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Bibliographie et abréviations
Auteurs


L’Île Maurice avec les lieux le cléziens.

Carte élaborée par Jean-Claude Castelain.

 

Terre d’exil et d’élection de sa famille bretonne à la fin du 18e siècle, Maurice figure dans les romans et les nouvelles qui composent le cycle mauricien de l’œuvre de J.-M.G Le Clézio : Le Chercheur d’or (CO, 1985), « La saison des pluies », nouvelle du recueil Printemps et autres saisons (P, 1989), La Quarantaine (Q, 1995), Révolutions (R, 2003), Ritournelle de la faim (RF, 2008) et « Amour secret» dans Histoire du pied et autres fantaisies (HP, 2011), auxquels s’ajou-tent le récit Voyage à Rodrigues et le recueil Sirandanes, écrit avec Jemia. Il serait en fait plus juste de dire, comme le souligne Michèle Gazier, que Maurice « est partout présente dans l’œuvre littéraire de Le Clézio » (2010, 27). D’une superficie d’environ 1864 km2, l’île Maurice a été formée par des activités volcaniques sur le plateau des Mascareignes dans l’océan Indien. Le territoire mauricien comprend aussi d’autres îles dont certaines sont mentionnées par Le Clézio : les petites îles non habitées telles que l’île Plate, l’îlot Gabriel, l’île aux Serpents, le Coin du Mire, et les îles peuplées comme Rodrigues, Agaléga et Saint Brandon. Dépourvue de peuple autochtone, Maurice a été colonisée par les Hollandais (1598-1710) qui lui donnèrent son nom « Mauritius » en l’honneur de leur stathouder Maurits Van Nassau, puis par les Français (1715-1810) qui la rebaptisèrent « Isle de France », et enfin par les Britanniques (1810-1968) qui lui redonnèrent le nom de « Mauritius ».

 


Rempart et Trois Mamelles. Photo : Evelyn Kee.

 

Maurice a aussi été peuplée par des esclaves de Madagascar, de Mozambique et d’autres régions d’Afrique, amenés de force pour travailler dans les plantations sucrières, puis par des immigrés indiens venus pour la plupart servir de main-d’œuvre bon marché après l’abolition de l’esclavage en 1835, même si certains étaient déjà présents sur l’île depuis les années 1720 (Selvon, 2003, 235), et par des immigrés chinois qui s’établirent dans l’île dès le 18e siècle. La rencontre entre ces différents groupes donna lieu, certes à des degrés variés, à différents types de métissage (Blancs-esclaves, Indiens-Créoles, etc.). Maurice est donc un pays multiculturel et multilingue : « un peuple multiethnique venant des vieilles civilisations des continents européen, asiatique et africain. Et de Madagascar, pays à la civilisation qui devait beaucoup à l’Asie également […] » (Selvon, 2003, 177). L’île obtient son indépendance en 1968. L’un des paysages mauriciens privilégiés dans l’œuvre de Le Clézio est la mer, un personnage en lui-même : « Je pense à elle comme à une personne humaine, et dans l’obscurité, tous mes sens sont en éveil pour mieux l’entendre arriver, pour mieux la recevoir. […] Je l’entends, elle bouge, elle respire » (Q, 11). Sont souvent cités également les montagnes (le Morne, la Tourelle de Tamarin, les Trois Mamelles, la Montagne du Rempart, la Montagne des Signaux, le Corps de Garde, la Montagne Blanche, le Piton du Milieu, la Montagne Ory, la chaîne des Guibies, le Pouce, le Pieter Both), les chassés (Yemen, Wolmar, Tamarin, Magenta), les rivières (Sèche, Papayes) et les champs de canne.

 


Yemen. Photo : Evelyn Kee Mew

 

Le Clézio privilégie aussi dans ses récits les villages côtiers de la partie ouest/sud-ouest ​​ (Tamarin, Rivière Noire, Le Morne, Anna, Médine, Case Noyale, La Gaulette) ainsi que la région de Vacoas, Ebène et Forest-Side. Port Louis, la capitale de l’île, représente le monde des affaires dont Alexis (CO) a horreur, en opposition notamment aux espaces verts et sauvages que semblent préférer les personnages lecléziens.

 

Wolmar. Photo : Evelyn Kee Mew

 

Le rapport avec la nature donne, en effet, un sentiment de liberté à Alexis (CO), Gaby (P), Catherine (R) ou encore Jacques (Q). Les textes comprennent aussi de « petites patries imaginaires » (Lohka, 2010, 40) telles que le Boucan (CO) qui se situerait derrière la Tourelle de Tamarin, ou encore Mananava (CO) qui se trouverait du côté de la Rivière Noire et où auraient vécu les descendants des marrons.

 


Anna. Photo : Brice Castelain.

 

Le pays des origines de l’écrivain est décrit jusque dans les moindres détails dans les souvenirs des lieux où les personnages et leur famille ont vécu avant leur départ de l’île (exil volontaire pour Gaby dans « La Saison des pluies » ou encore expulsion de la propriété d’Anna dans La Quarantaine, et de Rozilis dans Révolutions) : « tous ces noms de Maurice, qui tournaient dans sa mémoire,  ​​​​ venus de son père et à travers lui de ses grands-parents, ces noms drôles, un peu inquiétants, comme Tatamaka, Coromandel, Minissy » (R, 13-14). Ainsi, « la mémoire d’un lieu se fait pressante lorsqu’on n’a que les mots pour le faire vivre. D’où l’importance des détails physiques et des énumérations de lieux géographiques, de flore et autres détails qui identifient le signifié spatial » (Lohka, 2010, 33).

​​ 


Flic en Flac. Photo : Jean-Claude Castelain.

 

Cette mémoire de l’île que Le Clézio a reçue en héritage, il cherche à la restituer à travers la géographie de l’île, la flore et la faune, les épisodes historiques, l’inser-tion des mots du créole mauricien ou encore la compilation de sirandanes. L’importance de Maurice se traduit par la quête d’ « une terre, une origine, une patrie » (Q, 17) perdues, tel le jardin d’Eden. Ce qui explique les tentatives de retour de certains personnages comme pour boucler la boucle (Gaby, Jean, Jacques et Léon) : « Il [Léon] savait qu’un jour il serait là-bas, de retour à la maison d’Anna, non pas comme un qui retrouve son bien, mais pour être nouveau, pour se brûler au ciel et à la mer, lui aussi » (Q, 25-26).

La période historique privilégiée dans les écrits qui font référence à Maurice est la fin du 19e et le début du 20e, alors que l’île est sous la tutelle britannique. Le Clézio s’intéresse aux dures conditions de vie sur les plantations sucrières des travailleurs engagés indiens – aussi nommés coolies, mot « venant de ‘kuli’ en langue ta-moule, qui désigne une personne travaillant pour un salaire, comme le rappelle l’historien Satyendra Peerthum » (Selvon, 2003, 237) –. Il évoque les conditions insa-lubres de leur traversée sur le bateau vers Maurice, et celles, déplorables, de la période où ils sont mis en quarantaine sur l’île Plate et l’îlot Gabriel. Le sucre est alors le pilier de l’économie mauricienne, ce dont témoignent les nombreuses références au paysage sucrier (champs de canne, usines, villages sucriers, les sirdars, arkotties et femmes-gunnies). La période évoquée a aussi été marquée par l’un des cyclones les plus dévastateurs et meurtriers pour l’île, qui a tué plus de mille personnes, détruit de grandes étendues de champs de canne et des bâtiments, et décapité le monument très connu du Tombeau Malartic au Champ de Mars le 29 avril 1892. Le Chercheur d’or évoque précisément le passage de ce cyclone tandis que « La Saison des pluies » et ​​ Révolutions font référence de manière générale à ces cyclones fréquents dans l’île. Maurice a connu plusieurs épidémies de choléra, de malaria, et de variole vers les années 1850-60, ce qui poussa les Blancs à émigrer vers les hauts plateaux (Curepipe, Vacoas et Phoenix), puis le « boom » sucrier en 1920 et la grande dépression économique en 1929, année du départ de Gaby pour la France dans « La Saison des pluies ». Tous ces épisodes historiques qui constituent les fils du récit, de même que l’esclavage et le marronnage (mention est aussi faite de deux grandes figures rebelles, Ratsitatane et Sacalavou), l’engagisme, etc., dépeignent finalement une « réalité où se lisent les traces des blessures de l’histoire » (Salles, 2012, 57). Certains textes abordent l’indépendance de l’île le 12 mars 1968, quoique de loin (de Paris dans Révolutions) ou encore en arrière-plan de la narration (P).

Le Clézio décrit et dénonce dans ses récits un pays colonial avec sa société hiérarchisée et inégalitaire, violente même. Le communalisme qui est dépeint chez Le Clézio, n’est pas simplement une affaire de groupes ethniques mais aussi de classes sociales à l’intérieur d’un même groupe comme par exemple « les Blancs de Maurice [qui] n’ont jamais constitué une communauté monolithique. Depuis les débuts du peuplement du pays […] une variété de classes sociales allant de celles des Blancs les plus pauvres aux classes intermédiaires et à celle des "grands" capitalistes blancs, aussi appelés "grands blancs" » (Selvon, 2003, 257). Le Clézio défend « la thèse du vivre-ensemble et des racines multiples » (Issur, 2011, 93) par le choix de vie de ses personnages, Léon (Q) et Alexis (CO), mais aussi Surya (Q) et Ouma (CO), des personnages aux origines multiples qui jouent un rôle prépondérant dans le cheminement des héros masculins. Il est aussi question dans les textes de liens d’amitié forte entre Alexis et Denis (CO), Catherine et Somapraba (R), Gaby et Ananta (P), mais aussi d’amour transgressif entre le Blanc et la métisse indienne-manaf (descendante d’esclave marron), l’Anglo-indienne, la Créole (descendante d’esclave) : Alexis et Ouma (CO), Léon et Surya (Q), Louis Pelletier et Laure (R). Maurice représente aux yeux de Le Clézio un creuset pour l’interculturel. Il y crée ainsi en 2009 la Fondation pour l’Interculturel et la Paix (FIP) avec le Mauricien Issa Asgarally. Pour Le Clézio, « l’interculturel est le seul recours, parce qu’il milite pour la rencontre et la négociation, dans la multiplicité des modèles » (http://www.fipinterculturel.com).

 

Evelyn Kee Mew

 

RÉFÉRENCES BibliographiQUeS

BALLGOBIN, Vina, « Travailleurs engagés indiens et nutrition à l’île Maurice (1834-1900) », in Revue Historique de l’océan Indien, no. 10, 2013, p. 283-298 ; Fondation pour l’interculturel et la paix : http://www.fipinterculturel.com ; GAZIER, Michèle, « Paysages de Maurice », in LÉGER, Thierry, ROUSSEL-GILLET Isabelle et SALLES Marina (dir.), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 21-28 ; HOLLINGWORTH, P. D., The place-names of Mauritius, Ministry of Education, Port Louis (Maurice), 1961 ; ISSUR, Kumari, « Entre histoire et fiction : Le Clézio sur les traces du passé mauricien », in Les Cahiers J.M.G. Le Clézio, no. 3-4, Paris, Édition Complicités, 2011, p. 83-95 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Chercheur d’or, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Quarantaine, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., « La saison des pluies », in Printemps et autres saisons, Paris, Gallimard, 1989, p. 205-246 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Révolutions, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2003 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Ritournelle de la faim, Paris, Gallimard, 2008 ; Lohka, Eileen, « Insaisissable et multiforme : l’art de J.-M.G. Le Clézio », in LÉGER, Thierry, ROUSSEL-GILLET Isabelle et SALLES Marina (dir.), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, op. cit., p. 29-42 ; MOOTOOSAMY, Vidoolah, « Les figures de la colonisation à l’île Maurice : un parcours de rédemption le clézienne », in Revue Mosaïques, Hors-série no. 1, avril 2013, p. 149-155 ; SALLES, Marina, « Le Clézio, possibilités d’une île », in Le Magazine littéraire, no. 521, juillet-août 2012, p. 56-57 ; SELVON, Sydney, L’Histoire de Maurice. Des origines à nos jours, Rose Hill (Maurice), 2003.