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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Capitale de la Corée du Sud, Séoul est la troisième ville la plus peuplée au monde après Tokyo et Mexico. En 2010, cette mégalopole située près de la frontière entre la Corée du Sud et la Corée du Nord comptait environ 9,6 millions d’habitants, soit 20% de la population coréenne (Korean Statistical Information Service, 2010). Sur le plan topographique, le fleuve Han hangang[한강] joue un rôle crucial : en provenance d’une région montagneuse à l’Est et se jetant dans la Mer jaune, il coupe la ville en deux, la rive nord et la rive sud, connectées par 28 ponts (The Seoul institute, 2018). Actuellement, la rive nord gangbuk[강북] est composée de 14 arrondissements et la rive sud gangnam[강남] de 11 arrondissements. En outre, la ville s’étale dans une cuvette entourée d’une chaîne de montagnes (The Seoul Research Data Service, 2013). C’est deux ans après la fondation de la dynastie Chosŏn[조선] en septembre 1394 que la ville est choisie comme capitale de cette péninsule, en raison de son environnement bénéfique sur les plans militaire, politique et économique. Le développement de l’économie ultrarapide du pays pendant la seconde moitié du XXe siècle est un autre facteur important pour bien saisir une ville comme Séoul. Après la colonisation impérialiste japonaise (1910-1945) et la Guerre de Corée (1950-1953), la Corée du Sud consacre toutes ses énergies à la croissance économique. Dans les années 60, cette situation moderne renforce la centralisation à Séoul. Devenue en peu de temps archi-industrialisée et surpeuplée, la ville requiert un effort d’urbanisation considérable. Le pays met en place un plan de décentralisation de la métropole. Durant les trois décennies suivantes, des gratte-ciel de bureaux et des immeubles d’habitations de grande taille poussent dans la capitale coréenne et un système de métro couvrant plus de 605 km2 de superficie est implanté. Ceci a pour effet de transformer remarquablement le paysage urbain ainsi que le mode de vie des habitants (La Ville de Séoul).

Les dimensions géographique et historique de Séoul possèdent leur propre charme aux yeux de J.-M. G. Le Clézio. Dans un documentaire réalisé par François Caillat et Antoine de Gaudemar, intitulé Jean-Marie Gustave Le Clézio entre les mondes (2009), ce dernier désigne Séoul comme « une ville réussite » où la violence urbaine et la nature coexistent. Les « cigales » qui « font plus de bruit que les voitures en été » sont comparables, selon lui, au désir humain de « monter le ton » au moyen des « mots de la littérature, de la poésie » contre le vacarme urbain (Gaillat et Gaudemar, 2009). L’auteur découvre la Corée tardivement, et ce grâce à sa carrière littéraire. Et si, depuis quelques années, il enseigne la littérature et le cinéma à l’Université de Nanjing en Chine, c’est d’abord en Corée qu’il a assuré un cours, en tant que professeur honoraire invité à l’Université féminine d’IHWA à Séoul jusqu’à l’année de la remise du prix Nobel, en plus de quelques interventions au Seoul international Forum for Literature (Bobae Oh, 2013). J.-M. G. Le Clézio rencontre également l’Asie sans nul doute par la lecture de traductions des littératures coréennes, chinoises et japonaises. Dans son discours à Stockholm, il cite Hwang Seok-yong comme un des écrivains exilés à la recherche d’une « forêt de paradoxes » qui est « le domaine de l’écriture, le lieu dont l’artiste ne doit pas chercher à s’échapper » (Discours du prix Nobel, 2008). Étant tous deux de la même génération – J.-M. G. Le Clézio est né en 1940, Seok-yong Hwang en 1943 –, ils se rencontreront en 2018 lors de l’entretien autour du thème intitulé « Cinq histoires sur Séoul » (Lecture des Sciences humaines de Kyobo, 2018)

La Corée est donc une inspiration relativement récente de l’œuvre leclézienne. L’auteur séjourne en ce « pays du matin calme » – du nom de la première et la dernière dynasties, Chosŏn[조선 :朝鮮], avant la constitution de la République de Corée au XXe siècle – lors de la rédaction d’Histoire du pied et autres histoires (2011). La nouvelle « Tempête » (2014) est dédiée « [a]ux Haenyo, aux femmes de la mer de l’île d’Udo » (TDN, 2014, 9) qui voisine l’île de Jeju, située à l’extrémité Sud de la péninsule coréenne. J.-M. G. Le Clézio présente également la légende des « fées de la mer » qui « ont apporté aux sept hommes de pierre » de Jeju, « l’art de tisser et de vanner, le chant et la poésie, et le bienfait de cuire les aliments » dans Les Musées sont des mondes (MM, 2001, 21).

Publié avec le soutien de la ville de Séoul (Hyoryeong Shin, 2017), donc d’abord en coréen en décembre 2017,『빛나 서울 하늘 아래』, Bitna-sous le ciel de Séoul (2017) met en avant une des sources actuelles de l’écriture leclézienne. Dans ce roman qui mentionne la capitale coréenne dès le titre, l’aspect poétique scintille ou signale comme le prénom féminin « Bitna » le signifie en coréen : Bitna[빛나], dérivé du verbe bitnada[빛나다] signifie « briller » ou « éclairer » ou du nom commun bit[빛] qui signifie « lumière ». Fille d’un village de pécheurs dans le Sud, Bitna fait ses études à Séoul, ville dans laquelle elle se sent oppressée par la violence de sa tante et de sa cousine, jeune fille gâtée. Son plaisir secret est d’observer les passants et de prendre des notes dans son cahier. La grande librairie à Jongro est le meilleur endroit pour cette activité intime et littéraire où elle découvre très vite le plaisir de voir et de lire tant de livres. Le libraire, Frederick Pak, lui parle d’une jeune femme, Salomé, qui recherche un conteur d’histoires. Dès lors, le roman prend la forme d’une polyphonie à deux niveaux : l’histoire de la rencontre entre Bitna et Salomé, et les cinq historiettes en abyme que Bitna invente pour Salomé. Les deux personnages féminins ont chacune besoin de liberté ; Bitna est pauvre, tandis que Salomé est malade, atteinte du « syndrome douloureux régional complexe » (BF, 98) qui la consume. Leur rencontre, qui rappelle celle d’Anton et Kekesfalva dans La Pitié dangereuse (1939) de Stefan Zweig, leur permet d’outrepasser les barrières sociale et/ou physique qui les séparent du monde. À travers les récits de Bitna, Salomé voyage dans un ailleurs qu’elle ne pourra jamais atteindre. Elle se sent libre comme les oiseaux de Monsieur Cho, personnage principal du premier récit. Ce dernier élève et entraîne des pigeons sur le toit du « Good luck ! » où il travaille, en espérant que ces oiseaux-messagers puissent voler un jour vers la Corée du Nord, terre natale de sa mère. « Good luck ! » est « un grand bâtiment des années 80, un élément de l’ensemble » – 20 étages dans le récit – à « Yongsan » (BF, 21). Étalé sur une colline où se trouve la tour de Namsan, cet arrondissement de Séoul est connu pour abriter la garnison d’une armée américaine et comme le quartier des réfugiés nord-coréens et des rapatriés sud-coréens à la fin de la Guerre de Corée. La traductrice coréenne de Bitna-sous le ciel de Séoul confirme l’existence des endroits de Séoul parcourus par J.-M. G. Le Clézio dont « Yongsan » entre « Seorae village, Gangnam », « Hongdae, Dangsan-dong, Oryu-dong, le parc zoologique de Gwacheon, Chungmu-ro, Jong-ro, Myeong-dong, Youngdeungpo, Yeouido, Insa-dong, Anguk-dong, Gyeongbokgug, Changdukgug, Cheongyecheon, Bukhan-san, Nam-san, Gamsil, Hangang », etc (BC, « épilogue », 246-247). Pour bien comprendre la toponymie en coréen, il importe de rappeler que le mot san[산(coréen) :山(chinois)] signifie « montagne », dong[동 :洞] « quartier » ou « village », gu[구 :區] « arrondissement », ro[로 :路] « rue », po[포 :浦] « port », do[도 :島] ou [도 :都] « île » ou « département », cheon[천 :川] « rivière », gang[강 :江] « fleuve » et gug[궁 :宮] « palais royal ». Par exemple, Yongsan-gu se traduit par l’arrondissement de Yongsan, nom composé de yong[용 :龍] « dragon » et san « montagne », c’est-à-dire « montagne de dragon » ; Hangang « fleuve de Han », etc. Pour l’entraînement de ses pigeons, M. Cho « s’accroupit devant les cages », « parle aux oiseaux », « prononce lentement leurs noms, l’un après l’autre » (BF, 21) :

 

Il souffle sur [le] bec doucement, il murmure les mots qui encouragent, pas des phrases, juste des mots qu’il choisit avec soin, des mots doux, des mots ronds, des mots légers. « Vent » « esprit » « lumière » « aile » « amour » « retour » « herbe » « neige »… (BF, 21)

​​ 

À travers cette image à la fois adamique et divine, M. Cho donne vie aux mots dans un monde de béton : le matériel et le spirituel, se fusionnant, créent une beauté ironique. Dans le troisième récit de Bitna, Hanna, travailleuse dans un orphelinat, trouve une enfant abandonnée dans une petite rue près du quartier très fréquenté de Hongdae, où les étudiants et les jeunes sortent le soir. Naomi, ainsi appelée par Hanna, a « un don que les autres enfants n’ont pas » : « Elle voyait des choses que personne ne voyait » (BF, 147). Tandis que Hanna emmène en vain Naomi dans des endroits religieux comme le « temple de Bongwonsa » (BF, 176), la « cathédrale de Myeong-dong » (BF, 177) et un lieu où se déroule un rite chamanique (BF, 177-178) en croyant qu’« elle devait connaître Dieu » (BF, 176), l’imaginaire de Naomi ressemble plutôt à celui d’un poète qui s’inspire du monde naturel – « le ciel » – et de la lecture littéraire. Pendant une promenade vers Namsan, Hanna récite un poème de « Yun Dongju » (BF, 181), un poète devenu le symbole de la résistance contre l’impérialisme japonais en Corée au début du XXe siècle. Ici, J.-M. G. Le Clézio fait référence au poème « La nuit où je compte les étoiles » de son recueil Ciel, vent, étoiles et poèmes (1948). Ce recueil de poèmes, achevé en 1941, ne verra le jour qu’en 1948, après la mort de son auteur en prison en 1945. Pendant deux ans, il a été détenu pour crime idéologique au pénitencier de Fukuoka : il écrivait uniquement en coréen pendant la période de l’occupation japonaise en Corée (Musée de Yun Dongju 윤동주문학관). Naomi pense que ce poète aurait vu le monde qu’elle voit : les dragons dans le ciel, « [c]elui qui a écrit les poèmes les a vus, j’en suis sûre » (BF, 183), dit-elle. Séoul est une ville où la sensibilité du personnage de Bitna se révèle. Que ce soit M. Cho sur le toit d’un immeuble populaire, ou Naomi, non loin de M. Cho, à Namsan, avec Hanna, ces gens brillent dans le monde leclézien : ils sont Bitna-sous le ciel de Séoul.

 

Hyeli KIM

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

« Section 01. Population », Seoul Statistical Series, The Seoul Institute : http://global.si.re.kr/seoul_statistical_series ; « Seoul Infographics », n° 251, The Seoul Institute, le 15 janvier 2018 : https://www.si.re.kr/node/58681 ; « Topography », The Seoul Research Data Service, 2013 : http://data.si.re.kr/node/49 ; « Urbanisation et transformation », Portail de l’urbanisme de Séoul, Ville de Séoul : http://urban.seoul.go.kr/4DUPIS/sub2/sub2_1.jsp ; CAILLAT François, DE GAUDEMAR Antoine, Jean-Marie Gustave Le Clézio entre les mondes, Paris, Édition vidéo France Télévisions Distribution, France 5, « Empreintes », 2009 ; OH Bobae, « Présentation d’une conférence de J.-M. G. Le Clézio à Séoul », in SALLES Marina, LOHKA Eileen (dir.), Voix de femmes, Les Cahiers J.-M. G. Le Clézio¸ n° 6, Paris, Complicités, 2013, p. 127-128 ; LE CLÉZIO Jean-Marie Gustave, « J.M. G. Le Clézio : Dans la forêt des paradoxes », La Fondation Nobel, le 07 décembre 2008 : https://www.nobelprize.org/uploads/2018/06/clezio-lecture_fr-3.pdf ; Lecture des Sciences humaines de Kyobo et entretien avec J.-M. G. Le Clézio et Hwang Suk-Young sur « Cinq histoires sur Séoul », organisés par La Fondation Daesan et KyoboMoongo, le 12 mars 2018, Séoul (« 2018년 교보인문한석강 특별 초청 대담회 : 르 클레지오·황석영 특별대담», 대산문화재단, 교보문고, 교보생명 주최, 2018년 3월 12일 월요일 저녁 7시 30분, 광화문 교보빌딩 23층 교보컨벤션홀) : http://www.kyobobook.co.kr/culture/cultureClassicDetail.laf?serviceGb=KHU&serviceCd=44&orderClick=zbu ; SHIN Hyoryeong, « Le Clézio “c’est un évènement important que j’ai écrit un roman sur ‘Séoul’” », Newsis, le 14 décembre 2017, (신효령, « 르 클레지오 “’서울’을 소설로 쓴건 내 인생 중요한 사건” », 뉴시스, 2017년 12월 14일) : https://newsis.com/view/?id=NISX20171214_0000176629&cID=10701&pID=10700 ; ZWEIG Stefan, La Pitié dangereuse, Paris, Grasset & Fasquelle, « Les Cahiers Rouges », 2002 ; YUN Dongju, Ciel, vent, étoiles et poèmes, trad. par KIM Hyeon-ju, MESINI Pierre, Marseille, Autres temps, « Temps poétique », 1997 (version originale, YUN Dongju, Ciel, vent, étoiles et poèmes, Séoul, Sowadari, 2016 (윤동주,『하늘과 바람과 별과 시』, 서울, 소와다리, 2016 (1948))) ; Musée de Yun Dongju, 윤동주문학관, Jongro-gu, Séoul : https://www.jfac.or.kr/site/main/content/yoondj01.

Les références en ligne ont été consultées le 11 avril 2020.

 

Ouvrages de J.-M. G. Le Clézio cités dans cet article

MM : Les Musées sont des mondes, Paris, Gallimard/Musée du Louvre Éditions, 2011.

HP : Histoire du pied et autres histoires, Paris, Gallimard, « Blanche », 2011

TDN : Tempête. Deux novellas, Paris, Gallimard, « Blanche », 2014.

BC : Bitna-sous le ciel de Séoul, Séoul, Séoul Collection, 2017 (J. M. G. 르 클레지오, 『빛나 서울 하늘 아래 』, 송기정 옮김, 서울, 서울컬렉션, 2017))

BF : Bitna-sous le ciel de Séoul, Paris, Stock, « La Bleue », 2018.