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Bibliographie et abréviations
Auteurs

 

Le surnom de Ma el Aïnine équivaut en français à « l’eau des yeux » (« l’œil humide étant l’œil vivant », Ferré, 2000, 166). De son vrai nom Mohammed el Mustafa ben Cheikh Mohammed el Fadel ben Mamine (Hamdati Chabihna, 1998, 144), il est né vers 1830 au nord de la Mauritanie et décédé en 1910 à Tiznit au Maroc. Cet homme du désert est une figure historique emblématique du Sahara (XIXe et XXe siècles). ​​ Fondateur de la ville spirituelle du désert, Smara, il fut autant un chef spirituel qu’un chef de résistance, « ‘homme du chapelet’, certes, mais de ‘poudre’ aussi » (Ferré, 2000, 10). Personnage charismatique ? Ma el Aïnine est un érudit musulman prolifique avec plus de 360 livres à son actif (Hamdati Chabihna, 1998, 142). Il fut toujours entouré d’une aura passée pour légendaire, ainsi commentée par Gaudio : « L’ascendant que cet excellent prédicateur exerça à cette époque sur les Sahariens s’est affirmée de telle sorte qu’il a pu s’assurer une hégémonie spirituelle et politique absolue. » (1991, 222) 

 

Ma el Aïnine doit cette érudition à son père, Mohammed el Fadel, d’origine chérifienne, « jurisconsulte et théologien éminent » (Le Chatelier, 1899, 327). Ayant grandi au sein de la zaouia Fadeliya, en Mauritanie, Ma el Aïnine apprit par cœur l’intégralité du Coran. Le père veillait à lui inculquer les bonnes mœurs et la rigueur dignes d’un futur marabout. Le fils finit par exaucer les vœux du père : vers l’âge de 28 ans, Ma el Aïnine reçut le turban de l’érudition. Mohammed el Fadel autorisa alors son fils brillant à quitter les lieux pour faire le pèlerinage et diffuser ailleurs les sciences religieuses.

 

Comme le soulignent Jacques Thobie et Gilbert Meynier, Ma el Aïnine : « […] s’est] installé depuis 1873 dans la région de Smara, au Sud-Marocain […]. » (1991, 234) En 1898, il fonda la ville sainte de Smara, fief du marabout et de ses disciples. Cet homme du désert y ordonna, entre autres, l’édification d’une mosquée imposante, le forage des puits et la plantation d’arbres. Au sein de cette citadelle, Ma el Aïnine veillait à dispenser à ses disciples et notamment aux jeunes écoliers une éducation fidèle à la morale et aux instructions religieuses. En tant que chef spirituel mystique, ce cheikh prêchait d’exemple en faisant preuve d’ascétisme.

 

La zaouia maïnite appelait à l’unification et à la pacification des tribus en conflits pour cause de concurrence d’hégémonie (Ma el Aïnine, 1996, 27-28). Il exhortait à un éclectisme soufi ouvert à toutes les voies mystiques des zaouia (Eldaniaji, 2001, 408). En raison d’une « auréole de sainteté » et comme le veut la tradition du soufisme, Ma el Aïnine s’est vu attribuer des prodiges défiant les lois de la causalité. Mrabih Rabou, fils du marabout, raconte le châtiment subi par les voleurs des chameaux de son père Ma el Aïnine : « Avant la fin de cette nuit [celle du vol], un feu divin a pris sans motif apparent dans leurs vêtements » et « leurs armes », alors ils accoururent, en se dénudant, vers le cheikh pour implorer son secours, et le châtiment prit fin (Eldharif, 2002, 448-449).

 

Dans les volumes traitant de l’histoire du Sahara, Ma el Aïnine fait figure de résistant redoutable. Devant le cheminement des forces militaires françaises en 1903 vers le Sahara, il incita vivement les diverses tribus au combat contre les forces étrangères envahissant « la terre de l’islam ». Gaudio brosse cet appel au ralliement de la sorte : « Vers la fin du dernier siècle, toutes les populations du Sahara occidental ont été réveillées et galvanisées par un grand marabout et chef guerrier, l’émir Ma el-Aïnin, qui fonda une secte toute puissante de fidèles et embrasa le désert en proclamant la guerre sainte contre les envahisseurs », (1993, 222). L’administrateur colonial français Xavier Coppolani succomba face à la résistance que galvanisait le marabout : « Il trouve en face de lui un adversaire de taille, le cheikh Ma’al-‘Aynayn, qui depuis plus de trente ans faisait figure de représentant du sultan du Maroc. » (Laroui, 2000, 118). Cependant, les pressions exercées par l’envahisseur sur le sultan marocain en 1908 contraignirent Ma el Aïnine à abandonner la lutte. Le marabout et ses fidèles connurent l’exode et la défaite. Le cheikh s’éteignit en 1910. Les fils combattants de Ma el Aïnine prirent la relève.

​​ 

Si, au regard des colonialistes, Ma el Ainine fut « un grand maître de la dissidence » (Ferré, 2000, 14), un fauteur de trouble, un primitif au cœur de pierre, pour ses disciples il fut un saint à l’origine de miracles incontestables. Une ambivalence que souligne Marina Salles en précisant que ce personnage fut « toujours perçu à travers le prisme déformant de la parole hagiographique de ses disciples ou des propos injurieux de ses ennemis. » (2006, 78)

 

JMG Le Clézio prend le contre-pied de la vision colonialiste et rend hommage à ce personnage historique, mettant l’accent sur son image double de chef militaire héroïque qui organise la résistance des tribus sahariennes et de personnage charismatique. Vivant au rythme de la nature, auréolé d’une aura spirituelle égale en quelque sorte à celle d’un chaman, Ma el Aïnine est parallèlement le modèle du résistant ayant détourné les intrusions européennes brutales dans une terre rescapée de la modernisation. Dans son roman Désert, Le Clézio relate l’épreuve de Ma el Aïnine et des Hommes Bleus. Cet écrivain humaniste adopte le point de vue d’un « témoin du comportement des officiers français dont il ne partage pas la conviction colonialiste » (Salles, 2006, 74). Adoptant une stratégie de réhabilitation auprès du lecteur occidental, l’écrivain écrit un plaidoyer en faveur du marabout. Ma el Aïnine n’est plus un fanatique impitoyable, il est un résistant qui œuvre pour la libération du peuple. Son cheminement vers le Nord est un appel à la vie et à la liberté, un combat « contre ceux qui spéculent, qui convoitent les terres, les villes », « contre ceux qui veulent la richesse que promet la misère de ce peuple » (D, ​​ 377). Ainsi, ce roman retrace un parcours semé de sacrifices et de sainteté. Le Clézio présente ce marabout sous les traits d’un homme du bien jouissant d’un charisme exceptionnel qui peut « calmer la foule d’un geste de la main, ou au contraire, la déchaîner, avec seulement quelques paroles » (D, 40). Le dzikr, les paroles sacrées du cheikh, portaient ses disciples à l’extase : « La rumeur de la foule se transforma soudain en cris : ‘Gloire à notre cheikh Ma el Aïnine, gloire à l’envoyé de Dieu’ ! » (D, 64). Les Sahariens accouraient vers ce thaumaturge pour faire guérir leurs enfants malades, alors « Ma el Aïnine les oignait avec un peu de terre mêlée à sa salive, il posait ses mains sur leurs front » (D, 245) ; l’aveugle souffrant sollicite également le pouvoir magique du cheikh. Ce dernier lui « a frotté les paupières », ainsi l’aveugle ne ressent plus la douleur, son regard s’emplit « de la lumière dorée du soleil », il marche librement tel un voyant « vers l’autre bout de la plaine » (D, 372). Le jeune Nour incarne les disciples sahariens qui suivaient Ma el Aïnine en marche vers ce qu’il annonçait comme « le royaume de Dieu » (D, 231).

La défaite puis la mort du cheikh à Tiznit dans une « maison de boue au toit à demi effondré » (D, 398) signent l’échec du chef temporel. Mais son rayonnement spirituel continue de s’exercer à travers les générations sur quelques personnages élus. Nour, initié au rêve des terres promises sent le « regard immortel » du cheikh le suivre et le pénétrer : « Nour sentait son regard, là, dans le ciel, dans les taches d’ombre de la terre. Il sentait le regard sur lui [...] » (D, 432). Plus tard, Lalla, descendante d’une véritable chérifa issue « de la tribu du grand Ma el Aïnine » (D, 174), ressent à son tour le regard de l’Homme bleu, Al Azraq dit El Ser, le Secret (mot équivalent à l’âme), un guerrier et un saint dont Ma el Aïnine est l’héritier spirituel, pour la guider dans les moments essentiels de sa vie. L’Homme Bleu et Ma el Aïnine incarnent ​​ de fait la même image du marabout omniprésent et du guerrier protecteur. Le Clézio pérennise ainsi l’aura d’un personnage immortel.

 

Dans Gens des nuages, Le Clézio revient de manière élogieuse sur la biographie de ce « grand cheikh » du désert : « Ma el Aïnine, souvent présenté par les officiers de l’armée française comme un fanatique criminel, fut en réalité l’un des hommes les plus cultivés de son temps, lettré, astronome et philosophe », (GDN, 61), « sans doute l’un des derniers cheikhs el Akbar du soufisme marocain, possédant son chapelet, auteur de nombreux traités de théologie, astronome, poète, thaumaturge, capable de lire dans les pensées et de guérir les malades en soufflant sur le sable » (GDN, 32). Ainsi, Le Clézio se plaît à réécrire une épopée empreinte d’admiration et de légende.

 

      Hicham Boulakhsoumi

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 

 

ELDANIAJI, Nour-Eddine, « Des signes coraniques dans l’œuvre de Ma el Aïnine », in Cheikh Ma el Aïnine : Pensée et djihad, EL RADI El Yazid et MA EL AÏNINE Ali Nama (dir.), p. 406-411, ​​ Casablanca, édit. El Najah El Jadida, 2001 ; ELDHARIF, Mohammed, Le mouvement soufi dans la littérature du Sahara marocain 1800-1956, (en arabe), Casablanca, édition Al-Najah al-Jadida, 2002 ; FERRÉ, Jean, Au désert interdit, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 2000 ; GAUDIO, Attilio, Guerres et paix au Maroc : reportages, 1950-1990, Éditions Karthala, ​​ Paris, 1991 ; Les populations du Sahara occidental : histoire, vie et culture, Éditions Karthala, Paris, 1993 ; HAMDATI CHABIHNA, Ma el Aïnine, Les tribus du Sahara marocain : leurs origines, leur djihad ​​ et leur culture, (en arabe), Impression royale, Rabat, 1998 ; LA CHAPELLE (DE), F., « Esquisse d’une histoire du Sahara occidental », in Hespéris, XI, Paris, Librairie La Rose, Paris, 1930 ; LAROUI, Abdellah, « Initiatives et résistances africaines en Afrique du Nord et au Sahara », in ​​ Histoire générale de l’Afrique. VII. L’Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, BOAHEN, ADU, A. (dir.), p. 111-135, Éditions UNESCO, 2000 ; LE CHATELIER, A., L’Islam dans l’Afrique occidentale, Paris, G. Steinheil, Éditeur, 1899 ; LE CLÉZIO, J.-M.G, Désert, Paris, Gallimard, Folio, 2012 ; Gens des nuages, Paris, Gallimard, Folio, 2010 ; MA EL AÏNINE, Ma el Aïnine, De la littérature et de la guerre sainte. Des exemples de la zaouia maïnite de Smara au Sahara, (en arabe), Éditions La Maison de Volubilis pour l’impression et la publication, Marrakech, 1996 ; SALLES, Marina, Le Clézio, notre contemporain, Rennes, PUR, Paris, 2006 ; THOBIE, Jacques et MEYNIER, Gilbert, Histoire de la France coloniale. II. L’apogée 1871-1931, Paris, Armand Colin, 1991.

 

 

              Désert ; Gens des Nuages ; Saguia el Hamra (La).