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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Nous sommes en 1948. La Deuxième Guerre mondiale est de récente mémoire. Les empires coloniaux tirent à leur fin même si de nombreux colonisateurs ne semblent pas encore le savoir. Geoffroy Allen, agent de la United Africa Company à Onitsha, a invité sa femme italienne Maria Luisa (Maou) à venir le rejoindre en compagnie de leur fils de douze ans, Fintan, qu’il n’a jamais vu. La ville commerciale d’Onitsha sera le lieu de rencontre de trois visions imaginaires distinctes de l’Afrique. Pour Maou c’est une vaste forêt évoquée par les lettres de Geoffroy : une « forêt sombre comme la nuit, habitée par des milliers d’oiseaux. » (O, 32). Onitsha était à ses yeux un lieu où « tout serait différent, tout serait facile » (O, 31). Pour son fils c’est un nouveau monde à explorer, un monde où il pourra éluder la tyrannie d’un père inconnu qu’il n’a pas envie de connaître. Pour Geoffroy, l’Afrique est le long chemin d’un rêve épique inspiré par la destruction, au troisième siècle de notre ère, de la ville ancienne de Meroë. Il est convaincu que la reine de Meroë a mené son peuple dans une grande migration transcontinentale aboutissant à la fondation d’une nouvelle civilisation. Quand il fait la connaissance des Aros du sud-est du Nigéria, il est convaincu que leur langue et leur culture portent la trace d’une religion égyptienne apportée par les réfugiés de Meroë.

Geoffroy sera chassé de son poste par les autorités coloniales et Fintan sera obligé d’arriver, à l’âge adulte, en Angleterre, témoin à distance en 1968 de la Guerre du Biafra, guerre de sécession manquée qui voit le peuple igbo réduit à la famine. Mais son témoignage, ainsi que celui de ses parents, n’en révèlent pas moins un milieu géopolitique complexe où entrent en jeu de nombreux thèmes chers à Le Clézio. Le rôle du sacré dans l’histoire des peuples transparaît dans la mémoire de Meroë, dans l’histoire de la profanation de l’Oracle d’Aro Chuku par l’armée britannique en 1902 ; ou encore dans les remarques de Bony (jeune ami nigérien de Fintan) sur le caractère sacré des aigles et des termitières, et dans le mystère de la femme apparemment muette, Oya, qui représente à la fois les victimes de l’oppression coloniale et la résistance de peuples refusant de disparaître.

Dans ce monde angoissé où sévit une présence coloniale qui ne comprend guère la culture et la société qu’elle prétend administrer, la famille commence à se séparer. Geoffroy essaie en vain de se faire à la présence de sa femme bizarre et exotique aux yeux des Anglais d’Onitsha. À partir du moment où Maou dénonce publiquement l’abus des « forçats » africains que le District Office Gerald Simpson emploie cruellement à construire une piscine, elle n’est plus la bienvenue au sein du petit cercle ridicule des colons. Geoffroy comprend la consternation de sa femme mais il n’a pas le courage de confronter ses collègues. Maou essaie d’aimer son mari tout en détestant le système pour lequel il doit travailler. Abandonnée la plupart du temps par son mari et son fils, elle se lie d’amitié à des femmes nigérianes. Fintan cherche la compagnie de Bony pour fuir celle de ses parents et se forger des racines au sein d’un peuple qu’il préfère aimer. Il sera dérouté quand Bony l’associe aux Blancs qui oppriment sa famille. Mais plus Geoffroy, Fintan et Maou se séparent, plus ils se retrouvent, à mesure que leurs expériences les réunissent dans un rêve qu’ils partagent : le rêve de connaître l’Afrique.

Une structure narrative onirique

 

L’aspect onirique d’Onitsha n’est pas seulement la conséquence de références explicites aux rêves, bien qu’il y en ait plusieurs. On a l’impression de rêver les yeux ouverts en lisant ce récit à cause d’une focalisation multiple subjective et personnelle. Dès que le Surabaya, navire de la Holland Africa Line, s’approche de la côte africaine, nous voyons tout à travers la vision de Fintan et de Maou. Plus tard, Geoffroy cherche à expliquer dans un langage à la fois érudit et délirant les balafres sur le visage des commerçants aros comme des symboles sacrés égyptiens. Tout semble réel à ces personnages dans un monde qu’ils comprennent pour la première fois, et à peine. Fintan commence au bord du Surabaya à rédiger un récit qu’il appelle « Un long voyage », alors qu’en fait le roman de Le Clézio compose plusieurs voyages initiatiques oscillant entre découverte et hallucination. Ainsi par exemple, lorsque Fintan commence à réfléchir sur le rêve de son père au sujet de la reine de Meroë, « il essayait d’imaginer cette ville, au centre du fleuve, cette ville mystérieuse où le temps s’était arrêté. Mais ce qu’il voyait, c’était Onitsha, immobile au bord du fleuve, avec ses rues poussiéreuses et ses maisons aux toits de tôle rouillée » (O, 135). Non seulement Fintan reconnaît le rêve de son père, il veut y participer même quand ses propres expériences ne s’y accordent pas. Selon Karen Levy, Geoffroy et Fintan sont « tous les deux incapables de reconnaître leur rôle dans la construction du mythe qui les obsède » (Levy, 1998, nous traduisons).

Sur cet ensemble de visions délirantes plane le regard ambigu du colon renégat Sabine Rodes. Ce personnage inquiétant se moque autant de Maou que des Anglais de la communauté coloniale. Il échoue dans ses efforts pour manipuler ses protégés africains Okawho et Oya mais se permet de prédire la fin de l’empire colonial. Il joue le rôle de père de substitution pour Fintan éloigné du père biologique, tout en attirant sur lui-même la haine de Maou. L’auteur donne à Rodes le dernier mot quand sa mort dans la guerre du Biafra est annoncée à Fintan à la fin du livre : « il s’appelait Roderick Matthews […] officier de l’Ordre de l’Empire Britannique » (O, 289). Étant donné que c’est lui qui avait suggéré à Geoffroy l’idée de suivre la trace de la reine de Meroë (O, 197), on peut dire qu’il a la fonction de destinateur. Il envoie Geoffroy à la recherche d’un objet désiré élusif et illusoire, met en relief la naïveté morale de personnes comme Maou qui rêvent d’une fraternité entre colonisé et colonisateur, et lègue à Fintan un sens de la perte qui fait du pays colonisé un objet désiré dont le monde moderne l’a privé mais qui reste enfoui dans sa mémoire.

Dans une lettre à sa petite sœur née au moment où la famille a dû quitter le Nigéria, Fintan dit : « Maintenant, il ne reste plus rien de ce que j’ai connu » (O, 275). Mais il n’en affirme pas moins : « Je n’ai rien oublié, Marima. Maintenant, si loin, je sens l’odeur du poisson frit au bord du fleuve. […] Est-ce que tout cela doit disparaître à jamais ? » (O, 279). Alexia Vassilatos considère qu’Onitsha se construit à partir de réseaux denses de souvenirs perpétuellement reconstitués sous forme de sensations (Vassilatos, 2013, 66). Le contraste angoissant entre ces réseaux et leur dépassement fatal renforce la qualité onirique d’Onitsha et la ténacité de sa vision du monde postcolonial. Fintan lègue à sa sœur ses souvenirs d’une terre qu’il ne reverra plus « comme ce train d’images qu’on dit que les noyés entrevoient au moment de sombrer » (O, 280).

Un livre inclassable

 

Comme ouvrage de littérature-monde en français, Onitsha demeure énigmatique et inclassable. Ouvrage de langue française, il représente un ensemble de cultures africaines, capté dans un contexte colonial anglais. Il présente un aspect autobiographique marqué, Le Clézio lui-aussi ayant passé plusieurs années au Nigéria à partir de l’âge de huit ans. Toutefois, la publication ultérieure d’un ouvrage plus ouvertement autobiographique, L’Africain, souligne la part de l’imaginaire dans la conception d’Onitsha. Alexia Vassilatos voit Onitsha comme un « alternative genre », occupant les marges où prose et poésie sont intégrées dans la pensée délirante des personnages (Vassilatos, 2013, 66). Onitsha condamne les méfaits du colonialisme sans renoncer facilement aux rêves suscités par l’aventure coloniale. On peut comprendre pourquoi la forme narrative onirique convient à ce récit qui glisse subtilement dans les interstices ambigus du postcolonial.

Que les quêtes multiples évoquées dans Onitsha révèlent un effort « pour dialoguer avec l’Autre et pour valoriser la culture africaine » comme le suggère Dauda Yilla (2008, 187), ou bien une « posture paradoxale, signe de singularité et de créativité » (Moudiléno, 2011, 79), la ville d’Onitsha et le voyage de la reine de Meroë resteront dans l’univers de Le Clézio des symboles d’un horizon intimement inconnaissable. Comme le titre de la dernière partie du livre – « Loin d’Onitsha » l’implique, ce récit a l’effet de nous rapprocher d’une certaine Afrique pour nous en éloigner.

 

Robert Miller

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ALSAHOUI, Maan, La Question de l’Autre chez J.-M.G. Le Clézio, Paris, Éditions universitaires européennes, 2011 ; BORGOMANO, Madeleine, Onitsha : J.-M.G. Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, 1993 ; « Onitsha, ou l’Afrique perdue de J.-M.G. Le Clézio », Les Cahiers Le Clézio, nos 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 95-105 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. ; Onitsha, Paris, Gallimard, 1991 ; L’Africain, Paris, Gallimard, 2005 ; LEVY, Karen, « Intersected Pasts and Problematic Futures : Oedipal Conflicts and Legendary Catastrophe in J.-M. G. Le Clézio’s Onitsha and Étoile errante », The International Fiction Review, 25.1 et 2, 1998 ; MILLER, Robert, « Onitsha ou le rêve de mon père : Le Clézio et le postcolonial », International Journal of Francophone Studies, 6.1, 2003, p. 31-41 ; MOUDILENO, Lydia, « Trajectoires et apories du colonisateur de bonne volonté : d’Onitsha à L’Africain, Les Cahiers Le Clézio, nos 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 63-82 ; ONIMUS, Jean, Pour lire Le Clézio, Paris, PUF, 1994 ; PIEN, Nicolas, Le Clézio, la quête de l’accord original, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 18-76 ; VASSILATOS, Alexia, « The Poetics of Sensation in J.-M. G. Le Clézio’s Onitsha », JLS/TLW 29.3, 2013, 60-81 ; YILLA, Dauda, « Envisioning Difference in Le Clézio’s Onitsha », French Studies, 62, 2008, p. 173-187.