VOYAGE À RODRIGUES

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Bibliographie et abréviations
Auteurs

C’est en 1986 que J.-M.G. Le Clézio publie Voyage à Rodrigues, à la fois récit de voyage, roman familial et quête initiatique. Dans Voyage à Rodrigues, J.-M.G. Le Clézio fait revivre le mythique continent de la Lémurie. D’après les anciens, suivis par des savants et nombre de mythographes et amateurs de légende, aux origines, l’Australie, l’Inde, les Mascareignes à l’Est et l’Amérique du Sud à l’Ouest, épousant l’Afrique, formaient un continent qui s’est fracturé et dont les masses dérivantes ont engendré les continents existant aujourd’hui à la surface du globe. C’est à une terre qu’ils supposaient gigantesque pour faire contrepoids à la masse représentée par les terres de l’hémisphère nord, et en laquelle ils ont vu ou fantasmé un continent englouti, qu’ils ont successivement donné les noms de terra australis nondum cognita ou de Mu. Fin des voyages, fin des rêves, fin des mythes : Cook et Lapérouse font définitivement disparaître le continent austral. Celui-ci resurgit de manière quasi miraculeuse au siècle suivant grâce aux rêveries d’un forcené. En 1830, Slater ressuscite cette terre à laquelle il donne le nom de Lémurie. Dans son sillage, la Lémurie devient ce monde premier duquel seraient issues toutes les civilisations. D’où une pléthore d’ouvrages savants et érudits dont le chef-d’œuvre demeure sans nul doute Les Révélations du Grand Océan du Réunionnais Jules Hermann. Selon lui, la Lémurie formait un continent dont tous les habitants parlaient un même langage que les peuples des îles de l’Océan Indien et du Pacifique ont continué d’employer après la dislocation des plaques. En réécrivant l’histoire de ce continent, Hermann l’élève au rang de « berceau de l’humanité » et, par un renversement assez ironique, fait des Océaniens les ancêtres des Européens. C’est dans ce volume que nombre d’écrivains indianocéaniques – Robert-Edward Hart, Malcolm de Chazal et J.-M.G. Le Clézio – vont puiser une part de leur inspiration.

Ce sont en effet les Mascareignes, dont Rodrigues est la troisième des pointes émergées supposées du mythique continent, qui servent de cadre à ce Voyage à Rodrigues dont la Lémurie fait figure de véritable palimpseste en ce que sur elle viennent se greffer plusieurs histoires : celle du continent perdu, celle du grand-père de l’auteur et celle de J.-M.G. Le Clézio lui-même. Bien que le titre soit au singulier, c’est bien de voyages au pluriel et de voyageurs dont il est question, et dont l’auteur se fait l’historien. Parmi les rêveurs, utopistes et chercheurs d’or de passage sur l’île ou ayant louvoyé le long des rivages, Le Clézio mentionne Leguat, Misson, fondateur de l’utopique et éphémère République de Libertalia, Olivier Le Vasseur, dit La Buse, Pingré venu observer le passage de Vénus, le père Wolff, puis son grand-père, Léon Leclézio, qui, sa vie durant, épluchant les manuscrits, dressant des plans, marquant l’île de repères, traquant les empreintes, a recherché le fabuleux trésor du Privateer. C’est le récit de cette quête que livre l’auteur dans ces deux récits fondateurs de la ​​ mythologie insulaire et familiale leclézienne : Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues. Car plus que le trésor lui-même, ce sont les indices disséminés par le pirate La Buse que Léon Leclézio a employé le plus clair de son existence à rechercher et à déchiffrer. Aussi Voyage à Rodrigues se lit-il comme une chasse au trésor, une enquête. Le lecteur est embarqué dans le déchiffrement des signes, dans la quête du grand-père, puis dans celle de l’auteur qui cherche Le Comble du Commandeur, le ravin en cul de sac, la source tarie. À mesure que ses yeux s’accoutument au paysage, il voit, reconnaît, retrouve les chemins empruntés par son grand-père, les repères qu’il a dessinés, les traces qu’il a laissées. Revêtant diverses formes et permettant au narrateur de remonter le cours du temps, ces marques, omniprésentes, font de la vallée un langage que le narrateur cherche à déchiffrer à son tour : « Pourtant l’île me dit autre chose, elle me signifie autre chose que je ne peux encore saisir tout à fait » (VR, 78). Et ce, comme dans un dialogue à distance : « Maintenant, errant sur ses traces, en vain je cherche à percevoir ce qui lui parlait ici, à lui seul » (VR, 81). À l’instar de Jules Hermann, Léon Leclézio a également tenté de reconstituer la langue des origines et y a consacré sa vie, inventant sa légende qu’il transmet en laissant derrière lui un journal, un fascicule, une carte, des plans, des lettres, des schémas ainsi qu’un paysage criblé de cryptogrammes. Ces marques, signes et traces ne sont pas sans émouvoir profondément le narrateur : « Comment ne pas voir dans ce paysage désertique, façonné par le vent et par la pluie, imprégné de soleil, l’expression d’une volonté ? Message laissé par quelque géant terrestre, ou bien dessin de la destinée du monde […]. Signes du vent, de la pluie, du soleil, traces d’un ordre ancien, incompréhensible […] » (VR, 46). L’identification exige de la patience, le temps différant la reconnaissance. Mais le chercheur, quel que soit l’objet de sa quête, est toujours récompensé s’il persévère. C’est là l’une des leçons que Léon Leclézio a découvertes poinçonnées dans une roche : « Cherchez : » et qu’il transmet à son petit-fils dans un document, assorti du commentaire suivant : « sur quoi […] là trouverez que pensez » (VR, 107). Dans Voyage à Rodrigues comme dans Le Chercheur d’or, le palimpseste lémurien prend place dans la réappropriation de l’héritage et de l’histoire familiale, sur les pas de Léon Leclézio. Tout en reconstituant l’histoire de l’île, c’est l’histoire de sa famille que s’applique à retracer J.-M.G. Le Clézio en évoquant la perte par son grand-père, pour la poursuite de sa chimère, de la demeure familiale : « C’est la perte de cette maison qui, je crois, commence toute l’histoire, comme la fondation d’Euréka avait été l’aboutissement d’une autre histoire, celle qui avait conduit mon ancêtre François, au temps de la Révolution, du port de Lorient à l’Île de France. » (VR, 121). Toutes ces histoires qui se superposent fonctionnent comme autant de préhistoires dans la tentative de reconstruction de la généalogie familiale à laquelle se livrent le narrateur du Chercheur d’or et l’auteur du Voyage à Rodrigues : « La perte d’Euréka me concerne aussi, écrit J.-M.G. Le Clézio, puisque c’est à cela que je dois d’être né au loin, d’avoir grandi séparé de mes racines, dans ce sentiment d’étrangeté, d’inappartenance. » (VR, 122). Ainsi que l’observe justement Jean-Michel Racault : « portant en lui la mémoire d’un double exil, celui du départ pour la France de sa famille mauricienne, celui inverse de son ancêtre qui quitta jadis la Bretagne pour s’installer aux Mascareignes, [J.-M.G. Le Clézio] cherche par le retour au sein de l’île, en même temps qu’une révélation du secret inscrit dans le paysage, une réappropriation de sa généalogie et une résolution de l’éternelle dialectique de l’ici et de l’ailleurs, de l’Europe et de l’océan Indien. » (« Avertissement », 2007, 10).

 

Dominique Lanni

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Le Clézio, Jean-Marie Gustave, Voyage à Rodrigues, Paris, Gallimard, 1986. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997 ; Joubert, Jean-Louis, « Pour une exploration de la Lémurie. Une mythologie littéraire de l’Océan Indien » [in] Annuaire des Pays de l’Océan indien, III, 1976 ; Marimoutou, Jean-Claude Carpanin, « La Lémurie : un rêve, une langue » [in] Ailleurs imaginés, Cahiers du CRLH-CIRAOI, n°6, Paris, Didier-Erudition, 1990, p. 121-132 ; North-Coombes, Alfred, La Découverte des Mascareignes par les Arabes et les Portugais, Ile Maurice, 1979 ; Racault, Jean-Michel, « De l’ère des voyages à l’émergence d’une littérature : panorama introductif » [in] Mémoires du Grand Océan. Des Relations de voyages aux littératures francophones de l’océan Indien, Paris, PUPS, 2007, « Lettres francophones », p. 13-41 ; Racault, Jean-Michel, « L’Écriture des pierres : fiction généalogique et mémoire insulaire dans Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues de Le Clézio » [in] Mémoires du Grand Océan. Des Relations de voyage aux littératures francophones de l’océan Indien, op.cit., p. 229-242 ; Ranaivoson, Didier, « Lémurie » [in] Battistini, Olivier, Poli, Jean-Dominique, Ronzeaud, Pierre, et Vincensini, Jean-Pierre, dirs., Dictionnaire des lieux mythiques, Paris, Robert Laffont, 2011, « Bouquins », p. 703-705 ; Ronzeaud, Pierre, L’Utopie hermaphrodite. La Terre Australe Connue (1676) de Gabriel de Foigny, Marseille, C.I.R. 17, 1992 ; Ronzeaud, Pierre, « Terre australe » [in] Battistini, Olivier, Poli, Jean-Dominique, Ronzeaud, Pierre, et Vincensini, Jean-Pierre, dirs., Dictionnaire des lieux mythiques, op.cit., p. 98-104 ; Toussaint, Auguste, Histoire de l’océan Indien, Paris, PUF, 1961, « Pays d’Outre-Mer ».

Chercheur d’or (Le) ; Libertalia.