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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Jemia et J.-M.G. Le Clézio évoquent dans Gens des nuages un comportement fondamental du soufi : le dépouillement. Comme dans la vie harmonieuse des nomades que caractérise « […] l’estimation exacte de leurs propres limites » (GN, 147), ce renoncement à la vie matérielle n’est pas synonyme de pauvreté ou de misère. D’ailleurs, le soufisme, at-tasawwuf, est un mot dérivé, semble-t-il, de as-suf, la laine, matériau d’origine animale qui constitue la composante principale des habits que portent certains soufis, signe d’ascétisme (az-zuhd) par excellence.

Le terme at-tasawuf renvoie aussi à as-safaa, la pureté. Le soufisme est une pratique spirituelle dont la vocation est de nettoyer le cœur des manifestations du bas monde (ad-dunia) comme le désir, la haine et l’angoisse. C’est dans ce sens qu’un autre terme pourrait lui être relié : as-safwa, l’élite. Effectivement, le soufisme se soumet à une hiérarchie (maqamat) relative au degré de croyance de chacun. Toutefois, les pratiques soufies diffèrent d’une voie (at-tariqa) à une autre selon les orientations spirituelles adoptées par le waliyy, le saint.

Le soufisme, qui se définit en fonction des aspirations du cheikh et de ses adeptes, demeure ouvert à la polysémie. On peut même dire qu’il se nourrit de l’originalité des doctrines qui le constituent. Nombreux, ses adeptes empruntent des chemins divergents : parfois la réponse à l’appel de la sainteté est leur raison d’être, ou la résistance à l’annihilation (al fanaa) par une quête de la permanence (al baqa’a). Le soufisme prétend être aussi une simple tendance à l’extase (as-sukr), ou une lutte obstinée contre l’oubli (as-sahw) et l’absence (al ghiyab).

Considéré comme un désir d’être présence à Dieu (al hudur), le soufisme adopte diverses approches. Quand il n’est pas un examen de conscience (al muhasaba), il tente d’être une série de reproches (al malama) adressés à l’âme infâme. Toutes les méthodes semblent bonnes à condition qu’un principe de base ne soit pas remis en question : at-tawhid, l’affirmation de l’unicité de Dieu, car – comme il est inscrit dans le Coran – c’est l’unique péché que Dieu ne pardonne jamais. D’où le rejet, dans le monde musulman, de certaines pratiques et déclarations qui portent atteinte, ne serait-ce qu’en apparence, à cette unicité.

C’est le cas, par exemple, du Hallaj, soufi controversé, qui, à force d’aimer profondément Dieu, estime pouvoir Le voir et s’identifier à Lui, ce qu’il appelle Al hulul, l’incarnation. C’est aussi le cas de Rumi, cité par J.-M.G. Le Clézio, qui prétend vivre l’état de la fusion absolue : « […] je ne descends ni d’Adam ni d’Eve / ni d’aucune origine. […] J’appartiens au bien-aimé / j’ai vu les deux mondes réunis en un seul […]. » (GN, 77) Est-ce une hérésie ? Est-ce la métaphore dont usent des êtres qui ont fait l’expérience de la transcendance ? Est-ce la confidence de quelques élus et fidèles qui sont récompensés par le privilège d’être non seulement en présence de Dieu, mais aussi de s’unir à Lui ? De toute façon, le fondement du soufisme est la foi. Plus elle est profonde et authentique, plus elle mène à la clairvoyance. C’est une expérience qui garantit une relation immédiate à la divinité.

Or, comment peut-on prétendre être présent à un Dieu dont l’omniprésence est paradoxalement fondée sur Son absence ? N’est-il pas, selon les mots de Pascal, « […] une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part » (Poulet, 1979, 25) ? Ce cercle est bien évidemment « non métamorphosable » (Ibid., 24). Poulet insiste surtout sur la pluralité des interprétations qui « coïncident avec des changements correspondants dans la manière dont les êtres se représentent ce qu’il y a de plus intime en eux, c’est-à-dire le sentiment de leurs relations avec le dedans et le dehors, leur conscience de l’espace et de la durée. » (Ibid.) Les soufis sont conscients qu’au-delà du monde fini, matériel, limité par l’esprit empirique, par la logique de l’homme raisonnable, il y a un autre monde, infini et spirituel. Aux yeux de Jemia et de J.-M.G. Le Clézio, le soufisme réalise la fusion de toutes les formes de spiritualité. Ainsi, Sidi Ahmed el Aroussi, ce « maître du soufisme » « […] reçoit l’héritage d’un des plus grands courants philosophiques de l’histoire, qui mêle à la loi du Prophète la raison des Grecs, la force biblique, la profondeur de la méditation du Vedanta, ainsi que l’ironie christique. » (GN, 136-137)

Le travail de la pensée est de défier les lois de la nature afin d’accéder à l’état d’immatérialité, de chercher au-delà de la vie réelle l’union avec le monde divin, de cesser de se contenter d’un « être-là » afin de s’approprier un « être-à ». « Être-à », c’est « être en état de présence » (Moulinet, 2002, 57). La reprise de la problématique de l’être, suivant le raisonnement philosophique de Martin Heidegger, conduit Moulinet à considérer que « l’homme est ouvert à Une Présence qui le rend présent à lui-même (son âme) et à tout "ce qui est" compris dans l’horizon de son monde. Il se tient dans cette ouverture, non pas à la manière d’un intervalle de séparation, d’un trait d’union entre deux entités substantielles "étantes" […]. Il existe comme être-au-monde. » (Ibid., 53)

Pour les soufis, la notion de présence nécessite la transe que favorise le dzikr. Ce dernier se définit comme un chant rythmé par la répétition, jusqu’à l’extase, de l’un des noms de Dieu ou de l’une des invocations et des implorations religieuses. J.-M.G. Le Clézio, dans Désert, décrit quelques détails de cette pratique spirituelle que maîtrise parfaitement Ma el Aïnine : « Quand Ma el Aïnine commença à réciter son dzikr, sa voix résonna bizarrement dans le silence de la place, pareille à l’appel lointain d’une chèvre. Il chantait à voix basse, en balançant le haut de son corps d’avant en arrière mais le silence sur la place, dans la ville, et sur toute la vallée de la Saguiet el Hamra avait sa source dans le vide du vent du désert, et la voix du vieil homme était claire et sûre comme celle d’un animal vivant. » (D, 57-58) La récitation épuise le corps chancelant, comble l’âme et satisfait les sens. Cette prière, souvent collective, est un exercice intérieur ; elle signifie pour les soufis un retour vers soi qui précède une fuite vers Dieu par la transe et l’enivrement.

Pour sa part, J.-M.G. Le Clézio, écrivain humaniste, se met à la recherche de l’âme du monde. Son mysticisme se nourrit de son rejet de l’ethnocentrisme. Refusant de défendre un système de pensée particulier et l’appartenance à une culture unique, mondialisée et (dé)civilisée, il opte pour le partage d’expérience. Il affirme, dans un entretien, que l’écriture « […] [lui] apporte en somme ce que le Bouddhisme apporte à ses fidèles, non pas une place dans le monde, mais une façon d’être avec lui. » (Ezine, 1981, 50) Dans l’imaginaire de l’écrivain, l’humanisme est bien évidemment le respect de cet ensemble de réalités diverses dotées d’une culture, d’un système de valeurs riche et d’une structure sociale cohérente. D’ailleurs, n’est-il pas cet écrivain voyageur qui se veut le passeur de la prose lyrique du monde ?

Le mysticisme lui a conféré le pouvoir d’une certaine omniprésence qui défie les frontières. Il est le fils d’un monde qui, dirait-il, a besoin d’âme. C’est en ce sens qu’il faudrait lire ses récits de voyage : comme l’expression d’un rêve d’accès à la sagesse dans un univers où « […] toutes les cultures ont besoin de toutes les cultures. » (Glissant, 2010, 41) Jemia et J.-M.G. Le Clézio, célèbrent la dimension spirituelle et pacifique du soufisme si nécessaires aux hommes : « Ce n’est pas par les armes que les maîtres soufis luttent contre le mal, c’est par la puissance de leur verbe, par l’exemple de leur pureté, par la force de leur sacrifice » (GN, 139). La passion de Lalla pour le désert, dans le roman éponyme, est reprise dans Gens des nuages où la Saguia el Hamra, cet espace « […] vierge, comme éternellement jeune » (GN, 63), représente une étape fondamentale dans le parcours existentiel et la quête spirituelle de l’écrivain.

 

Sidi Omar Azeroual

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

EZINE, Jean-Louis, Les Écrivains sur la sellette, Paris, Seuil, 1981 ; GLISSANT, Édouard, L’Imaginaire des langues, Entretiens avec Lise Gauvin (1991-2009), Paris, Gallimard, 2010 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Désert, Paris, Gallimard, « Folio », 1980 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. et Jemia, Gens des nuages, Paris, Gallimard, « Folio », 1999 ; MIMOSO-RUIZ, Bernadette, « Le Maroc de Le Clézio: anthropologie poétique et spiritualité » dans Le Clézio, passeur des arts et des cultures (Léger, Roussel-Gillet, Salles dirs), PUR, 2010, p. 65-74 ; MOULINET, Philipe, Le Soufisme regarde l’Occident Tome 2, Paris, L’Harmattan, 2002 ; POULET, Georges, Les Métamorphoses du cercle, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1979.

Désert ; Gens des nuages ; Ma el Aïnine ; Saguia el Hamra.