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Bibliographie et abréviations
Auteurs

 

La première rencontre avec le dodo est l’image populaire d’un oiseau stupide devenu personnage du roman de Lewis Carroll Alice au pays des merveilles (1865). Il fut fortement inspiré par la peinture de Roelandt Savery (1589-1654) exposée au Musée de l’Université d’Oxford. Le dodo apparaît alors comme un animal assez gros et maladroit ne volant plus et se déplaçant assez lentement d’où le synonyme de didus ineptus que lui donnèrent les premiers savants qui le décrivirent.

Les îles Mascareignes (Maurice, Rodrigues et La Réunion) sont apparues au milieu de l’océan Indien au cours du Pliocène (10 millions d’années à l’actuel). Ce sont des formations volcaniques accessibles à des oiseaux migrateurs qui vont rapidement adopter cet environnement où s’épanouit une flore tropicale grâce à la richesse du sol et au climat. De plus, en l’absence de prédateurs, ces oiseaux vont rapidement s’adapter à une vie terrestre et progressivement leurs ailes vont s’atrophier et leur morphologie changer.

Aussi les premiers navigateurs qui arrivèrent sur ces îles, parlent-ils d’une sorte de paradis terrestre avec une multitude d’oiseaux peu farouches, faciles à approcher et bien sûr à attraper. L’arrivée de l’homme, malheureusement, sonne le glas de la disparition d’une grande partie de cette faune originale et endémique. Le solitaire de Rodrigues, le dodo de l’île Maurice et une variété de dodo de La Réunion appelée dronte, tous très vulnérables car ne pouvant plus voler, seront parmi les premiers exterminés.

Aujourd’hui, seul le dodo de l’île Maurice commence à être connu en dehors des Mascareignes, des études récentes ayant permis de préciser son mode de vie et les conditions de son extinction.

 

Le dodo de l’île Maurice

Le dronte ou Raphus cucullatus est une espèce d’oiseau endémique apparenté aux pigeons. Il ressemble à un gros dindon, vit dans les plaines ou les forêts. Tout comme le solitaire de l’île Rodrigues il descend de pigeons d’Asie en accord avec la plupart des oiseaux des Mascareignes, et appartient à la famille des columbidae. Cet animal ne fut décrit qu’en 1598 et disparut une centaine d’années plus tard à la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle. Son extinction rapide est attribuée à l’implantation de l’homme sur ces îles ; non seulement il fut chassé pour être mangé, mais les colons amenèrent des animaux nuisibles aux dodos comme les chats, les chiens, les rats, les singes et les cochons.

Parmi les premiers colonisateurs de ces îles les Hollandais le décrivirent comme un animal lent, ne fuyant pas l’homme, au plumage d’un bleu gris, avec des ailes atrophiées et un panache de plumes en guise de queue, des pattes jaunes avec de grands ongles, une tête plus sombre que le corps, terminée par un gros bec crochu. Ils lui donnèrent le nom de dodo qui étymologiquement proviendrait du néerlandais dodars signifiant paresseux, ou encore dodaars désignant ses fesses nouées. D’autres hypothèses sur l’étymologie du nom dodo furent proposées.

La connaissance de cet animal va un peu progresser au début du XXe siècle grâce aux travaux du naturaliste Paul Carié (1876-1930). Ce franco-mauricien a découvert un gisement riche en restes osseux de cet oiseau à la Mare-aux-Songes. En 2005 une nouvelle équipe internationale a de nouveau fouillé ce site et mis à jour de nombreux restes de cet oiseau, les principaux résultats et une partie du matériel récoltés sont au Muséum Naturalis de Leyde.

Des analyses génétiques confirment que le dodo et le solitaire de Rodrigues ont bien un ancêtre commun d’où ils auraient divergé depuis leur arrivée dans leurs îles. Mais le manque de données ne permet pas d’aller au-delà de leur appartenance à une famille de pigeons d’Asie du Sud. L’adaptation du dodo à l’écosystème insulaire fut déterminante dans son évolution.

Mais ce n’est que récemment (Delphine Angst et alii., 2017) qu’une étude originale a permis de préciser le mode de vie du dodo en relation avec le cycle des saisons. À partir d’analyses histologiques des os, de très nombreuses observations ont permis de se faire une idée plus précise de ces oiseaux.

Le dodo adulte devait mesurer un mètre et peser environ 10 kg. Son cycle de vie est étroitement lié à celui des saisons : à la période difficile des cyclones (novembre- mars), où le dodo reste inactif et se nourrit peu, son plumage se dégrade et il maigrit ; puis, au retour de la belle saison (avril-juillet), l’abondance en aliments lui permet de grossir, la mue se manifeste alors par un beau plumage, elle est suivie de la reproduction (août) puis de la ponte des œufs ​​ et de leur éclosion ​​ en septembre-octobre ; ​​ les jeunes doivent grandir et prendre des forces très vite avant la période des cyclones. Ce cycle peut également expliquer que, selon la saison, les dodos n’ont pas le même poids ni le même plumage, et que dans les fouilles on puisse retrouver des individus ayant disparu à différentes saisons expliquant les variations de leurs caractéristiques.

Le dodo de l’île Maurice vivait paisiblement au fil des saisons, il ne prit pas garde à l’arrivée de l’homme qui en un siècle parvint à le faire disparaître. Il est l’archétype de ce que l’on peut qualifier d’extinction anthropomorphe.

Malgré ces progrès dans la connaissance du dodo, de nombreuses questions restent en suspens et facilitent toujours le rêve et l’imagination lorsque l’on évoque cet oiseau, laissant le champ libre au romancier…

Éteint certes depuis la fin du XVIIe siècle, le dodo demeure néanmoins très vivant dans l'imaginaire et l'iconographie de son île Maurice endémique qui en a fait son emblème. Il figure sur les armoiries officielles du pays et survit sous diverses déclinaisons, du timbre-poste aux marques commerciales, sans compter les jouets, bijoux ou objets souvenir. Il tient une place importante dans les œuvres des peintres mauriciens Malcolm de Chazal et Vaco. Son squelette, provenant d'un seul oiseau et collecté par E.Thirioux en 1900, est la pièce maîtresse du Musée de l'Institut de Maurice.

 

Le dodo du Muséum de La Rochelle

 

Le Muséum de La Rochelle fait partie des rares établissements, avec L’Institut de Maurice à Port-Louis, à posséder un squelette du dronte de l’île Maurice plus connu sous le nom de dodo. Il est d’ailleurs accompagné d’un spécimen sculpté qui est la fidèle réplique de celle réalisée en 1901 au Muséum d’histoire naturelle de Paris sous la direction du professeur Émile Oustalet.

Ces deux représentations du dodo sont arrivées au Muséum à différentes époques. Le squelette a été acheté en juin 1932 auprès de l’Établissement Émile Deyrolle, spécialisé en taxidermie depuis 1831 et devenu fournisseur principal de musées et établissements scolaires. C’est Étienne Loppé alors conservateur et directeur du Muséum de La Rochelle qui négocia cet achat pour 4000 francs (soit environ 650 €).

Ce squelette vient du célèbre site de la « Mare aux ​​ Songes » au sud-est de l’île Maurice, connu comme le site le plus important pour les vestiges du dodo. Il a été monté à partir d’os d’un individu auxquels ont été rajoutées une quinzaine de parties reconstituées à partir de pièces originales de squelettes du Musée de l’île Maurice.

 

Squelette du Muséum de la Rochelle

Nomenclature détaillée des parties reconstituées du squelette :

 

  • ​​ Maxillaire supérieur

  • ​​ Partie postérieure du crâne

  • ​​ Os carrés

  • ​​ Arcades

  • ​​ Axis

  • ​​ 14ème et 18ème vertèbres

  • ​​ Côtes

  • ​​ Coracoïdiens

  • ​​ Omoplate gauche

  • ​​ Humérus

  • ​​ Radius

  • ​​ Cubitus

  • ​​ Métacarpien et phalanges des ailes

  • ​​ Péronés

  • ​​ Phalanges des pattes

La sculpture du dodo rochelais a rejoint les réserves.

 

À proximité ​​ du squelette, le spécimen sculpté laisse imaginer ce qu’était ce dodo ressemblant à un gros dindon coloré. Il est arrivé au Muséum de La Rochelle en 2002, donné par le Muséum d’Orléans qui possédait, vraisemblement depuis plusieurs décennies, cette réplique de celui du Muséum de Paris. Voilà pourquoi, dans le roman de Le Clézio, Alma, Jérémie Felsen, l’ethnologue parti à Maurice sur les traces de l’oiseau disparu, songe à déposer « au Musée de La Rochelle ou au Muséum d’histoire naturelle de Paris [...], à côté du squelette rafistolé du gros oiseau » (A, 302), « la pierre de gésier » (un caillou gros comme un œuf de pigeon) trouvée par son père près de Mahébourg.

 

Le dodo dans Alma

 

Le Clézio, qui se documente avant d’écrire, comme en témoigne la bibliographie à la fin du livre, intègre ces données scientifiques dans son roman. Il s’appuie sur les rapports ou témoignages d‘époque (celui de Pierre André d’Haguerty, gouverneur de La Réunion, ou de Sir Thomas Herbert, voyageur et historien anglais du XVIIe siècle) pour donner à voir ce gros volatile : « les moignons d’ailes » (A, 187), le corps couvert d’un duvet bleu-gris, la croupe grasse ornée d’un plumet ridicule, la démarche lente et chaloupée d’un « bourgmestre ». Le roman rappelle certains aspects du mode de vie de l’oiseau : son aptitude à manger les pierres, voire le fer, la nidification au sol qui favorisait la destruction des œufs par les prédateurs apportés dans les navires, et même son cri, « un roucoulement grave et grinçant […] » (A, 40). Il décrit également l’exhumation des premiers ossements de Raphus Cucullatus à la Mare aux Songes, en1865, par le naturaliste britannique George Clark. ​​ 

Mais pour ce qui n’a pas laissé de traces, l’imagination et la rêverie de l’écrivain prennent le relais, faisant du dodo une créature à la fois romanesque, tragique et emblématique, à l’instar de son double humain : Dominique Felsen, dit Dodo, l’« admirable hobo » (A, 323). Imaginer la vie quotidienne de ces oiseaux qui ont été « les rois et les reines » (A, 88) de l’île, c’est « retourner au premier temps quand elle était encore neuve – neuve d’humains » (A, 81). C’est se représenter en images saisissantes les derniers jours des dodos, leur massacre par des marins affamés, « armés de tromblons et de gourdins, [qui] les tuaient par centaines jusqu’à ce qu’il ne reste que des os […] » (A, 45), décrit en des termes qui rappellent Le Rêve mexicain : « Encore quelques battements, quelques journées […]. Encore quelques nuits avant que l’ère des oiseaux s’achève. » (A, 90). Entre exhibition de phénomène de foire et registre tragique, J.M.G. Le Clézio consacre un chapitre à la lapidation du dernier spécimen de dodo à bord du bateau qui l’emmenait vers le cabinet de curiosité d’Edward Hebert, à Londres. Si les contemporains avaient noté la « mélancolie » de l’oiseau, Le Clézio en décrit de l’intérieur, dans une sorte de flux de conscience, la terrible agonie : l’environnement hostile, la solitude, le jet de projectiles, puis « la blessure mortelle, le vide de la mort au fond du corps » (A, 291), le bref défilé des images heureuses de sa vie dans l’île.

Par une succession de parallélismes, la disparition du dodo sert de fil rouge au roman. Sa destruction préfigure celle de la forêt et l’évolution inquiétante de l’île Maurice aujourd’hui livrée aux complexes touristiques. Son effacement rejoint l’oubli dans lequel sont tombés les esclaves qui ont contribué à la richesse sucrière de l’île, et dont l’auteur restaure la dignité par l’énumération de leurs noms dans les premières pages du livre. Les quelques oiseaux survivants réfugiés dans les broussailles pour échapper à la violence meurtrière des marins sont apparentés aux esclaves marrons. Le Clézio crée surtout le personnage de Dodo, dernier représentant de la branche maudite des Felsen, ces riches propriétaires du domaine Alma « à présent aussi éteints que l’oiseau lui-même, dead as a dodo » (A, 322). Également monstrueux et ridicule, également moqué, éloigné de son île, exhibé en homme-lézard, voué à la disparition dans la clôture d’un asile d’aliénés, Dodo, le « perdi bande », le « clochard magnifique » (A, 221), incarne au même titre que l’oiseau la fragilité des espèces, des lieux, des équilibres, sous l’action de l’homme, ce redoutable prédateur :

Dormez, gros oiseaux, gros dodos, glissez-vous dans les songes, fermez vos yeux au monde et entrez dans la préhistoire, vous les derniers habitants d’une terre qui n’a pas connu les hommes. (A, 90) ​​ 

 

Christian Moreau, Marina Salles

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Angst D.,  Chinsamy A.,  Steel L. &  Hume J.P.(2017). « Bone histology sheds new light on the ecology of the dodo » (Raphus cucullatus, Aves, Columbiformes). Scientific Reports 7 (1) :7993 ; CAROLL, Lewis, Alice’s adventures in Wonderland, édition originale, 1865 ; MONTAGNIONNI L et NATIVEL P, La Réunion, Ile Maurice, géologie et aperçus biologiques. Guides géologiques régionaux, Paris, Masson éditeur, 1988 ;

Site internet utilisé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dodo_(oiseau) ;  https://www.theguardian.com/science/2017/sep/13/life-in-the-old-bird-yet-study-of-dodo-bones-yields-new-biological-insights ; LE CLÉZIO, J.M.G., Alma, Paris, Gallimard, 2017.

 

REMERCIEMENTS

Nous remercions chaleureusement Lucille Bourroux, attachée de conservation du patrimoine, chargée de la bibliothèque scientifique du Muséum de La Rochelle qui nous a fourni toutes les informations utiles sur le Dodo de ce Muséum ainsi que les clichés du squelette et de la sculpture.