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Bibliographie et abréviations
Auteurs

 

Lorsqu’il publia Haï, en 1971, J.-M.G. Le Clézio n’imaginait sans doute pas qu’il s’approprierait un jour le Louvre. Lui qui fustigeait les musées, s’inscrivant ainsi dans une longue tradition d’écrivains selon lesquels les froides galeries de ces lieux ne sont que des mausolées d’œuvres arrachées à la vie, a pourtant accepté d’être le grand invité du Louvre, du 3 novembre 2011 au 6 février 2012. Parce qu’il avait été « [H]ostile à l’idée du musée pendant une grande partie de [s]a vie » (Le Point), l’on s’attendait à ce que Le Clézio fît de cette rencontre l’occasion d’un affrontement entre deux conceptions opposées de l’art. Si confrontation il y eut, elle fut positive. L’écrivain sut mettre en œuvre une forme de contestation créative à travers laquelle il réaffirmait les valeurs qui sont au fondement de son œuvre et la jalonnent : l’ouverture à l’autre, l’universalité de la conscience humaine dans ce qu’elle a de plus profond et de plus riche, le respect de la diversité et la nécessité de déconstruire les préjugés. Finalement, J.-M.G. Le Clézio fait de son voyage au Louvre le reflet, le chantre et, d’une certaine manière, l’aboutissement de sa pensée : en refusant l’orchestration traditionnelle du musée, il propose une nouvelle lecture de l’aventure artistique, au-delà des frontières esthétiques et culturelles.

Le Clézio écrit : « L’occident a inventé l’histoire de l’art comme une ligne droite qui irait du symbolisme primitif à l’idéal naturaliste des classiques. […] ». C’est donc à un « pas de côté » (Les Musées sont des mondes, 23) que nous invite l’auteur, pour établir une échelle horizontale de l’histoire culturelle. Il s’agit de contester une vision verticale selon laquelle l’humanité se serait élevée au fil du temps, notamment grâce aux progrès techniques, et dont a pu naître « [l’] idée malsaine et dangereuse » (ibid., 38) que certaines cultures seraient plus ou moins évoluées que d’autres, dans la ligne, pas toujours droite, du darwinisme. Lorsque l’écrivain choisit d’exposer des « pièces très anciennes, trouvées à Ifé, au Nigeria, au tout début du XXe siècle, par un ethnologue allemand, Leo Frobenius, qui se servit de leur ressemblance avec la statuaire grecque pour déduire abusivement que les Grecs anciens étaient allés en Afrique » (Télérama), il revient sur les injustices commises par la culture occidentale envers des peuples trop longtemps considérés comme primitifs, et qui auraient reçu de l’Europe leur richesse culturelle. Le Clézio refuse toute forme de hiérarchie et transgresse les distinctions entre art et artisanat, en exposant par exemple des nattes du Vanuatu, afin de « remettre en question la notion d’art telle qu’on la conçoit aujourd’hui en Occident » (Télérama). D’une manière légèrement provocante, il place ainsi notre culture face à ses préjugés.

C’est d’ailleurs le champ lexical de l’affrontement que choisit le directeur du musée, Henri Loyrette, pour qui l’écrivain fait « se confronter » des œuvres et en « met [d’autres] face à face » (Les Musées sont des mondes, 16). Et l’on peut encore lire dans le programme publié par le Louvre : « […] Le Clézio […] a choisi d’affronter la pluralité des œuvres […], il se confronte à l’universalité de ce musée monde qu’est le Louvre ». Telle ne semble pourtant pas être l’intention de J.-M.G. Le Clézio, qui explique : « Je préfèrerais qu’entre ces objets venus de loin et ceux conservés au Louvre, il y ait une rencontre, plutôt qu’une confrontation. Je le vois plutôt ainsi : le rapprochement entre deux attitudes esthétiques qui se complèteraient, l’une n’excluant pas l’autre […] » (Télérama). « [R]encontre », « rapprochement » et non affrontement : c’est bien ainsi qu’il faut comprendre la présence de Le Clézio au Louvre. Il applique ses valeurs d’ouverture et son esprit voyageur à sa collaboration avec le musée. L’abîme à franchir pour faire exister cette improbable rencontre entre l’imaginaire leclézien et le Louvre a sans doute attiré l’artiste. On lui proposait un voyage, l’univers muséal était un autre monde à rejoindre, à comprendre, à vivre, par-delà les différences. Comment cet écrivain de l’ailleurs aurait-il pu dire non ?

Le Clézio conçoit le musée comme un territoire commun, par-delà les frontières : « Il peut être […] le lieu – le No man’s land, ou bien la terre de tous – où se rencontrent les cultures. » (Les Musées sont des mondes, 24). Celles-ci ne sont pas « différentes », mais « complémentaires » car « toutes participent de cet ensemble qu’est l’humanité » (Télérama). Ce qui fascine Le Clézio, chez l’autre, c’est finalement qu’il soit si proche de lui, c’est la communauté, le partage, et non la différence, qui l’émerveillent et l’inspirent. Il aurait voulu juxtaposer les peintures révolutionnaires haïtiennes et celles de David et de Géricault (Le Point), car il s’agissait pour lui de montrer l’universalité des grands thèmes qui habitent l’art : l’amour, la mort, la révolte ; de manifester l’identité par-delà des différences formelles et la chronologie. Les « lowriders » des Chicanos expriment la même soif de justice sociale que les toiles de Sénèque Obin. En faisant entrer dans l’ancien palais royal, qui plus est dans la même salle que des ex-votos mexicains et un autoportrait de Frida Khalo, ces véhicules symboles de l’art et de la révolte populaires, Le Clézio rappelle au musée qu’il fut porté par des idéaux révolutionnaires, et met en œuvre une autre révolution, artistique, imprégnée des valeurs d’un nouvel humanisme. « Y a-t-il une relation de causalité entre l’art et la société ? […] Référence il y a, et surtout interférences, rencontres, métissages, mélanges ». (Les Musées sont des mondes, 39). Les sculptures de Camille Henrot exposées pour l’occasion naissent de l’union du monde moderne et des traditions ancestrales, de l’industrie occidentale et de l’art africain : elles matérialisent cette fusion des différences dans l’unique aventure de la création humaine.

Le Louvre, quant à lui, s’est toujours conçu comme un musée pluriel, rassemblant les arts, les époques, les cultures. En invitant Le Clézio, Henri Loyrette souligne « [l’] ambition universaliste » du Louvre, perpétue cette volonté d’ouverture et s’inscrit dans l’héritage des Lumières. Le musée accepte de mesurer ses limites, de remettre en question et de renouveler le regard qu’il porte sur lui-même et sur le monde : « [e]n écho aux propositions de J.M.G. Le Clézio, […] le Louvre s’interroge sur cette part de lui-même tentée depuis le XIXe siècle par la notion d’Universalité. […] Travailler avec J.M.G. Le Clézio […] c’est questionner la pertinence de nos collections, de nos choix, et l’idéalisation implicite du lieu […] » (Terrasse, 2011, 47). La démarche effectuée par le Louvre, en ce début de siècle, est signifiante : la culture ne peut plus se concevoir autrement que multiple et métissée, relative et commune, dans un mouvement perpétuel et universel de création et de recréation car « [l]’apparente logique des expressions est démentie à chaque instant, et ce doit être là le rôle des musées » (Les Musées sont des mondes, 38). En effet, si les œuvres d’art ont nécessairement un caractère historique, circonstancié, le musée permet de dépasser certaines contingences spatiotemporelles pour proposer la rencontre, voire la réunion, de diverses formes d’expression qui participent toutes de la culture universelle.

C’est pourquoi la logique de Le Clézio dans son appropriation du Louvre est celle de l’ouverture et du partage. Elle transparaît dans le programme choisi, qui instaure un dialogue entre les différentes disciplines artistiques et par-là même entre les artistes d’horizons divers. Musique, chant, danse, sculpture, photographie, cinéma, de fiction et documentaire : la manifestation embrasse la création sous toutes ses formes, dans une explosion artistique jubilatoire, une mise en abyme de notre épopée culturelle dans toute la richesse de ses expressions. La littérature trouve elle aussi sa place en renouant avec la tradition des conteurs : Charlotte Matansué fait revivre les légendes du Vanuatu, la poétesse innue Rita Mestokosho révèle aux élèves français la beauté et la richesse de sa culture. Grâce à ces artistes, mais aussi à travers des lectures, des représentations théâtrales, ou encore un questionnement autour de la préservation des écrits (Louvre), J.-M.G. Le Clézio fait entrer au musée un art littéraire vivant. C’est cette vivacité créative qui caractérise la rencontre de l’écrivain et du Louvre.

En effet, les œuvres choisies sont, elles aussi, une invitation au dialogue vital entre les arts et les cultures : Jacques Coursil rend un hommage musical à Édouard Glissant ; les dessinateurs Dupuy et Berberian s’inspirent des œuvres du Louvre et des écrits de Le Clézio pour créer sous les yeux du public une œuvre nouvelle ; une composition musicale électronique du groupe Bo’tox propose un nouveau regard sur La Passion de Jeanne d’Arc du réalisateur danois Carl Theodor Dreyer. Et l’on pourrait multiplier les exemples. Ces mots de Le Clézio à propos des musées s’appliquent parfaitement à sa collaboration avec le Louvre : « De [son] peu de logique, de [sa] fugacité, [elle] acquier[t] une vie nouvelle, une véracité, une fertilité […] » (Les Musées sont des mondes, 19). L’union du Louvre et de l’artiste devient une évidence, l’aboutissement parfait d’une œuvre dans laquelle l’ouverture à l’autre est reconnue comme la source de toute création.

Ainsi, par-delà les différences, les désaccords et les dérives, Le Clézio expose la richesse d’une seule et même aventure culturelle. Il fait de sa collaboration avec le Louvre l’occasion d’une véritable rencontre, non seulement entre le plus grand musée du monde et des œuvres qui n’étaient jamais entrées dans un tel lieu, mais entre les époques, les arts, les cultures et les savoir-faire. Au Louvre, l’écrivain réaffirme ainsi ses convictions esthétiques et humanistes d’une manière innovante, proposant une révolution artistique, pacifique. Parce que le musée est aujourd’hui « une matérialisation de la mémoire » (Les Musées sont des mondes, 24), il peut être un lieu « où l’on réfléchit », qui nous « met en état d’interrogation » (Le Point). Face à la férocité du monde, « que seul l’art contrôle parfois » (Les Musées sont des mondes, 38), la fonction du Louvre pourrait donc être salvatrice.

 

        Florence Pettelat

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

CROM, Nathalie, entretien « Les Musées sont des mondes », Supplément gratuit au numéro 3222 de Télérama daté du 12 octobre 2011, ​​ http://www.la-sofiaactionculturelle.org/2011/11/le-louvre-invite-j-m-g-le-clezio/, consulté le 01 décembre 2017 ; GARCIN, Jérôme, entretien « Le Clézio entre au Louvre », Bibliobs, 26-10-2011, https://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20111026.OBS3301/le-clezio-entre-au-louvre.html, consulté le 01 décembre 2017 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Haï, Flammarion, coll. « Champs », 1987 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Les Musées sont des mondes, Bernadac, dir., Paris, Gallimard-Musée du Louvre, 2011 ; MARIN LA MESLÉE Valérie, entretien Le Point « Les mondes de Jean-Marie Gustave Le Clézio », 01-11-2011, http://www.lepoint.fr/culture/les-mondes-de-jean-marie-gustave-le-clezio-01-11-2011-1391321_3.php, consulté le 01 décembre 2017 ; « Le Louvre invite J.M.G. Le Clézio – Le Musée monde », http://www.louvre.fr/progtems/le-louvre-invite-jean-marie-g-le-clezio, consulté le 01 décembre 2017 ; Mimoso-Ruiz, Bernadette , « Le Clézio, Le Louvre, le Mexique ou la révolution des arts populaires » in, Jauer Annick & Germoni Karine, dir., ​​ La pensée ininterrompue du Mexique dans l’œuvre de Le Clézio, Presses universitaires d’Aix-en-Provence, 2014, pp. 85-100 ; ROUSSEL-GILLET Isabelle (coord.), « Dossier J.-M.G. Le Clézio invité du Louvre » dans Les Cahiers J.M.-G. Le Clézio n°5, La Tentation poétique, Paris, Complicités, 2012 ; TERRASSE, Jean-Marc, « Rumeurs du monde, écho du musée », dans Les Musées sont des Mondes, Bernadac, dir., Gallimard-Musée du Louvre, 2011.