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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Le costumbrisme (de l’espagnol costumbrismo) définit un type de création artistique qui s’est développé en Espagne au XIXe siècle, particulièrement entre 1830 et 1850. C’est une forme de réalisme qui, à travers un « tableau de mœurs », se propose de capter le quotidien et les coutumes propres à la population d’un pays ou d’une région. Avec des personnages génériques et la représentation d’espaces sociaux (cafés, jardins publics, rues), les Costumbristes s’attachent à décrire la vie collective, les aspects de la réalité qui échappent à l’histoire. L’exemple en est le Panorama Matritense (série de chroniques écrites dès 1832) de Ramón de Mesonero Romanos, qui présente au public espagnol divers tableaux de la vie à Madrid.

L’observation directe des mœurs, des pratiques sociales, la peinture de la couleur locale et des croyances spécifiques, l’intérêt pour le folklore, l’idéalisation du passé sont donc les éléments que les Costumbristes incorporent aux thèmes littéraires. Car l’un de leurs objectifs est d’empêcher que les mœurs et les traditions tombent dans l’oubli, et en particulier celles des populations rurales, menacées par le mouvement de migration vers les villes.

Ce courant littéraire a émigré en Amérique latine où il prend au XXe siècle la forme spécifique du réalisme magique, quand les récits de certains écrivains offrent un mélange d’observation réaliste et d’attention au merveilleux, tels Alejo Carpentier et Miguel Ángel Asturias qui trouvent des principes d’identité américaine dans les livres sacrés des cultures préhispaniques, comme Le Popolvuh.

​​ C’est sous cette forme latino-américaine que Le Clézio définit le costumbrisme dans La Fête chantée (1997) : un genre littéraire né des mythes et légendes qui va des premiers romans folkloriques jusqu’à l’œuvre de Juan Rulfo « […] (FC, 176-7), le dernier des grands costumbristas [...] porté à l’autre extrémité de la vague de mythes née de l’ancien tourbillon de l’Amérique précolombienne.» (FC, 183). Cet écrivain mexicain est mentionné dans Ourania (2006) quand le protagoniste Daniel Sillitoe voyage en autobus vers Colima « dans une plaine monotone, poudreuse » (O, 30) qui lui fait songer « au décor des livres de Rulfo, à Comala pareille à une plaque de fer chauffée à blanc par le soleil, où les humains sont les seules ombres vivantes.» (O, 30). Paysage accablant qui, comme l’a montré Bruno Thibault (2008), évoque une sorte de purgatoire ou d’enfer – où les « ombres vivantes » sont effectivement les ombres des morts.

Les traces de ce mouvement littéraire apparaissent ainsi dans l’œuvre de Le Clézio qui cherche précisément à mettre en lumière la culture de différents pays, à transmettre son expérience d’ « écrivain nomade ». Parmi les livres qui montrent son initiation au monde « autre », celui des Indiens, par exemple, on trouve Haï (1971) et Voyages de l’autre côté (1975). Le premier, provenant directement de son expérience, expose des réflexions sur la place de la culture indienne dans le monde contemporain ; en effet, Haï, mot qui désigne l’énergie, la force cosmique, se présente comme un essai d’anthropologie comparée, où Le Clézio décrit en « initié » le rite magique développé par les guérisseurs embéras pour soigner les maux individuels et collectifs, car ils envisagent la maladie comme la perte de contact avec le rythme cosmique.

Voyages de l’autre côté est un long récit divisé en trois parties – Watasenia, Naja Naja et Pachacamac ; les « voyages » du titre ont lieu dans une zone magique entre la genèse et la fin du monde. Aux dernières pages de la deuxième partie, les voyageurs, qui ont pour but d’atteindre l’« autre côté », le « pays libre » (VA, 271-2), découvrent des monuments mystérieux, des pyramides, des coupoles, des tours de palais et arrivent, enfin, à la « ville blanche ». Cette ville est en fête pour rendre hommage aux divinités pré-hispaniques, en accord avec l’ancien calendrier rituel agricole. Etzalcualiztli (fête du maïs), Tlaxochimaco (fête des fleurs), Ochpaniztl (en hommage à la mère des dieux) sont quelques-unes des fêtes mentionnées dans le texte, riche des mots et des rites originaires de cette culture amérindienne. Le titre de la dernière partie du livre renvoie à un site archéologique à l’orée de la vallée de Lurín, au Pérou : c’est un sanctuaire dédié au dieu Pachacamac, oracle de l’ère pré-hispanique qui a survécu aux influences incas et espagnoles, l’une des divinités les plus importantes du monde andin, créateur et responsable de l’équilibre de l’univers.

Voyages de l’autre côté reprend en effet quelques éléments de Trois villes saintes (1974), tel le voyage sur une route blanche de poussière et de lumière, à la recherche de signes qui révèlent les anciens espaces sacrés et les dieux cachés. Chetumal, Tulum et Tihosuco, des villages mexicains qui gardent l’ancienne culture maya, sont les trois villes saintes annoncées par le titre. Et les Dieux cachés renvoient au moment de la destruction des anciennes civilisations indiennes du Mexique, provoquée par l’arrivée des Espagnols, comme le rappelle Le Rêve mexicain ou la pensée interrompue (1988) : « C’est justement dans cette rencontre des deux rêves, d’un côté la magie, de l’autre l’or, qu’on voit bien où est la vérité, où est le mensonge. » (RME, 26). Le Clézio remarque que le rêve et la magie habitaient le monde indien jusqu’à cet événement tragique qui a marqué la fin de la « dernière civilisation magique » (RME, 60). Toujours attentif à la question des pratiques culturelles et de la magie, Le Clézio écrit sur les fêtes rituelles et symboliques – fête du soleil, du feu, de l’eau, du sang, de la mort –, aussi bien que sur l’extraordinaire richesse des mythes mexicains et sur la foi ardente du peuple en ses Dieux.

Dans Diego et Frida (1993), l’écrivain reprend ce sujet quand il introduit des réflexions sur la révolution mexicaine : « un événement sans précédent dans l’histoire du monde [qui] bouleverse le Mexique où rien n’a changé depuis la chute des royaumes indiens aux mains des Conquérants espagnols. » (DF, 13). À l’époque de la révolution, Le Mexique était encore, d’après Le Clézio, une terre sous domination étrangère, où l’art, le folklore, la culture indienne étaient maintenus dans le plus profond mépris : « le moment est venu d’accomplir le renouveau de la culture indienne.» (DF, 19). Et, quand il écrit sur l’art de Diego Rivera et de Frida Kahlo, Le Clézio signale le rapport entre leurs œuvres et le passé indien du Mexique.

Plusieurs années après, dans les passages de La Fête chantée (1997) dédiés à son expérience chez les Indiens du Panamá, il raconte quelques moments de son initiation dans le monde amérindien, sa prise de conscience d’une série d’évidences qui distingue l’univers indien du monde urbain où nous vivons aujourd´hui : les Indiens ignorent les murs, ils sont toujours en rapport avec les autres êtres humains, avec le monde tangible autour d’eux et avec le monde invisible, les rêves, la magie, les origines de la création. Le chapitre intitulé « Mythes amérindiens et littérature » (FC, 171-183) précise que le Nouveau Monde est un espace propice à l’épanouissement du mythe, dont le pouvoir n’est pas nécessairement dans l’absurde, mais se fonde au contraire sur la logique, sur une architecture du langage et des images, sur un concept particulier du temps et de l’espace. Ses réflexions sur les peuples pré-hispaniques – les Aztèques, les Mayas et les Incas – soulignent l’harmonie entre leur vie et leurs croyances. En insistant sur les mythes de la genèse du monde et du voyage initiatique, Le Clézio conclut que c’est par le mythe que l’Amérique indienne a survécu au désastre de la Conquête.

Dans son Discours du Prix Nobel, le 7 décembre 2008, Le Clézio rappelle son expérience chez les Emberas et les Waunanas, signalant que les mythes allaient à lui presque chaque nuit à travers « la voix des conteurs et des conteuses [qui] mettait en mouvement ces histoires, ces légendes, ces récits, comme s’ils parlaient de la réalité quotidienne ». Dans Ourania (2006), il introduit le personnage de l’Indien Juan Uacus, chargé d’« étudier et enseigner le tarasque à l’Emporio, dans la plus pure tradition coloniale des naguatlatos indigènes » (Ou, 48) et de promouvoir la culture indienne en rédigeant une encyclopédie du monde indigène « dans les quatre langues les plus parlées du haut plateau, nahuatl, otomi, purépecha, zapotèque » (Ou, 238). Cette mission offre aux populations dépossédées et oubliées, « les gens des villages de la montagne », « la possibilité de dire qu’ils existent, que leur langue et leur histoire ne sont pas éteints, et qu’ils ont voix au chapitre dans le livre général de la patrie » (Ou, 221). Une démarche qui rencontre celle des Costumbristas et répond à la fonction de la littérature, selon le Lauréat du Prix Nobel : « continuer d’être ce merveilleux moyen de se connaître soi-même, de découvrir l’autre, d’entendre dans toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de l’humanité ». (Discours de Stockholm).

Ana Luiza Silva Camarani

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CORTANZE, G. de, J.M.G. Le Clézio, Paris, Gallimard, 1999 ; JOSEF, B. Romance hispano-americano, São Paulo, Ática, 1986 ; LE CLÉZIO, J.-M. G. Trois villes saintes, La Nouvelle Revue Française, n. 264, décembre 1974, p. 1-15 ; Voyages de l’autre côté, Paris, Gallimard, 1975 ; Le Rêve mexicain, Paris, Gallimard, 1988 ; Diego et Frida, Paris, Gallimard/Stock, 1993 ; La Fête chantée, Paris, Gallimard, 1997 ; Ourania, Paris, Gallimard, 2006 ; Dans la forêt des paradoxes, Conférence Nobel, 2008. Préface au Llano en flammmes de Juan Rulfo, Gallimard, Folio, 2003 ; THIBAULT, Bruno, « Souvenirs d’en France : l’écriture du désastre dans Ourania », Cahiers Robinson, n. 23, 2008, p. 161-170. ZAVALA, I. M. Romanticismo y Realismo, Barcelona, Editorial Crítica, 2003.

 Diego et Frida ; Fête chantée (La) ; Haï ; Ourania ; Rêve mexicain (Le) ; Rulfo (Juan) ; Trois villes saintes ; Voyages de l’autre côté.