsitatane (R, 430-443 ; 478-482), il contribue également à renforcer la dimension spirituelle et légendaire du personnage. Stone décrit Ratsitatane comme un homme dont la force morale lui permet de sublimer la souffrance de l’emprisonnement et de préserver sa liberté, sa dignité : « Je reconnus Ratsitatane sans peine car malgré les épreuves des jours passés à fuir dans la montagne, il ne se tenait pas dans la posture humiliée des esclaves fugitifs, mais il était debout fièrement et son visage portait l’expression orgueilleuse d’un homme qui n’a jamais cessé d’être libre. » (R, 442) D’autre part, le dernier rapport officiel du 15 avril 1822 de William Stone inclut une certaine émotion absente du témoignage du chef de police Edward Byam pour relater la mort héroïque du chef malgache : « Le premier qui monta sur l’échafaud fut le chef Ratsitatane qui montra un grand courage et sans prononcer une parole posa lui-même la tête sur le billot. Le soldat de la garde noire nommé André Bamba, qui s’était porté volontaire, trancha la tête avec sa hache, mais soit par maladresse, soit à cause de la crainte que lui inspirait le prisonnier, il dut s’y reprendre à trois fois avant que la tête de Ratsitatane ne roule sur le plancher. » (R, 481)

​​  Ainsi dans Révolutions, Le Clézio apporte un complément aux documents d’archives. Par un discours polyphonique où coexistent le savoir officiel et la sensibilité, l’imagination, il fait du personnage historique une figure mythique, héraut de valeurs chères à l’auteur : la défense des opprimés, la conquête de la liberté, le métissage comme avenir inéluctable du monde.

 

Martha Van der Drift

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BYAM, Edward, « Minute by His Excellency the Governor », Réduit, 28 February 1822, MNA RA 216, document 36 ; GERBEAU, Herbert et Issa Asgarally et Jean-François Reverzy, De L’Esclavage, Grand Océan, 2005, p. 32-39 ; GLISSANT, Edouard, Mémoires de l’Esclavage, Paris, Gallimard, 2009, p. 176-177 ; ISSUR, Kumari, « Entre Histoire et Fiction : Le Clézio sur les traces du passé mauricien », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, numéros 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 83-94 ; LARSON, Pier M. « The Vernacular Life of the Street : Ratsitatania and Indian Ocean Créolité », Slavery and Abolition, Vol. 29, No. 3, September 2008, p. 327-359 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Révolutions, Paris, Gallimard, coll « Folio », 2004, p. 430-443, 478-482 ; LOHKA, Eileen, La Femme, cette inconnue. Isle de France, terre des hommes, Maurice, L’atelier d’écriture, 2013, p. 264-267 ; SOHY, Christelle, « La Représentation de l’Esclavage dans Révolutions », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, numéros 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 201-213.

 

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