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Lieux

in Dictionnaire / by simon saliot
15 juin 2016

MALINCHE (LA)

in Dictionnaire / by simon saliot
14 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Le personnage de la Malinche est une figure à la fois historique et mythique. La Malinche est la jeune femme indigène qui agit comme interprète de Cortés lors de la conquête du Mexique. L’origine même du nom Malinche reste inconnue et pourrait venir du côté espagnol (déformation de Marina, son nom de baptême) comme du côté nahuatl (déformation de Malintzin).

Née autour de 1500, Doña Marina est elle-même originaire de la région de Veracruz, une province de l’empire aztèque, et a donc le nahuatl comme langue maternelle. Vendue par son peuple à un seigneur des nations mayas du Yucatán, dont elle apprend la langue, elle est ensuite offerte à Cortés en 1519 (Arjona, 2002, 9-10). Après l’inévitable baptême au cours duquel la jeune femme reçoit le nom chrétien de Marina, Cortés l’emmène dans son périple et c’est lors des contacts ultérieurs avec les Aztèques que débute la carrière d’interprète de la Malinche. Elle devient la lengua, langue, des Espagnols, terme utilisé par les contemporains de Bernal Díaz del Castillo et qui indique bien la dimension que prend pour les découvreurs le rôle d’interprète : à la fois organe et système, il concentre en sa personne la communication même.

 

La Malinche dans les textes historiques

 

La figure de la Malinche est présentée dans Le Rêve mexicain ou la pensée interrompue (RM), comme l’un des personnages importants de la conquête du Mexique. L’ouvrage historique qui décrit la Malinche le plus en détail est aussi le point de départ du Rêve mexicain : l’immense chronique de Bernal Díaz del Castillo. Ce dernier accompagne Cortés dans ses déplacements dans tout le Nouveau Monde mexicain et en Amérique centrale, et sa chronique possède de nombreux éléments de geste qui forment la pierre angulaire d’une tradition mythique dont la Malinche deviendra la figure de proue.

L’objectivité de cet ouvrage est loin d’être démontrée : Díaz del Castillo le publie en effet plus de cinquante ans après les faits, en réaction aux « mensonges de cour » (RM, 56) de Francisco López de Gómara. Ce prêtre espagnol engagé par Cortés en 1540 pour écrire sa biographie n’a jamais foulé le sol du nouveau continent. Son ouvrage publié en 1552, Historia general de las Indias y Vida de Hernán Cortés, dans lequel Gómara ne parle que très brièvement de doña Marina (Arjona, 2002, 15-19), regorge d’un tel nombre d’erreurs, historiques et factuelles, que le dauphin Philippe d’Espagne interdit sa réimpression.

 

D.Muñoz Camargo. El Lienzo de Tlaxcala, c. 1585.

On retrouve des traces de la Malinche dans un autre ouvrage historique : Le Codex de Florence, « l’admirable somme laissée en testament par le peuple mexicain » (RM, 248) – compilation d’entretiens du moine espagnol Bernardino de Sahagún avec des informateurs mexicains et rédigé en nahuatl avec, à certains endroits, une traduction en espagnol dans la marge de gauche. Cet ouvrage contient également un grand nombre d’illustrations où la Malinche figure en bonne place, debout aux côtés de Cortés, avec à sa gauche les guerriers espagnols et mexicains alliés, et à sa droite les caciques.

Cortés écrit, dans sa première lettre à Charles Quint : « après Dieu, c’est à Doña Marina que nous devons la conquête de la Nouvelle Espagne » (Carmona, 2007). Or, si la participation de doña Marina est certes importante d’un point de vue stratégique, elle n’est pas pour autant seule responsable, comme le veut l’imaginaire populaire mexicain, de l’anéantissement d’une civilisation entière. Elle renseigne Cortés sur les divisions entre les nations qui constituent le royaume aztèque, ce qui donne aux Espagnols la possibilité de s’allier à certaines d’entre elles pour mieux vaincre Moctezuma. Cependant, d’autres facteurs entrent en jeu : « les armes modernes » (RM, 11) des Européens, les épidémies qui déciment les autochtones sans que les conquérants aient à lever le petit doigt et, bien sûr, « le rêve d’or des Espagnols, rêve dévorant, im-pitoyable » (RM, 11), principal coupable du « drame de la Conquête du Mexique ». S’y ajoutent « le travail forcé, l’esclavage systématique, l’expropriation et la rentabilisation des terres, et surtout cette désorganisation délibérée des peuples, afin non seulement de les maintenir, mais aussi de les convaincre de leur propre infériorité » (RM, 213).

 

Figures historiques et mythiques de la Malinche

 

De l’époque coloniale à nos jours en passant par les périodes d’indépendance, de nationalisation, d’indigénisme et de retour aux sources, on superposera sur cette figure féminine tous les rôles et les mythes, de la Chingada (la grande prostituée de l’imaginaire populaire mexicain) à la Llorona (fantôme des légendes latino-américaines), de la Mère de la patrie à sa destructrice.

Associée dans l’imaginaire populaire à la Vierge de Guadalupe, sainte patronne de la nation, la Malinche partage aussi de nombreuses caractéristiques de la déesse aztèque Tonantzín. Personnage féminin complexe représentant, pour l’imaginaire chrétien des conquistadors, la transgression de l’autorité masculine et blanche, cette dernière est associée par certains chroniqueurs espagnols, notamment Bernardino de Sahagún, au personnage double d’Ève et du serpent.

 

J.C. Orozco. Cortés y la Malinche, 1926.  ​​​​ Fresque. Colegio San Ildefonso. México.

 

Cette ambiguïté est évoquée dans Ourania (OU), où la Malinche est campée sous les traits d’Ariana Luz et, de façon plus subtile, sous ceux de Lili de la lagune. Dans le premier cas, elle est montrée, sans équivoque, sous le jour de la « mauvaise » Malinche : la traîtresse, l’opportuniste, la dévergondée. Lili, quant à elle, présente de nombreuses caractéristiques de la Malinche, notamment son aspect de « passeur ». La jeune indigène « à la vie perdue » (OU, 131) incarne à la fois la souffrance des femmes exploitées et celle des colonisés réduits en quasi-esclavage par les puissants de la mondialisation. Pourtant, Lili représente la persistance et la beauté d’un esprit humain intemporel : « Tu as l’âge du basalte des temples, tu es une racine impérissable. Tu es douce et vivante, tu as connu le mal et tu es restée nouvelle. Tu repousses la frange d’ordures au bord du canal, tu filtres l’eau noire de la lagune d’Orandino [...] » (OU, 112). La chimère du rêve américain que Lili cherche à rejoindre n’est-elle pas l’équivalent, à notre époque, du rêve des Conquistadors au temps de la Malinche ?

 

Les féminités de la Malinche

 

La Malinche n’échappe pas aux rôles féminins stéréotypés. S’est-elle donnée volontairement au conquistador, ou celui-ci l’a-t-il violée ? Peu importe la réponse : Cortés a possédé la Malinche ; la femme mexicaine, par sa faiblesse, s’est laissé souiller par le conquérant.

 

A. Ruíz. El sueño de la Malinche, 1939.

 

Dans El Laberinto de la soledad, son ouvrage sur l’identité mexicaine, Octavio Paz assimile la nation mexicaine à la Malinche. Il les rapproche dans l’optique de leur viol commun par les Espagnols, mais aussi dans la « passivité abjecte » qu’elles démontrent dans l’offre de soi, caractéristique principale de La Chingada. Cette figure autodestructrice, dont le nom en espagnol mexicain signifie littéralement « la femme baisée » (dans le sens sexuel aussi bien que métaphorique), constitue une « atroce incarnation de la condition féminine » (Paz, 1984, 77-78).

La Malinche est accusée de collusion avec l’ennemi et d’assimilation. Elle est aussi la source de l’ignominie de l’homme mexicain d’aujourd’hui. Fils symboliques d’une femme autochtone violée et d’un père blanc sanguinaire, descendants d’un bâtard métis, les Mexicains sont d’emblée déshonorés et émasculés. La femme mexicaine, faible et impuissante, est condamnée à prouver continuellement sa pureté et à atteindre à un idéal impossible : celui de la Vierge de Guadalupe, à la fois pure, chaste et enceinte. En assimilant le Mexique à la Malinche, Paz crée ainsi une double aliénation identitaire d’un peuple qu’il voit comme vaincu.

Cependant, la Malinche est tout sauf un personnage de victime. Si elle suscite de telles réactions – mais jamais l’indifférence – c’est entre autres en raison de la puissance qu’elle dégage. En considérant qu’elle a causé la perte du peuple mexicain, on l’investit d’un immense pouvoir – et c’est justement ce qui dérange. L’irritation qu’elle cause chez ses détracteurs se traduit donc par l’insulte la moins originale que l’on puisse faire à une femme : la traiter de putain.

La Malinche est une figure emblématique de la question métisse dans le Nouveau monde. En effet, comme le souligne Octavio Paz, la société mexicaine est érigée sur un métissage de longue haleine entre Européens et Indiens – une terre de passés superposés (Paz, 1984, 69-71). Le peuple mexicain se targue d’être un peuple métissé, voire une « race cosmique » (Vasconcelos, 1925). Don Martín, le fils qu’elle a de Cortés, recevra l’appellation de « premier Mexicain » pour illustrer, de façon d’ailleurs délibérément subjective et à des fins d’unification nationale, le caractère métissé de ce peuple.

Au cours des dernières décennies, pourtant, la figure de la Malinche est devenue la figure de proue d’un nouveau courant de pensée interculturel, féministe et plurilingue, qui célèbre le caractère subversif de ce personnage. Aujourd’hui, elle est très populaire au Mexique et chez les Mexicains vivant aux États-Unis. L’importante immigration qui se déroule de nos jours entre les deux territoires fait l’objet de nombreuses remises en question. De jeunes Américains d’origine mexicaine, des Mexicains américanisés ou des métis (chicanos) se qualifient eux-mêmes de fils de la Malinche (se réappropriant ainsi le titre de Paz).

Ainsi, la Malinche demeure, même en dehors du Mexique, un personnage extraordinairement ambigu dont le statut d’entre-deux éveille encore, six siècles plus tard, la curiosité et le désir d’interprétation.

Caroline Mangerel

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ARJONA, Gloria, Mutaciones de la Malinche: Itinerarios de una leyenda en México y los Estados Unidos, thèse de doctorat, University of Southern California, 2002 ; BLYTHE, Martin, A Tale Of Two Women, Malinche as the Virgin of Guadalupe, <http://sexualfables.com/a_tale_of_two_women.php>, consulté le 2 août 2012 ; CARMONA, Doralicia, « Malinche », Memoria política de México, 2007 (http://memoriapoliticademexico.org/Biografias/MAL05.html, consulté le 2 septembre 2012) ; DÍAZ DEL CASTILLO, Bernal, Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, México, Porrúa, 1967 ; LANYON, Anna, The New World of Martín Cortés, Crows Nest (Australie), Allen & Unwin, 2003 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Le Rêve mexicain ou la pensée interrompue, Paris, Gallimard, « NRF essais », 1988 ; Ourania, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2007 ; PAZ, Octavio, El laberinto de la soledad, México, FCE, 1984 ; VASCONCELOS, José, La raza cósmica. Misión de la raza iberoamericana, Madrid, Agencia Mundial de Librería, 1925.

La Fête chantée ; Ourania ; Le Rêve mexicain.

Avant-propos

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Lors d’une table ronde à l’île Maurice, le 19 juin 2013, J.-M.G. Le Clézio déclarait : « Les dictionnaires, les encyclopédies sont de merveilleux outils pour former l’esprit1 ». Cet intérêt pour les dictionnaires, attesté dans le paratexte, remonte à l’enfance et en particulier à la découverte, dans la bibliothèque de sa grand-mère, de cette pièce rare : le Dictionnaire de la conversation. L’auteur confie à Gérard de Cortanze : « Je lui dois les plus grandes émotions de mon enfance. Cet ouvrage rébarbatif, écrit en grande partie dans un français vieilli, m’apparaissait comme fait de la matière même du rêve. Et quel rêve extraordinaire ! C’était un monde dans un livre » (2000, 34). De ces joies de lectures de l’enfance, l’œuvre fictionnelle porte trace : le narrateur de « Fascination » rappelle son plaisir à « monter l’escalier de sa grand-mère et à [s’] enfouir dans un fauteuil pour lire les dictionnaires en regardant la lumière du soleil » (P, 119), et c’est dans L’Astronomie populaire de Flammarion que Daniel Sillitoe découvre « le pays imaginaire » d’Ourania.

Dictionnaires et encyclopédies ouvrent grand les portes du monde, du divers, d’un savoir sans frontières à l’enfant que le contexte de guerre contraint à l’enfermement dans la maison de Roquebillières, ou à l’adolescent trop à l’étroit dans le cadre étouffant de la ville de Nice. Ils sont à la source de cette érudition culturelle et lexicale dont Jean Onimus relève l’étendue et la diversité : « Pour bien lire Le Clézio, il faut disposer d’un atlas, d’une flore mondiale, de bons livres sur les Mascareignes, sur l’Afrique, en particulier le Maroc, et le Mexique » (1993, 172). Une érudition très éloignée au demeurant de toute cuistrerie, puisque donnant son élan à l’imaginaire, nourrissant la rêverie, elle participe intensément à l’activité créatrice.

L’écrivain se distingue par cette aptitude à faire du mot le sésame qui ouvre sur l’autre côté de ce qui borne, les frontières, voire le réel : « Il y a tant de force cachée dans les noms. Ils se gonflent et vibrent comme des bulles. Ils peuvent d’un seul coup nous transporter au fond de la Sibérie, au centre de l’Océan Indien ou à Calcutta. Les gens ne se doutent pas de ce qu’il y a dans les noms » (VAC, 200). Le Dictionnaire répond à ce goût charnel pour la sonorité des mots, perceptible dans les listes qui émaillent les premiers livres : énumération, dans La Guerre, des nouveaux textiles dérivés de l’industrie chimique avec leurs noms de « berger[s] grec[s] » (Barthes), déclinaison cocasse de toutes sortes de collectionneurs dans Terra Amata, inventaire des plantes sous leurs noms latins dans La Quarantaine, chapelets de noms d’étoiles dans Le Chercheur d’or et Ourania…

Affranchis des limites et des contraintes imposées par la syntaxe et l’exigence du Signifié, les mots à l’état neutre, « à l’état pur », les mots du dictionnaire se dressent dans leur richesse et leur dénuement. « Riches de tout leur passé » – étymologie, histoire de la langue, évolution graphique, ils le sont aussi « de leur avenir » : emplois nouveaux, au propre et au figuré, dérivation, connotations à la lecture. Pauvres de leur défaut d’incarnation, ils représentent la possibilité même de la littérature : « C’est quand ils sont si près de la mort que les mots sont profondément dans la vie. Ils sont le commencement », écrit J.-M.G. Le Clézio dans L’Extase matérielle (40).

La rédaction d’un Dictionnaire Le Clézio paraît donc une entreprise en parfaite congruence avec la démarche créatrice de l’écrivain. À condition de ne pas figer dans le temps une œuvre toujours en cours d’élaboration et de ne pas en appauvrir la polysémie par excès de rationalisme, un tel ouvrage répond à une triple nécessité. L’objectif est de faire le point des connaissances sur une production littéraire riche d’une cinquantaine de livres – romans, nouvelles, essais, sans parler des articles et des préfaces –, et qui a donné lieu à de nombreux travaux de recherche à travers le monde, de contribuer à l’élaboration du lexique qu’appelait de ses vœux Jean Onimus et de fournir des informations sur certaines realia dont s’inspire l’auteur qui se documente, explore les archives.

Nous souhaitons que ce dictionnaire accompagne la promenade des lecteurs de J.-M.G. Le Clézio dans « le bois de son œuvre » (Umberto Eco). Chaque entrée est pensée comme « un commencement », une invitation à parcourir les vastes allées que dessinent les lieux spécifiquement lecléziens, les œuvres et les thématiques majeures. Ou des sentiers moins balisés découvrant « la force cachée » de mots rares ou insolites, de noms énigmatiques, qui témoignent de la curiosité universelle de J.-M.G. Le Clézio, saluée par le Jury du Prix Nobel, et de l’inscription concrète et précoce de l’interculturalité dans ses écrits.

 

Marina Salles (octobre 2013)

 

 

 

1 Cette table ronde sur le thème du voyage, en présence de J.-M.G. Le Clézio, Issa Asgarally et Martha Van Der Drift s’est tenue dans les jardins de l’hôtel La Pirogue à Flic en Flac.

cf. http://www.associationleclezio.com/index.html

 

HUMBOLDT (VON) ALEXANDER

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016

Alexander von Humboldt, né en 1769 et décédé en 1859, est un naturaliste, géographe et explorateur allemand. Frère du philosophe et fonctionnaire d’État prussien Wilhelm von Humboldt (1767-1835), Alexander von Humboldt va, avec ce dernier, marquer son siècle et l’histoire des sciences, et ce, au sein de différentes disciplines, son frère Wilhelm étant considéré comme l’un des fondateurs de la linguistique moderne. Après une formation dans les Universités de Francfort-sur-l’Oder et de Göttingen, ainsi qu’à l’Académie de commerce de Hambourg et à l’École des Mines de Freiberg, Alexander von Humboldt entre à partir de 1792 au service des mines de la Prusse. C’est dès cette même année qu’il mène et publie parallèlement ses premiers travaux en géologie, en chimie ou encore en botanique, qui le font rapidement connaître.

En 1799, Humboldt obtient une autorisation du roi d’Espagne Charles IV pour visiter les colonies espagnoles d’Amérique. Ainsi, de 1799 à 1804, il entreprend, en compagnie du botaniste français Aimé Bonpland (1773-1858), un important et désormais célèbre voyage dans la zone tropicale du « Nouveau monde » (terme qui désigne, au XVIe siècle, les continents de l’Amérique et de l’Océanie, alors récemment découverts par les Européens) et plus particulièrement en Amérique du sud et au Mexique. L’objectif est de mener une étude approfondie sur ce continent, tant dans le domaine de la géographie que de la botanique, l’océanographie, la minéralogie, le volcanisme ou encore l’économie poli-tique. L’ensemble des observations et des données scientifiques recueillies lors de cette expédition seront présentées dans un ouvrage intitulé Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, publié en trente volumes entre 1807 et 1834.

Ce voyage et les nombreuses publications qui en résultent ont plusieurs conséquences sur l’œuvre et les recherches de Humboldt. D’une part, à l’issue de ce voyage, et du fait de la qualité de ses observations et des données scientifiques recueillies, Humboldt sera considéré comme le fondateur des explorations scientifiques modernes. D’autre part, en croisant les altitudes, la luminosité, l’humidité, les variations de température et les formations végétales dans son étude sur les plantes, il devient l’un des précurseurs de la bio-géographie. Enfin lorsqu’il tente de caractériser chaque peuple qu’il rencontre, il se montre anthropologue et linguiste. À partir de l’étude de nombreuses archives accumulées par les Espagnols depuis leur conquête, il s’attache à mettre en lumière toute la richesse et l’ancienneté de la civilisation indienne, dénonçant par là même le colonialisme et l’esclavagisme : deux thèmes chers à J.-M. G. Le Clézio, très présents dans sa vie et dans ses œuvres, et qui justifient certainement l’intérêt qu’il porte à ce géographe.

Au XIXe siècle, la géographie, en s’imposant définitivement comme une discipline universitaire, entraîne une séparation et une nouvelle structuration des différentes sciences jusque-là abordées par Humboldt. Ce dernier, ayant toujours prôné une approche totalisante (mais non systémique) qui met en évidence des interactions entre différentes disciplines, occupe alors un statut de plus en plus « inclassable » aux yeux des scientifiques de son époque. N’étant plus reconnus comme un modèle scientifique, ces travaux ne suscitent, dès lors, que peu d’intérêt à partir de cette période, et ce jusqu’au tout début du XXIe siècle, où l’œuvre d’Alexander Von Humboldt connaît un regain d’intérêt au sein de cette même communauté scientifique. En effet, les nouveaux questionnements nés de la relecture/redécouverte de ses travaux (à l’occasion du bicentenaire de son expédition), notamment sur l’idée d’équilibre bio-géographique entraînent la réédition de plusieurs volumes de son ouvrage. De nombreux scientifiques reconnaissent alors que l’un des points forts de Humboldt est d’avoir su montrer, contrairement à ce qui était couramment admis au XIXe siècle, comment « faire de la science sans séparer » (Helmreich, Hossard et Velut, 2002).

C’est en 1803 que Humboldt se rend au Mexique, où il reste jusqu’en 1804. Il y visite de nombreuses villes, dont Mexico, Acapulco ou encore Vera Cruz, dont il donne une description géomorphologique et statistique célèbre dans un volume paru en 1808-1809, intitulé Plantes équinoxiales recueillies au Mexique : dans l’île de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux Andes de la Nouvelle Grenade, de Quito et du Pérou, et sur les bords du rio-Negro de Orénoque et de la rivière des Amazones. C’est ce même volume que J.-M. G. Le Clézio parcourt lors de son affectation de service civil à l’Institut français d’Amérique latine à Mexico, en 1967, année de sa découverte du Mexique. Cette lecture lui permet de constater que l’architecture du pays, transformée par les conflits et les conquérants, n’est plus telle que la décrit Humboldt. En revanche, il est touché de constater que le peuple mexicain a su préserver les traditions de la civilisation indienne, dont le géographe avait souligné toute la richesse.

Le nom de Humboldt apparaît dans Ourania, cité par Don Thomas Moises, le directeur du centre de recherche l’Emporio, lorsqu’il donne des conseils au géographe Daniel Sillitoe pour la préparation d’une conférence : « Vous pourriez parler de Humboldt, ou de Lumholtz, l’auteur du Mexico desconocido, vous savez qu’il est passé par ici, il a même logé au presbytère de San Nicolas, avant de s’aventurer dans la sierra tarasque » (OU, 72). À noter que le nom de Humboldt est cité en même temps que celui de l’explorateur et ethnographe Lumholtz (1851-1922), qui réalisa également une exploration au nord du Mexique en 1890. En citant le nom de Humboldt, Don Thomas fait bien évidemment référence à la célèbre expédition du géographe en Amérique du sud et plus particulièrement au Mexique. D’autant plus que les travaux de Humboldt menés au Mexique (essentiellement des relevés géomorphologiques, botaniques et statistiques) n’étaient pas très éloignés de ceux de Daniel Sillitoe, venu dans le pays pour réaliser un relevé pédologique de la Vallée du Tepalcatepec. Et c’est très certainement en relation avec les travaux du géographe allemand que le héros d’Ourania invite les habitants de la vallée à ne pas épuiser, par la culture intensive, la terre, « notre peau », que les peuples autochtones avaient su protéger.

Pierre-Louis Ballot

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

HUMBOLDT, Alexander von et BONPLAND, Aimé, Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, 30 vol., Paris, 1807-1834 ; Plantes équinoxiales recueillies au Mexique : dans l’île de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux Andes de la Nouvelle Grenade, de Quito et du Pérou, et sur les bords du rio-Negro de Orénoque et de la rivière des Amazones, vol.1 et 2, Paris, Frédéric Schoell, 1808-1809 ; HOOCK, Jochen, 2003, « Humboldt, Wilhem von ; Humboldt, Alexander von », in Lévy J. et Lussault M., Dictionnaire de géographie, Paris, Belin ; LASSEUR, Maud, « Humboldt : le retour d’un père de la géographie », Les Cafés Géographiques. [En ligne] | 2002, consulté le 22 décembre 2014. URL : http://cafe-geo.net/wp-content/uploads/humboldt-pere-geographie.pdf ; LE CLÉZIO, J.-M. G., Ourania, Paris, Gallimard, Folio, 2006 ; « Mexique, la magie de la mémoire », Le Monde, Paris, 2009 (12 mars).

 

JADI

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Personnage clé du roman Ourania, Anthony Martin (surnommé Jadi, qui dans la langue de la communauté de Campos signifie l’ « Antilope ») est en même temps le grand absent du livre. En effet, il n’est à aucun moment rencontré par Daniel Sillitoe, le protagoniste géographe qui entreprend un périple au Mexique. En échange, son portrait s’esquisse progressivement, dans les divers pans de l’Histoire de Raphaël Zacharie, adolescent que Daniel rencontre par hasard, aussi bien que dans la description faite par ce narrateur énigmatique qui l’accompagne à partir de son exil jusqu’au ​​ moment de sa mort.

Jadi est avant tout le créateur d’une communauté qui accueille « les gens qui se sont perdus » (Ou, 181) et qui peuvent ainsi se forger des repères sociaux au sein d’un groupe fondé sur des « solidarités mystérieuses » – pour reprendre le titre d’un livre de Pascal Quignard – favorisées par leur statut de démunis. Figure démiurgique, il est indispensable à leur existence et surtout à leur devenir, selon Raphaël : « Sans lui, rien de ce qui se trouve ici n’existerait. Sans doute nous-mêmes ne serions pas devenus ce que nous sommes. » (Ou, 178). De manière plus prosaïque, mais pour autant non moins dépourvue d’importance, Jadi redevient (textuellement aussi !) Anthony Martin, le Conseiller, lorsque, en ancien employé d’un agent d’assurances, il sait pourvoir aux besoins financiers de sa communauté au moment de l’exil.

En même temps, Jadi est une figure patriarcale de substitution ; sa présence en impose, bien qu’en douceur et surtout en dehors de toute autorité : c’est un « vieil homme » au visage « éclairé par le soleil », qui a « de longs cheveux noirs mêlés de fils d’argent » et surtout « un sourire très doux » (Ou, 107-108). Bien que Le Clézio se garde de recourir trop facilement à une telle analogie, certains de ces aspects – y compris une partie de la description physique – ne sont pas sans rappeler la figure christique. Comme le Christ, ce « père spirituel » accorde une place de choix aux enfants qui, à Campos, sont les vrais « maîtres » du lieu et les créateurs de l’elmen, idiome qui leur est propre. Ainsi il se fait l’écho des paroles bibliques lorsqu’il affirme que les adultes doivent apprendre à être petits pour devenir des humains.

En tant que créateur d’une communauté, Jadi est également un élément d’équilibre et une source de savoir – raison pour laquelle on l’appelle le Conseiller. Cependant, à son « école », il n’y a pas vraiment d’enseignement et pas de discipline autre que la vie, et c’est pourquoi Jadi n’aime pas que les habitants de Campos le prennent pour un Maître et qu’ils affirment leur appartenance à une idéologie (l’épisode où il met par terre le zarappe arc-en-ciel accroché comme une bannière par certains jeunes de son entourage est révélateur à cet égard). Ce qu’il transmet, c’est la fascination de ce qui est, tout simplement (rappelons que l’emploi du futur est banni dans l’énonciation à Campos !). C’est là un clivage à partir duquel la figure christique est doublée d’une dimension chamanique mais dépourvue de l’élément religieux, car Jadi veut faire éprouver aux autres « l’extase matérielle ». En cela, il se fait l’écho – beaucoup plus assagi ! – des exhortations de Le Clézio dans son ars poetica de jeunesse. Si la voix de L’Extase matérielle rappelait plutôt celle d’Adam Pollo, Jadi choisit de renoncer à l’enseignement par la parole afin que ses « disciples » comprennent le mystère et l’éphémérité de la présence par eux-mêmes, surtout lors de la grande fête « regarder le ciel », qui mêle hypnose, transe et abandon de soi au « cinéma » des étoiles et du vide qui les relie.

Néanmoins, ce vide, Jadi le porte en lui consciemment. Lucide, il sait que son projet n’est qu’une étoile filante prise comme repère par les habitants d’une île mystérieuse : en latin, l’un des sens du nom insula est, d’ailleurs, celui de groupe de maisons isolées. Cependant, malgré la barrière des montagnes, le village n’est « insulaire » ni dans le temps (Jadi avertit souvent que les membres de la communauté doivent un jour lever l’ancre), ni dans l’espace (Campos est exposé, connu et, implicitement, voué à dis-paraître sous l’effet des forces extérieures que les marginaux ne peuvent jamais vaincre).

Si Le Clézio affirme dans une interview que la plupart des lieux d’Ourania ont réellement existé, et s’il a été possible de rapprocher Anthony Martin de Lanza del Vasto, fondateur des Communautés de l’Arche, Jadi est surtout un descendant de Martin dans « Hazaran », devenu spectre romanesque d’un Robinson vivant entouré de ses Vendredi, que la civilisation (sic !) « sauve » malgré eux pour les faire ensuite échouer dans un monde trop attentivement cartographié, où l’insularité est à jamais impossible. Ce n’est point anodin qu’Anthony Martin – dans le texte, l’auteur emploie à dessein son vrai nom – trouve sa fin en rêvant sur l’île idéalisée, mais qui s’avère une réserve naturelle d’où les « foutus touristes » (c’est ainsi que les autorités désignent le troupeau en errance) finissent par être chassés. Son surnom devient alors repère pour le monde contemporain qui devrait au moins cultiver une certaine nostalgie du passé, du Jadis, en espérant redécouvrir quelque part une « île du jour d’avant » (Umberto Eco)…

 

Bogdan Veche

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BALLOT, Pierre-Louis, « Ourania, de Jean-Marie Gustave Le Clézio : quand le géographe-missionnaire devient un géographe-voyageur », Journal Le Point G, no 5, Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, Bordeaux, décembre 2011, p. 6-7 ; FILLON, Alexandre, « Le pays hors du temps », Lire, no 369, février 2006, p. 60-61 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Ourania, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006 ; Rencontre avec J. M. G. Le Clézio, à l’occasion de la parution de Ourania (2006), URL: http://www.gallimard.fr/catalog/Entretiens/01057920.htm (consulté le 15 janvier 2016) ; ROUSSEL-GILLET, Isabelle, « Les cartes du ciel à l’œuvre chez Le Clézio », Textimage, no 2 « Cartes et plans », été 2008 ; SALLES, Marina, « Ourania de J.M.G. Le Clézio : une utopie historisée, un roman politique », Itinerários, UNESP Araraquara, 2011, p. 127-142 ; THIBAULT, Bruno, J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam & New York, Éditions Rodopi, 2009.

Ourania ; Utopie.

 

FRIDA KAHLO

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
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RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
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CHAGOS (ARCHIPEL DES)
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EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
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NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
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MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
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Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Le livre Diego et Frida de Le Clézio présente un bel hommage à Frida Kahlo (1907-1954), artiste peintre mexicaine, l’âme sœur de Diego Rivera, familière des surréalistes français, des marxistes et communistes qui ont dessiné le paysage socio-culturel du Mexique de la première moitié du vingtième siècle. Née en 1907 d’un père d’origine allemande (Wilhelm Kahlo) et d’une mère Mexicaine d’origine indienne (Mathilde Calderón) – parents de bonne famille – Frida entre en école préparatoire en 1922 et souhaite étudier la médecine. Dès son très jeune âge, elle rêve de voyager, de faire de brillantes études, elle désire vivre la liberté et le plaisir. Mais à 18 ans, le 17 septembre 1925, revenant de l’école d’art, son bus percute un tram et une barre de fer transperce Frida de l’abdomen au vagin. Ses jambes et surtout ses vertèbres subissent les plus graves séquelles. Cet accident marquera un grand tournant dans la vie de la jeune fille. Elle doit rester de longs mois alitée, et porter des corsets. Pour pallier cette immobilité et les douleurs, elle commence à peindre. Sa mère lui installe un miroir au-dessus du lit, et c’est ainsi que Frida se met à réaliser des autoportraits, dont l’Autoportrait à la robe de velours, en 1926.

En 1928, ayant recouvré presque toute sa mobilité, Frida Kahlo s’inscrit au Parti communiste. Cette même année, elle rencontre le fameux peintre muraliste Diego Rivera et lui montre quelques-uns de ses tableaux. C’est le début d’une histoire d’amour tumultueuse. En 1929, Frida et Diego se marient et s’installent l’année suivante à San Francisco, où Frida rencontre de nombreux artistes. C’est à partir de ce moment que Frida s’identifie peu à peu à la tradition du Yucatán et à la Révolution mexicaine, que Le Clézio célèbre dans les premières pages du récit Diego et Frida. Après des allers-retours entre les États-Unis et le Mexique, le couple Kahlo-Rivera rentre à Mexico pour habiter une nouvelle maison dans la banlieue San Angel. Mais Frida subit deux fausses couches en 1930 et 1932. Elle peint Henry Ford Hospital ou le lit volant durant sa convalescence. Ensuite, dès 1934, affaiblie par une troisième fausse couche, elle découvre, quelques mois plus tard, la liaison entre son mari et sa sœur adorée, Cristina. Elle décide donc de s’isoler en s’installant dans un appartement pour quelques mois. Elle aussi aura des liaisons extra-conjugales, dont une idylle avec Léon Trotsky, pour lequel Diego a obtenu l’asile politique en 1937, et qui sera alors hébergé dans leur maison bleue de Coyoacán.

En septembre 1938, André Breton est envoyé à Mexico par le ministère des Affaires étrangères pour y prononcer une série de conférences sur l’état de la poésie et de la peinture en Europe. Avec sa femme Jacqueline Lamba, il est accueilli par le couple Kahlo-Rivera. À cette occasion, Frida Kahlo se défend d’être surréaliste : « On me prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité » (p. 220), consigne-t-elle dans son Journal. Toujours en 1938, Frida expose ses œuvres dans la galerie de Julien Levy, à New York, où elle rencontre un franc succès. En 1939, elle se rend à Paris pour y exposer à la galerie Renou & Colle. De retour à Mexico, elle divorce de Diego. C’est à cette époque qu’elle peint le célèbre tableau The Two Fridas (1939), qui symbolise le déchirement de la séparation et le dédoublement. Un an plus tard, le 8 décembre 1940, Frida se remarie avec Diego.

En 1953, une première exposition de l’œuvre de Frida Kahlo est organisée à Mexico. Mais durant l’été, on doit lui amputer la jambe droite. Frida meurt en 1954 à 47 ans et laisse derrière elle une immense douleur et des œuvres importantes, dont Quelques petites piqûres (1935) ou La Colonne brisée (1944), tableau qui met en lumière ses souffrances physiques et morales après la trahison de Diego. Dans Diego et Frida, Le Clézio écrit :

Frida mourut le 13 juillet, exactement sept jours après avoir accompli quarante-sept ans. Le lendemain, sous une pluie battante, Diego accompagna Frida couchée dans le cercueil ouvert, vêtue de sa belle chemise blanche de Yalalag, jusqu’au palais des Beaux-Arts où il voulait que lui soit rendu un dernier hommage. Puis le cercueil fut recouvert du drapeau rouge portant l’étoile et l’emblème de la faucille et du marteau, et conduit jusqu’au four crématoire du cimetière civil de Dolores. (D&F, 198)

L’extraordinaire destinée de Frida Kahlo, liée à celle de Diego Rivera, témoigne d’une passion assidue pour la peinture, où elle puise son énergie vitale :

Cette frêle fille, sous les apparences fantasques et son faux air d’enfant mal grandie, est une véritable artiste, c’est-à-dire qu’elle est habitée, comme lui [Diego], par un démon mystérieux, qui agit en elle et la pousse vers la peinture. (D&F, 96)

C’est ce souffle de la passion pour la vie et l’art, perceptible dans les témoignages de Le Clézio et de Diego lui-même, qui rend Frida aussi précieuse que touchante : les étapes de sa création et les épreuves de la maladie sont continuellement animées par la ferveur et une vive conscience des dichotomies du monde et de son histoire. Le Clézio souligne :

Avec sa réserve, avec ce troisième œil que la souffrance a ouvert sur son front, Frida, elle l’a perçu depuis le commencement. Le monde pour elle est depuis toujours divisé en deux : d’un côté la nuit et de l’autre le jour, la lune et le soleil, l’eau et le feu, le songe et la réalité, la cellule-mère, ou la grotte de l’utérus, et la violence du spermatozoïde, le couteau qui tue. (D&F, 209-10)

Ainsi Frida Kahlo, visionnaire et combative, reste fidèle à un art engagé dans la défense des femmes et des hommes qui, à un moment de leur existence, vivent dans la souffrance absolue, dans l’isolement et la marginalité. Dans Diego et Frida, Le Clézio la présente comme une sorte de madone de la souffrance des femmes. Au début des années 1940, de plus en plus affaiblie par son infirmité, Frida mène une vie en retrait à la Casa Azul de Coyoacán. Ce refuge est un prolongement de son corps, « où chaque pierre, chaque meuble [est] imprégné de la mélancolie du souvenir et de la marque de la douleur » (D&F, 233). Frida devient ainsi la prêtresse d’un culte « qui la relie à tout l’univers » (ibidem), et en même temps, à chaque parcelle vivante de son invincible amour pour Diego. La maison est alors une sorte d’univers clos où il lui est possible de trouver le monde entier.

Rappelons ici que le sixième volume des Cahiers Le Clézio, sous la direction de Marina Salles et Eileen Lohka, est consacré aux « voix des femmes » dans l’œuvre leclézienne. Parmi elles, la figure de Frida Kahlo demeure singulière : l’étrange histoire d’amour avec Diego, son expérience de la douleur et de la solitude, leur rencontre avec Trotsky et Breton, l’aventure américaine et la surprenante fascination exercée par Henry Ford – tout cela marque le rôle indéniable de Frida et de Diego dans le renouvellement du monde de l’art. En quelque sorte, Frida n’existe pas sans Diego, tout comme l’œuvre de Diego et sa vie n’ont pas de sens sans Frida. L’art et la révolution sont leurs points communs. « Ils forment un couple indestructible, mythique, aussi parfait et contradictoire que la dualité mexicaine originelle, Ometecuhtli et Omecihuatl » (Quatrième de couverture), comme l’écrit Le Clézio.

 

Adina Balint

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

HERRERA, Hayden, Frida, biographie de Frida Kahlo, trad. Philippe Beaudoin, Paris, Librairie Générale française, coll. Le Livre de poche, 2003 ; LE CLÉZIO, J.M.G., Diego et Frida, Paris, Gallimard, 1993 ; KAHLO, Frida, Le Journal de Frida Kahlo, Paris, Éditions du Chêne, 1995 ; PRITNITZ-PODA, Helga, Frida Kahlo, trad. Josie Mély et Catherine Weinzorn, Paris, Gallimard, 2003 ; REY MIMOSO-RUIZ, Bernadette, « Diego et Frida de J.M.G. Le Clézio ou le paradoxe pour révélateur du mythe », J.M.G. Le Clézio. Dans la forêt des paradoxes, (dir. B. Thibault et K. Moser), Paris, L’Harmattan, 2012, p. 99-110 ; SALLES, Marina, « Figures et motifs du ‘musée imaginaire’ de J.M.G. Le Clézio », Le Clézio, passeur des arts et des cultures (dir. T. Léger, I. Roussel-Gillet et M. Salles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 145-164 ; SALLES, Marina et LOHKA, Eileen, Voix de femmes, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio n° 6, Paris, Éditions Complicités, 2013 ; THIBAULT, Bruno, « L’influence de quelques modèles artistiques sur l’œuvre romanesque de J.M.G. Le Clézio (Arman, Klein, Raysse, Tinguely) », Lecture d’une œuvre : Intertextualité et interculturalité chez J.M.G. Le Clézio (dir. B. Thibault et S. Bertocchi), Rennes, Éditions du Temps, 2004, p. 161-68.

 

Diego et Frida ; Diego Rivera ; Mexico.

LONGFELLOW

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Henry Wadsworth Longfellow est un poète américain connu d’abord par son livre Voices of the Night, publié en 1839 et dont le poème « A Psalm of Life » a été considéré comme l’un des plus beaux poèmes d’amour du XIXe siècle. Sa renommée s’est accrue par la publication de Ballads, en 1841, et des recueils suivants : Evangeline (1847), Hiawatha (1855), The Courtship of Miles Standish (1858) et Tales of a Wayside Inn (1863). Quand Edgar Allan Poe émettait des réserves sur les emprunts, nombreux, à la littérature européenne, Nathaniel Hawthorne le plaçait en tête de liste des poètes américains « natifs », traduisant l’avis d’un grand nombre de lecteurs qui ont fait de Longfellow le poète le plus populaire de son époque. « The song of Hiawatha » s’est vendu en 30 000 exemplaires en six mois et sa poésie a été traduite dans plusieurs pays d’Europe. Si Longfellow a transmis la culture européenne à ses compatriotes, il a aussi rendu populaires des thèmes américains « natifs » et, représentant les idéaux et les aspirations d’une nation jeune et d’une tradition raffinée, il a contribué à fonder la littérature nationale. Son œuvre est musicale, discrètement romantique, teintée d’idéalisme et de sentimentalité. Cependant, les qualités qui lui ont valu le succès de son vivant sont aussi celles qui le desservent aujourd’hui : la métrique de ses poèmes paraît monotone ; il est jugé trop didactique, sans ferveur et indifférent aux controverses sociales de son temps. Si l’auteur reste un référent pour la culture du XIXe siècle dont les idéaux sont encore vivants, sa poésie est reléguée aux cours élémentaires où ses vers, qui racontent des histoires érudites, servent à enseigner la versification et à transmettre les légendes de l’histoire de l’Amérique du Nord.

Longfellow est l’un des poètes évoqués dans La Quarantaine où les citations sont si abondantes que Madeleine Borgomano a pu parler de « vertige intertextuel » pour qualifier les jeux des dialogues qu’instaure la présence de nombreuses citations. Dès les premières pages, une énumération de grands noms de la poésie occidentale : « Shelley, Longfellow, Hugo, Hérédia, Verlaine » (Q, 20), Rimbaud et son « Bateau ivre » (Q, 30), signale les auteurs de prédilection de Suzanne, femme de Jacques – le frère du protagoniste Léon le Disparu – et grand-mère du narrateur. En fait, la mention des poètes et les citations de poèmes apparaissent toujours liées à ce personnage et à son goût pour la poésie lyrique.

Tous les poèmes retenus entrent en résonance avec les thématiques développées dans La Quarantaine. Les premières strophes du poème préféré de Suzanne, « Fata Morgana » (Q, 20) de Longfellow, sont transcrites et renvoient aux illusions, aux mirages, à la scintillante ville de la chanson, dans la belle terre des songes : « O sweet illusions of Song/ That tempt me everywhere,/In the lonely fields, and the throng/Ofthe crowded thoroughfare !… [...] The shining city of song/ In the beautiful land of dreams. » On pense à Paris, où tout paraissait à Jacques en même temps « magnifique et terrifiant » (Q, 16) : une ambivalence confirmée lorsque la connotation euphorique des vers de Longfellow laisse place à la tristesse de ceux de Verlaine : « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville » (Q, 20), qui renvoient soit à l’hiver sombre de Paris, soit à la mort d’Amalia.

Mais c’est surtout « pour Léon que la ville est étroite » (Q, 31). Comme Jacques veut le présenter à Suzanne Morel, une Réunionnaise qu’il vient d’épouser à Londres, ils se rencontrent à Hastings, donc au bord de la mer. Suzanne lit les premiers vers de « Birds of passage » de Longfellow, qui font référence aux mots ailés du poète, au langage métaphorique où les sens des mots migrent comme des oiseaux de passage : « Black shadows fall/From the lindens tall,/That lift aloft their massive wall/Against the Southern sky… ».

Sur l’île Plate où ils sont débarqués, Léon a emporté le volume des poésies de Longfellow que Suzanne lui avait confié (Q, 64) ; ce « petit livre bleu et noir » (Q, 308), « est l’unique livre que les prisonniers de l’île Plate ont avec eux pendant la quarantaine. Longtemps, il devient aussi leur seul réconfort », note Madeleine Borgomano. Sur l’île en proie à une épidémie de variole, Jacques et Léon se relaient pour prendre soin de Suzanne qui tombe malade ; et chaque soir, « comme un rituel » (Q, 370), Léon s’assoit à côté d’elle et lit à haute voix les poèmes qu’elle aime : « The city and the sea » qui donne à entendre le dialo-gue entre la cité et la mer tantôt source de vie, tantôt porteuse de mort : « The panting City cried to the Sea/I am faint with heat – Oh breathe on me!/And the sea said, Lo, I breathe! but my breath/To some will be life, to others death ! » On se souvient alors des moments heureux à Hastings qui contrastent avec les difficultés du présent sur Plate (Q, 409). De façon générale, les poèmes retenus et les vers cités mettent en lumière les oppositions et la complémentarité entre la ville et la mer, de même qu’ils renvoient à la musique des mots et au rêve: des thématiques qui trouvent un écho dans l’œuvre leclézienne.

 Suzanne et Léon citent également « The song of Hiawatha » (Q, 295, 308, 409) : poème épique qui, rappelle Madeleine Borgomano, « reprend les légendes des Indiens d’Amérique, autour d’un demi-dieu envoyé par le Grand-Esprit pour enseigner aux hommes les arts de la Paix ». Ce poème a été la source d’inspiration du compositeur tchèque Dvorak pour l’écriture de sa Symphonie du Nouveau Monde, à la fin du XIXe siècle. Madeleine Borgomano, qui note la christianisation du personnage de Hiawatha, relève un paradoxe idéologique, s’étonnant des « nombreuses références à un texte dont la philosophie assimilationniste est en contradiction radicale avec celle de respect de l’altérité qui se dégage du livre de Le Clézio ». Mais elle remarque également qu’ « aucune allusion n’est faite ni à l’identité de Hiawatha, ni au contenu narratif du chant. » Le lyrisme des vers retenus évoquant la nature, la mer, le soleil, confère à ce poème une fonction cathartique reconnue par le narrateur : « Je lis ‘The Song of Hiawatha’ comme si c’était un conte pour enfants, sans signification cachée, simplement une musique de mots, pour faire rêver. Parfois il me semble que je lis interminablement le même passage. » (Q, 308) Il arrive que Suzanne et Léon se livrent à une sorte de « bataille de vers » : tandis que Suzanne lit les poèmes de Baudelaire, Léon, pour qui l’auteur des Fleurs du Mal est « un homme méchant » (Q, 295), affiche sa préférence pour Longfellow malgré « les longues phrases un peu solen-nelles » de sa poésie (Q, 409), car « […] chaque mot, chaque phrase porte un sens mystérieux qui éclaire notre vie réelle » (Q, 370).

Ana Luiza Silva Camarani

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BORGOMANO, M. « La Quarantaine de Le Clézio et le vertige intertextuel », Cahiers de Narratologie. [En ligne], 13 | 2006, mis en ligne le 01 septembre 2006, consulté le 22 octobre 2013. URL: http://narratologie.revues.org/317 ; DOI: 10.4000/narratologie.317 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Quarantaine, Paris, Gallimard, Folio, 1995. ; J.-M.G. Le Clézio, La Tentation poétique, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio n°5 (Coord. CAVALLERO, Claude, PARA, Jean-Baptiste), Paris, Complicités, 2012 ; Mc MICHAEL, George, Concise Anthology of American Literature, New York, Macmillan Publish Comany ; London, Macmielan Publishers, 1985 ; MORIN, Paul, Les sources de l’œuvre de Henry Wadsworth Longfellow, Paris, Émile Larose, 1913.

Île Plate ; Quarantaine (La) ; Rimbaud.

MENCHÙ RIGOBERTA

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Rigoberta Menchù se confie à Elisabeth Burgos dans un livre d’entretiens. Née à Chimel au Guatemala, le 9 janvier 1959, elle appartient à l’ethnie maya des Quichés. Elle parle de son attachement à la terre : « Ma terre, justement, c’est pour ainsi dire un paradis de tout ce que la nature a de beau dans les régions » (Burgos, 1982, 35). Elle raconte l’installation de ses parents dans ce petit village d’où ils ont été expulsés, faute de ressources. Ils partirent dans la montagne d’où ils descendaient vers le Sud, la Boca Costa, plusieurs mois par an pour travailler dans les fincas (plantations) où ils étaient exploités : par exemple un jour de salaire était retenu pour payer les médicaments en cas de maladie. De retour au village dans la montagne, elle décrit une vie communautaire respectueuse des traditions : le représentant qui fait fonction de roi est assisté d’élus de la communauté, la femme enceinte est très entourée, l’enfant, pris en charge par les compadres (parrains) en cas de décès des parents, est préparé par sa mère au contact avec la nature et à la vie, dès le septième mois de grossesse. Rigoberta Menchù souligne enfin le respect des coutumes vestimentaires, alimentaires et culturelles : les Tamales (galettes de maïs ou de bananes) représentent les jours sacrés. Chaque enfant a un nahual : un animal qui le protège. Les Guatémaltèques ont accepté la religion catholique sans renoncer à leur culture. Si Rigoberta fait référence à la Bible, à Moïse, à Judith, elle pense néanmoins que l’église est manipulée par les riches. Très jeune, elle accompagne son père dans des réunions qui organisent la défense de leur communauté contre l’armée, convaincue que, sans une juste violence, aucun peuple ne peut arracher sa victoire. Plus tard, elle reviendra sur cette déclaration pour prôner la non-violence.

Arrivé au pouvoir, le général Kjell propose une réforme de la répartition des terres, pour diviser les Indiens, dans le cadre de l’INAFOR : Institut National de reboisement du Guatemala. C’est à ce moment que se crée le CUC, le Comité d’Union Paysanne, dont les membres demandent à être reconnus comme syndicat des paysans. Sans réponse du président, ils vont agir dans la clandestinité. Le 29 mai 1978, des paysans qui manifestaient contre leur spoliation sont expulsés. Rigoberta entre au CUC en 1979. Elle apprend le mam, le cackchiquel, le tzeltal pour mieux s’adresser aux différentes communautés et les convaincre de lutter à leurs côtés, l’espagnol pour combattre le colonisateur. En 1980 son père et une vingtaine de paysans envahissent l’ambassade d’Espagne pour demander la libération des séquestrés, des torturés, des brûlés, mais ils meurent dans l’incendie provoqué par les forces de l’ordre. Les membres de la famille se séparent et militent dans les différentes communautés. Sa mère est arrêtée, torturée, violée, elle mourra après une longue agonie, abandonnée, sans sépulture. Son jeune frère mourra aussi dans d’horribles souffrances : des drames que Le Clézio rapporte avec émotion dans son article de La Fête chantée (FC, 227). Rigoberta continue la lutte, mais en 1981, elle doit s’exiler au Mexique. En 1991, elle participe à la préparation par les Nations Unies d’une Déclaration des droits des peuples autochtones. Ambassadrice de l’UNESCO, elle rentre au Guatemala et cherche à faire juger l’ex-dictateur militaire Efrain Rios Montt. En 1992 l’Académie suédoise lui décerne le Prix Nobel de la Paix.

 

Prix Nobel de la Paix

 

On retrouve dans tous les discours des Prix Nobel de la Paix les mêmes critères : tolérance, non-violence, espoir, solidarité, compréhension, abolition de la discrimination raciale, dialogue religieux et humanitaire, désarmement, résolution pacifique des conflits, combat en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, réformisme social, éducation. Dans son discours de réception du Prix Nobel de littérature, J.-M.G. Le Clézio émettait également le souhait « Que dans ce troisième millénaire qui vient de commencer, sur notre terre commune, aucun enfant, quel que soit son sexe, sa langue ou sa religion, ne soit abandonné à la faim ou à l’ignorance, laissé à l’écart du festin. Cet enfant porte en lui l’avenir de notre race humaine ». Ces valeurs, Rigoberta Menchù les défend par son action militante.

Membre honoraire du Club de Rome, elle s’est impliquée dans l’industrie pharmaceutique indienne en tant que présidente de la Compagnie « Salud para todos » et de la Compagnie « Farmacias Similares ». En 2006, elle a été à l’origine de l’initiative des femmes nobélisées qui ont décidé de mettre en commun leurs expériences et d’unir leurs efforts pour la Paix, la justice et l’égalité. Elle a créé le mouvement Winaq, plate-forme regroupant de nombreux mouvements mayas dans le pays et, en 2007 et en 2011, elle est candidate à l’élection présidentielle avec le soutien du MAS, parti bolivien. Membre de la fondation Peace Jam, une organisation dont la mission est de former de jeunes leaders engagés dans une dynamique de changement, elle participe également au comité d’honneur de la Fondation Chirac lancée en 2008 pour agir en faveur de la paix dans le monde. La Fondation Rigoberta Menchu Tum, dont le programme est le suivant : éducation, droits, développement des initiatives, participation citoyenne, mène des actions humanitaires à travers le monde (Guatemala, Mexique, USA, France). En France, le club Quetzal créé en 1997 par un groupe de jeunes collégiens de Mont de Marsan, sur l’initiative de Vincent Simon, est le relais de la Fondation Rigoberta Menchu Tum.

 

Le Clézio et Rigoberta Menchù

 

Dans La Fête chantée, Le Clézio consacre quatre pages à celle qu’il considère comme « La voix indienne », parce qu’elle lutte pour son peuple, pour la survie de ses coutumes, pour la survie de sa langue, pour son attachement à la terre, aux éléments, à la nature ; parce qu’elle défend les femmes si souvent victimes des hommes, et lutte pour l’égalité des sexes. Le compte rendu de l’autobiographie de Rigoberta Menchù est l’occasion pour J.-M.G. Le Clézio de dénoncer à nouveau « l’humiliation » infligée aux peuples autochtones par le colonisateur, «l’ex-ploitation du pauvre par le riche » (FC, 227), et de saluer « l’éveil d’une conscience » militante et porteuse d’espoir : « Elle a compris que le seul espoir de ceux qu’elle aimait était dans le sacrifice, afin qu’un jour puisse venir un autre monde, où la beauté ancienne miraculeusement gardée – le don du soleil, de la terre, de l’eau, du maïs qui sont les liens sacrés qui unissent son peuple au Dieu créateur – pourra enfin s’épanouir » (FC, 228). Le combat de Rigoberta Menchù rejoint celui de J.-M.G. Le Clézio pour donner à entendre la voix des minorités dans le « concert de l’humanité » et défendre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

 

Jacqueline Jacomella

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BURGOS, Elisabeth, Moi, Rigoberta Menchù, Paris, Gallimard et Elisabeth Burgos, coll « folio », 1983 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. La Fête chantée, Paris, Gallimard, coll, « Le Promeneur », 1997 ; Discours de Stockholm, Dans la Forêt des paradoxes, Quatre Bornes, Revue Italiques, n° hors-série, 2009, p. 74-84 ; http://fr.wikipédia.org/Rigoberta_Menchu.

Fête chantée (La)

 

RATSITATANE

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs


Image : http://ilemauricekaya.free.fr/oly_k/lammystik/lammystik03ratsitatane_lucien_brey.jpg

 

Personnage historique et légendaire dans la culture des Mascareignes, chanté par le ségatier Kaya, héros d’une pièce d’Aziz Asgarally, Ratsitatane ou Ratsitatanina entre dans le roman Révolutions de J.-M.G. Le Clézio qui le présente comme « un fils de grand chef de la Grande-Terre » (R, 434) poursuivi et capturé par les chasseurs de « marrons » à l’île Maurice dans les années 1821-1822. Les recherches historiques relèvent les incertitudes et les théories variables concernant les divers épisodes de la vie de ce héros de la lutte contre l’esclavage. Selon Issa Asgarally, ces incertitudes sont inévitables « en raison du manque de plusieurs documents » (De L’Esclavage, 2005, 37). Des lacunes qui laissent toute latitude à l’imagination du romancier pour donner une autre vision du personnage et nourrir la légende.

Les recherches historiques sur la vie de Ratsitatane soulignent son appartenance à la noblesse. Ratsitatane était un prince malgache : neveu de Radama Ier, roi de Madagascar et fils d’Andriamambavola (Ministre de Radama), il avait été exilé à Maurice en 1821 pour avoir tenté de tuer James Hastie, l’agent britannique auprès de Radama. Selon Issa Asgarally (33), les motifs de cette tentative de meurtre seraient liés à l’honneur et à la loyauté envers son oncle. Ratsitatane tenait Hastie pour responsable des pertes en hommes de Radama Ier lors d’un combat. Néanmoins, comme le souligne Larson, il existe plusieurs hypothèses concernant les raisons de son exil (2008, 329-330).

Dans un premier temps, Radama Ier a ordonné la mort de Ratsitatane à Tananarive, puis abandonné ce projet par crainte d’une révolte populaire et choisi de l’envoyer en exil à l’île Maurice qui, rappelle Larson, était alors un centre pénal pour l’Inde britannique. Le 24 décembre 1821, accompagné par Hastie, Ratsitatane a rejoint Maurice en bateau et il a été incarcéré au bagne de Port-Louis le 3 janvier 1822 dans l’attente d’être déporté vers l’île Rodrigues.

En prison, Ratsitatane a été placé dans les mêmes conditions que les esclaves en dépit de son enregistrement comme un « noir malgache », noble commandant militaire à Madagascar. Conscient du sort qui l’attendait, il a choisi de s’évader pour retourner à Madagascar. Selon Issa Asgarally, son évasion aurait pu avoir lieu « dans la soirée du 17 et 18 février, sans doute après 19 heures » (32). Échappé du bagne, Ratsitatane s’est réfugié dans les bois de la montagne Le Pouce où d’autres Malgaches, suivis de plusieurs esclaves et « apprentis », l’ont rejoint. Après sa capture le 20 février, facilitée par la trahison de Laizafy, l’apprenti d’origine malgache qui, avec un drapeau blanc, avait averti Monsieur Orieux, responsable de la chasse aux Marrons, il a été emprisonné, avec 40 esclaves et apprentis, durant les deux mois de délibérations avant le procès. Finalement, Ratsitatane et cinq de ses compagnons ont été jugés coupables d’avoir planifié une révolte sur la ville de Port Louis. Condamné par le Gouverneur Farquhar à être guillotiné, ainsi que La Tulipe et Kotolovo, Ratsitatane a trouvé la mort le 15 avril sur la Plaine Verte de Port Louis. Larson fait référence au témoignage du Chef de Police Edward Byam qui rapporte les détails de son exécution : « Ratsitatane a été mené à l’échafaud en dernier et a jeté un regard ferme et sans crainte. Le bourreau a dû donner trois à quatre coups aux autres victimes avant qu’elles ne meurent. Ratsitatane a tremblé en voyant les corps de ses compatriotes, mais il s’est redressé, s’est avancé vers le bloc et a posé sa tête en insistant sur le fait qu’il n’était pas coupable du crime. Sa mort a été annoncée par un coup de feu et un drapeau rouge a été levé. » (notre traduction).

Le rappel de ces évènements historiques livre un point de vue officiel qui ne peut définir l’homme Ratsitatane. En offrant la transposition romanesque de cette histoire dans le récit second intitulé « Kilwa », l’auteur de Révolutions permet au lecteur d’avoir accès à la fois aux rapports de William Stone – clerc principal, placé sous le commandement du Capitaine F. Rossi à l’île Maurice en 1822 – et à une perspective plus humaine et intime par le récit de la jeune esclave africaine, Kiambé, que le chef malgache protège et qui devient sa femme. Répondant à la nécessité de convoquer « toutes les mémoires » (Glissant, 2009, 177), l’emploi de la voix narrative à la première personne, utilisée aussi bien pour l’esclave que pour la transmission du document officiel écrit par un témoin oculaire, assure l’égalité de statut et la complémentarité du récit romanesque et du témoignage historique.

C’est par la voix de Kiambé que l’humanité de Ratsitatane est d’abord présentée dans un récit qui tisse les détails de la vie personnelle avec les références historiques. Bien avant sa mort, Ratsitatane est décrit comme le héros d’une double légende, celle d’un guerrier et d’un libérateur. Kiambé met en lumière son rôle de leader indomptable : « [...] ce nom résonnait comme un tambour de guerre. Avec lui il a une armée, les esclaves de Villebague, de Grande Rosalie, Belle Vue, de l’Embarras à Crève-Cœur [...] ils sont là-haut dans la montagne, ils vont descendre et libérer tous les Noirs […] » (R, 434). Dans un contexte de crainte et de désespoir, l’homme Ratsitatane incarne l’espoir de la liberté pour le peuple avec lequel il vit. L’héroïque combattant que décrit Kiambé apparaît aussi pacifiste et guérisseur. Elle le présente comme un être généreux et un homme de réflexion. Elle met enfin l’accent sur le charisme de ce « personnage mythique » (Sohy, 205) : ses gestes sont ceux d’un saint homme qui pose ses mains sur la tête de la jeune femme pour lui transmettre sa chaleur (R, 456-458). Aux termes violents utilisés dans les récits officiels des hommes de pouvoir pour décrire les esclaves, la voix de Kiambé oppose l’image d’un homme et d’un chef plein d’humanité.

Toutefois, nous notons que si le rapport officiel de William Stone, reproduit en italiques dans le texte, mentionne la totalité des faits connus de l’histoire de Ratsitatane (R, 430-443 ; 478-482), il contribue également à renforcer la dimension spirituelle et légendaire du personnage. Stone décrit Ratsitatane comme un homme dont la force morale lui permet de sublimer la souffrance de l’emprisonnement et de préserver sa liberté, sa dignité : « Je reconnus Ratsitatane sans peine car malgré les épreuves des jours passés à fuir dans la montagne, il ne se tenait pas dans la posture humiliée des esclaves fugitifs, mais il était debout fièrement et son visage portait l’expression orgueilleuse d’un homme qui n’a jamais cessé d’être libre. » (R, 442) D’autre part, le dernier rapport officiel du 15 avril 1822 de William Stone inclut une certaine émotion absente du témoignage du chef de police Edward Byam pour relater la mort héroïque du chef malgache : « Le premier qui monta sur l’échafaud fut le chef Ratsitatane qui montra un grand courage et sans prononcer une parole posa lui-même la tête sur le billot. Le soldat de la garde noire nommé André Bamba, qui s’était porté volontaire, trancha la tête avec sa hache, mais soit par maladresse, soit à cause de la crainte que lui inspirait le prisonnier, il dut s’y reprendre à trois fois avant que la tête de Ratsitatane ne roule sur le plancher. » (R, 481)

​​  Ainsi dans Révolutions, Le Clézio apporte un complément aux documents d’archives. Par un discours polyphonique où coexistent le savoir officiel et la sensibilité, l’imagination, il fait du personnage historique une figure mythique, héraut de valeurs chères à l’auteur : la défense des opprimés, la conquête de la liberté, le métissage comme avenir inéluctable du monde.

 

Martha Van der Drift

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BYAM, Edward, « Minute by His Excellency the Governor », Réduit, 28 February 1822, MNA RA 216, document 36 ; GERBEAU, Herbert et Issa Asgarally et Jean-François Reverzy, De L’Esclavage, Grand Océan, 2005, p. 32-39 ; GLISSANT, Edouard, Mémoires de l’Esclavage, Paris, Gallimard, 2009, p. 176-177 ; ISSUR, Kumari, « Entre Histoire et Fiction : Le Clézio sur les traces du passé mauricien », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, numéros 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 83-94 ; LARSON, Pier M. « The Vernacular Life of the Street : Ratsitatania and Indian Ocean Créolité », Slavery and Abolition, Vol. 29, No. 3, September 2008, p. 327-359 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Révolutions, Paris, Gallimard, coll « Folio », 2004, p. 430-443, 478-482 ; LOHKA, Eileen, La Femme, cette inconnue. Isle de France, terre des hommes, Maurice, L’atelier d’écriture, 2013, p. 264-267 ; SOHY, Christelle, « La Représentation de l’Esclavage dans Révolutions », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, numéros 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 201-213.

 

Esclavage ; Île Maurice ; Marrons ; Histoire ; Ma el Aïnine.

RULFO (JUAN)

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Juan Rulfo est cité dans Ourania par le protagoniste Daniel Sillitoe alors qu’il voyage en autocar au Mexique « dans une plaine monotone, poudreuse » (Ou, 27) évoquant pour lui le « décor des livres de Juan Rulfo, à Comala pareille à une plaque de fer chauffée à blanc par le soleil, où les humains sont les seules ombres vivantes » (Ou, 27). Ce décor lunaire que Le Clézio mentionne dans Ourania, sert de toile de fond aux deux seules œuvres littéraires de Juan Rulfo et leur confère une atmosphère aride et inquiétante tout à fait unique. Ourania, dont le narrateur est géographe, se situe dans ce paysage marqué par une histoire sanglante, un lieu de mémoire en quelque sorte. Avec Ourania, Le Clézio rend hommage à Juan Rulfo, lui empruntant à la fois l’influence du décor – l’ambiance surréaliste du désert mexicain – et le palimpseste historique qu’il compose. En 2000 Le Clézio a également écrit la préface de la traduction française du recueil de nouvelles El llano en Llamas (1953), Le Llano en flammes. Les deux livres qui ont rendu célèbre l’auteur mexicain sont ce recueil de nouvelles et le roman Pedro Páramo (1955), que Le Clézio, dans La Fête chantée rattache au mouvement littéraire costumbriste qui tire son inspiration des mythes et légendes folkloriques précolombiens.

Juan Rulfo (1917-1986) est considéré en Amérique latine comme un écrivain majeur et respecté par de grands auteurs tels qu’Octavio Paz, Alejo Carpentier, Carlos Fuentes ou García Márquez, qui se serait inspiré de Pedro Páramo pour Cent ans de solitude. Également scénariste et photographe, Juan Rulfo écrit ensuite quelques scénarii de films et textes sans grande influence ; les critiques s’accordent à dire qu’il interrompt véritablement sa carrière littéraire après les deux livres qui l’ont rendu célèbre. Cependant son œuvre photographique se trouve intimement liée à son œuvre littéraire. Plus de six mille photographies en noir et blanc représentant le Mexique et contenant le substrat de ses romans se trouvaient dans sa collection, dont il a seulement accepté d’exposer une partie quelques années avant sa mort en 1980. Il photographie l’architecture en ruine pour montrer les tragédies historiques subies par son village, les paysages désolés du Llano, et des portraits dignes de paysans.

 L’époque qui intéresse Rulfo est la révolution mexicaine : une suite de coups d’états et de guerres civiles entre 1910 et1920, et la Guerre des Cristeros (1926-1928), cette lutte des paysans chrétiens contre le gouvernement qui désirait établir une religion d’état, évoquée à plusieurs reprises dans Ourania. Le père et le grand-père avocat de Juan Rulfo sont morts assassinés lors de ces affrontements sanglants et règlements de comptes cruels entre l’armée et les paysans religieux, puis la famille a été dépossédée de son ranch et de ses terres. L’auteur ne prend jamais parti pour un camp ou l’autre, dans la mesure où les horreurs étaient le fait des deux bords. Les massacres, lynchages et pendaisons sommaires racontés dans Le Llano en flammes ont tous pour toile de fond les clichés de cette époque, qu’il s’agisse de souvenirs personnels ou de photos.

Les critiques ont choisi de les appeler soit contes soit nouvelles car certaines des histoires du Llano en flammes se présentent indéniablement comme des contes oraux, incluant régulièrement des phrases à fonction phatique. Le Clézio décrit ainsi l’atmosphère de ces contes : « Un monde réduit à l’essentiel, laconique, dénudé jusqu’à l’os, raconté à la première personne, d’une voix monotone et pourtant chargée d’émotions […] imprégnée de désespoir ironique et d’une rage vibrante de vie » (Le Llano en flammes, 11). La première phrase du premier conte « On nous a donné la terre » annonce d’emblée le ton et le style de Rulfo : « Après tant d’heures passées à marcher sans même rencontrer l’ombre d’un arbre, ni une pousse d’arbre ni une racine de quoi que ce soit, on entend l’aboiement des chiens » (19). Le lieu est le Llano qui signifie « plaine », une étendue aride dans l’état de Jalisco, état rural du centre du Mexique. Les paysans de ces contes, dont parfois le narrateur, ont tous déjà tué quelqu’un. Les femmes sont victimes d’incestes ou contraintes à la prostitution par pauvreté. Les handicapés mentaux subissent lapidations et abus sexuels. Et tout cela est raconté comme si ces choses étaient normales et habituelles, aucun étonnement n’accompagne ces narrations. Il y a aussi la foi du malade incurable qui entreprend un pèlerinage et se mortifie au point de mourir aux pieds de la vierge, avec en parallèle la narration sordide de la culpabilité de son frère qui l’accompagne au bout de son calvaire tout en couchant avec sa femme. Les personnages, des plus inhumains aux victimes, possèdent tous une foi inébranlable ou une peur de l’enfer qui les conduit à l’église quotidiennement ou leur fait croire aux faux miracles de charlatans qui se présentent comme des saints. Une chape de plomb pèse sur eux qui va du soleil brûlant et de la faim persistante à l’enfer certain qui les attend après la mort. La cruauté des hommes rappelle celle des Romains antiques. Dans le conte « Le Llano en flammes » le chef de la révolution mexicaine Pedro Zamora « joue au taureau » dans une arène, encornant les ennemis prisonniers avec un couteau jusqu’à ce qu’ils meurent.

Pedro Páramo est un roman fantastique qui se passe dans un village abandonné, Comala, où des revenants évoluent et racontent les événements terrifiants ou sordides de leur vie. La majorité du texte se déroule sous forme de dialogues, alternant avec des descriptions d’émotions à la première personne du singulier. Le narrateur, Juan Preciado, venu à la recherche de son père sur l’injonction de sa mère mourante, ne sait manifestement pas qu’il est mort et se trouve étreint par une peur qui ne s’estompe que dans le sommeil. Le Clézio compare le voyage de Juan Preciado « au voyage initiatique du chaman vers le pays des ancêtres » (FC, 181). La tonalité des dialogues que nous lisons glace le sang : « Cesse donc d’avoir peur. Personne ne peut plus te faire peur. Essaie de penser à des choses agréables, car nous resterons enterrés longtemps » (Rulfo, 1979, 74). Pedro Páramo et Miguel, le seul fils qu’il ait reconnu et élevé, sont les deux tyrans du village et ont notamment engrossé ou violé une grande partie des femmes de la région. Sur fond de révolution mexicaine et de « cristiade », les personnages semblent parfois se trouver enterrés au cimetière ou errer en se posant des questions sur la vérité et sur les responsabilités de chacun. Tous, jusqu’au prêtre, ressentent culpabilité et regrets. Ils semblent en attente, il se peut qu’ils se trouvent au purgatoire, dans les limbes. Le Clézio rapproche le personnage du tyran Pedro Páramo du « nécromant Titlacaua, l’Esprit du mal, l’éternel ennemi de Quetzalcoalt » (FC, 182). Il associe le monde de Juan Rulfo aux « prophéties amérindiennes d’avant la Conquête » (FC, 181) et présente Pedro Páramo comme « la parabole sur le temps la plus significative de la littérature latino-américaine d’aujourd’hui » (FC, 181).

Sur la quatrième de couverture de Pedro Páramo, Carlos Fuentes qualifie ce roman de « contre-odyssée » : « Car cette histoire d’un cacique, de ses femmes, de ses tueurs et de ses victimes se situe dans le territoire privilégié du surréalisme : cet espace de l’esprit où, selon André Breton, la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, cessent d’être perçus comme contradictoires. » En effet, à l’instar d’Orphée, Juan Preciado effectue une descente aux enfers à la recherche de son père bourreau : un voyage qui le maintient à la frontière du réel et du royaume des morts, et dont il ne revient pas. Considéré comme l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, Juan Rulfo a reçu, en 1983, le prix Prince des Asturies pour la littérature.

 

Isabelle Constant

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CHEVALIER, Karine, La Mémoire et l’absent. Nabile Farès et Juan Rulfo de la trace au Palimpseste, Paris, L’Harmattan, coll. « Critiques littéraires », 2008 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Fête chantée, Paris, Gallimard, coll. Le Promeneur, 1997 ; Ourania, Paris, Gallimard, 2006 ; RULFO, Juan, Le Llano en flammes, Paris : Gallimard, coll. « Folio », 2001 ; Pedro Páramo, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1979 ; http://www.guiarte.com/noticias/juan-rulfo-fotografo.html. Consulté le 15 mars 2016.

Fête chantée (La) ; Ourania.

 

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