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« PEUPLE DU CIEL »

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Cette nouvelle, du recueil Mondo et autres histoires, fait la part belle au dialogue entre Petite Croix, une petite fille indienne d’une mesa du Nouveau-Mexique, et un soldat américain prêt au départ pour la guerre. Bien que son goût de la solitude soit patent, la propension à la rencontre de l’enfant manifestée par la parole adressée à ce jeune Américain s’ajoute aux modalités plurielles dont elle dispose pour communiquer de façon sensorielle avec le monde qui l’entoure, et ce, en raison de sa cécité. Le récit est ainsi ponctué de visitations par de petits animaux familiers du désert américain. Et tout contribue à exacerber l’intensité des sensations, à commencer par la chaleur du soleil. Comme bien des figures d’enfant privilégiées par l’écrivain, et avec le même entêtement que Mondo, la fillette pose des questions pour comprendre ce qui l’entoure, pour percevoir ce que peut être le bleu du ciel, par exemple. Ce sont d’ailleurs ces questions qui font comprendre au lecteur qu’elle est aveugle. L’événement final est l’apparition du dieu Saquasohuh, étoile bleue dont la présence sur terre annonce une danse de mort. Cette étoile est dans la mythologie une figure ambivalente de la vie et de la mort. La culture amérindienne étant fondée sur des retours cycliques de cataclysmes, il semble que la petite fille redoute un événement sinistre. Sa première réaction est de crier, puis de se mettre à courir, et ses larmes coulent. Pas plus que sa cécité n’a été clairement nommée, la fin de la nouvelle peut laisser supposer qu’elle « voit » sans qu’on mesure si la vision est recouvrée ou s’il s’agit d’une « vision » plus intérieure. Toujours est-il qu’elle sent une « lumière claire, pure et bleue qui va jusqu’au fond de son corps comme l’eau fraîche des sources » (M, 242). Cette pénétration fonctionne comme les visitations qui initient. Au début du récit, Petite Croix voyait autrement, et en fin de récit, à l’heure du déclin du soleil, elle voit ce qu’une étoile bleue révèle.

L’histoire se situe au Nouveau-Mexique, ce qu’indique l’habitat sur les mesas (plateaux). Aucun toponyme n’est cité en dehors du village Hotevilla mais, comme l’a rappelé Bruno Thibault, la zone géographique est celle d’essais nucléaires, ce qui donne un autre sens à l’annonce d’un cataclysme. C’est « dans le désert du Nouveau-Mexique que la première bombe atomique a été expérimentée, avant d’être larguée sur le Japon » (Thibault, 2009, 69), ce qui peut être corrélé avec la sensation d’une vibration du sol éprouvée par l’enfant. L’avion qui passe dans le ciel est clairement rapporté à la guerre imminente de Corée : « Dans les soutes de l’avion géant, les bombes sont rangées les unes à côté des autres, la mort en tonnes » (M, 249). Ce géant n’est pas sans similitude avec l’autre géant mythique du texte qui apparaît également dans le ciel, à la fin du récit. C’est dire que des temps anciens ou modernes surgissent toujours des prédateurs.

La réalité contemporaine est présente par indices, ainsi du décor mythique initial rappelant les routes qui traversent l’Amérique du Nord : « La route goudronnée traversait le pays de part en part, mais c’était une route pour aller sans s’arrêter, sans regarder les villages de poussière, droit devant soi au milieu des mirages, dans le bruit mouillé des pneus surchauffés » (M, 221). Le récit s’ancre aussi dans une réalité sociale que souligne François Marotin : l’enfant fait partie des peuples pauvres. Ces peuples pauvres ont souvent leur conteur ou leur taiseux. Dans le cas présent, un vieux Bahti incarne celui qui expliquait le monde à la petite fille lorsqu’elle était plus jeune. Jamais présent, il est un souvenir toujours affleurant dans la mémoire de l’enfant. Puis son rôle de traducteur/passeur du monde semble dévolu au soldat, mais comme le démontre François Marotin, le langage humain est renvoyé à sa faiblesse. L’appréhension physique du monde s’avère plus juste.

La solarité générale recouvre certes une dimension référentielle au contexte climatique mais encore à la mythologie indienne. François Marotin souligne combien « le bruit de la lumière est l’expression d’une origine absolue : C’est cela, le premier bruit, la première parole » (Marotin, 1995, 97). Toute l’attitude de la fillette est d’accueil dans une attitude patiente, qu’atteste l’immobilité de son corps en position d’équerre. Assise à même le sol, son visage est tourné vers le ciel ; la quête du bleu et le titre de la nouvelle marquent l’importance de la dimension céleste. « Peuple du ciel » désigne les Indiens qui vivent sur les hauteurs des mesas, élevés au dessus de la terre, tendus vers le ciel. Le plateau qu’ils habitent est vécu comme intercesseur entre ciel et terre. Les mythes d’émergence sont précisément basés sur le lien de la terre au ciel, par l’entremise d’un Indien qui décoche une flèche vers le soleil. C’est d’ailleurs ce mythe d’émergence que relate J.-M.G. Le Clézio lorsqu’il explique les sources inspirant ce récit lors d’un entretien accordé à Justyna Gambert.

La symbolique peut aussi être interprétée à l’aune des repères judéo-chrétiens : connotation du bleu pacifique, visitation par les abeilles, onomastique qui renvoie à la Croix. Ce croisement entre mythologie indienne et chrétienne ne devrait pas étonner dans la mesure où la colonisation espagnole a acculturé cet état du sud des États-Unis.

Alors à la fin de la nouvelle, comment interpréter la course et les larmes de l’enfant, est-elle hantée par les mythologies de la disparition chez les Amérindiens, comme le suppose Bruno Thibault ? Est-elle en train d’émerger autrement au monde, telle que l’imagine Georges Lemoine la dessinant comme en lévitation, pieds ne touchant terre ? Est-elle en train de fuir, de devenir une « proie » ? Toujours est-il que la nouvelle ne se laisse pas si aisément enclore comme simple résurgence de mythes chamaniques, prise qu’elle est dans les fragments de souvenirs du XXème siècle : souvenir de mort certes incarnée par le géant bleu, mais raconté en lien avec un temps bien historique. De fait, le géant est « venu pour danser sur la place du village, comme le vieux Bahti a dit qu’il avait fait à Hotevilla, avant la Grande Guerre ». Bahti, que sa vieillesse même désigne comme un sage à la manière d’un Naaman ou d’un homme bleu du Sahara, est un personnage, laissé en creux, des plus signifiants : il est peut-être un autre objet ambivalent de la perte et de la présence. Sa figure est évoquée pas moins de six fois, souvent pour ce qu’il a appris à chanter ou ce qu’il a dit, comme le maître d’école Jasper ou le jeune soldat.

En définitive, l’enfant est seule ; elle « chancelle », elle « s’élance » (M, 243), … Voyante mutique ? Nulle réponse n’est possible car il est plusieurs manières de comprendre, comme il existe « plusieurs bleus » (M, 228). Ainsi du nuancier leclézien.

 

Isabelle Roussel-Gillet

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

GAMBERT Justyna, entretien avec J.-M.G. Le Clézio, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio numéro 8, 2015 ; LE CLÉZIO Jean-Marie Gustave, « Peuple du ciel », Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, folio, 1995, p. 221-243 ; « Peuple du ciel », version illustrée par Georges Lemoine en album jeunesse, Paris, Gallimard, 1990 ; « Peuple du ciel », Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, 1978 ; MAROTIN, François, « Petite Croix ou la descente en soi-même », François Marotin commente Mondo et autres histoires de J.M.G. Le Clézio, Paris, Gallimard Folio, 1995, p. 95-108 ; PLU Christine, « Petite Croix transfigurée », Revue Cahiers Robinson, numéro 23, Le Clézio aux lisières de l’enfance, 2008, p. 92-106 ; ROUSSEL-GILLET Isabelle, « Habiter la terre amérindienne, devenir œil-fruit », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio numéro 8, 2015 ; THIBAULT Bruno, J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam, Rodopi, 2009, chapitre 3, p. 68-70.

« PAWANA »

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
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« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
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« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
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« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
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Personnages
Fictifs
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ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
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CAILLIÉ (RENÉ)
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HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
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CHAGOS (ARCHIPEL DES)
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PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
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BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Texte de l’entre-deux, Pawana présente des traits uniques par rapport à l’œuvre de Le Clézio tout en rejoignant de nombreuses préoccupations récurrentes de l’auteur telles que le sacré et la désacralisation du monde naturel et l’oppression de peuples indigènes par une modernité violente. Pour Bruno Thibault, Pawana est un « conte apocalyptique » qui, loin de célébrer « l’âge des grandes découvertes » évoque plutôt « la destruction systématique des ressources naturelles de l’Amérique » (1997,723). Il s’agit d’un texte un peu long pour une nouvelle, un peu court pour un roman, conçu d’abord pour le théâtre (Moser, 2007,129 ; Bedrane, Douzou, 2010), plutôt osé pour un livre de jeunesse, plutôt dépouillé pour un livre destiné aux adultes. Le récit se construit autour de la découverte par le baleinier Léonore, en 1856, d’une baie sur la côte californienne, inconnue jusque-là, où des centaines de baleines grises venaient mettre bas leurs petits. La découverte initie une période de chasse sans précédent qui poussera cette espèce au bord de l’extinction.

 

Structure narrative et problèmes de narration

 

Les deux narrateurs sont John, de Nantucket et Charles Melville Scammon. Scammon était en 1856 le capitaine du Léonore lors de la découverte de la baie des baleines grises. Son équipage a tué une dizaine de baleines, mais la découverte signale le commencement d’un massacre systématique à grande échelle : le « lieu jadis si beau, si pur, tel que devait être le monde à son début, avant la création de l’homme, était devenu l’endroit du carnage » (41).

Jeune mousse à bord du Léonore, John témoigne lui aussi de ce moment désastreux où le secret est révélé. La veille de la découverte, Scammon remarque le jeune homme à côté de lui, scrutant comme lui l’horizon. Le capitaine lui pose quelques questions sur ses origines et finit par lui dire : « ’Sais-tu que si nous trouvons le refuge des grises, nous deviendrons immensément riches ?’ Le regard de l’enfant brillait étrangement. Mais je me trompai sur ce qu’il exprimait. » (28) Il est difficile de savoir à quel moment et par quel moyen Scammon a appris son erreur. Il écrit ce texte en 1911, cinquante-cinq ans après la découverte du secret des grises, mais John prétend qu’après le voyage du Léonore il n’a jamais revu le capitaine Scammon (40). Que disait ce regard brillant ?

Le récit de John commence avec son enfance à Nantucket et ses souvenirs des légendes qui lui ont inspiré le désir de rejoindre l’expédition de Scammon : « Depuis mon enfance j’ai rêvé d’aller là, dans cet endroit où tout commençait, où tout finissait. Ils en parlaient, comme d’une cachette, comme d’un trésor » (7). Malgré sa puissance incontournable dans la vie du garçon, ce rêve se fait dès le commencement plus nuancé et conflictuel que celui qui poussait le capitaine. D’abord, l’oncle de John « travaillait à la découpe », si bien que le garçon est exposé dès l’âge de 8 ans aux énormes « carcasses qui pourrissaient » et à « l’odeur effrayante du sang et des viscères » tout en imaginant leurs « corps vivants, bondissant au milieu des vagues » (9-10). En plus, il a connu John Nattick, un vieil homme nattick, rare survivant du génocide de son peuple, qui avait été homme de vigie de la chasse aux baleines et qui a montré à John et à ses amis comment il criait dans sa langue « Awaité pawana » pour signaler la présence des baleines à leurs tueurs. Enfin, John de Nantucket avait fait la connaissance d’Araceli, la jeune esclave d’un groupe de prostituées, opprimée des opprimées, captive seri qui avait essayé plusieurs fois de s’échapper de son maître Émilio jusqu’à qu’il finisse par la tuer. John, qui avait été une fois son amant, sera le seul témoin de son enterrement indigne d’elle, le seul à se souvenir du lieu où son corps repose.

 

Émerveillement et questionnement

 

Ainsi, le regard de John, que Scammon mettra toute une vie à déchiffrer, reflète un double émerveillement. Il est émerveillé par l’immense et brûlant désir des hommes, mais il est ébloui tout autant par le désert infiniment vide que ce désir laisse dans son sillage. Non seulement tout être désiré est mort, mais aussi ceux qui ont succombé à un rêve de sang : « Le sang ne noircit plus la mer, les bassins du port sont vides, la grande lagune frissonne sous le vent comme si rien de tout cela n’avait jamais existé, et que les navires des chasseurs étaient morts en même temps que leurs proies » (11). Ce qui a commencé comme un récit d’aventure devient un récit de consternation et de questionnement où les deux narrateurs se souviennent et essaient en vain de comprendre : « Comment peut-on oublier, pour que le monde recommence ? » (49), dit John, de Nantucket. À la veille de sa mort, Scammon se souviendra du jeune mousse du Léonore, d’un regard qui posait des questions que lui-même aurait dû se poser avant d’exposer irrévocablement le refuge secret des baleines grises : « comment peut-on tuer ce qu’on aime ? » (51)

 

Le sacré, la désacralisation et le sacrifice

 

Au fond de ce questionnement, on peut constater dans la découverte du sacré une logique incontournable de désacralisation. La première fois qu’il décrit l’entrée dans la baie sacrée, Scammon dit : « il me semblait que j’étais entré tout à coup, par effraction, dans un monde perdu, séparé du nôtre par d’innombrables siècles. » (36). Son emploi du terme « effraction » suggère le caractère illégitime, scandaleux de cette pénétration. John constate, à son retour trois ans plus tard sur le lieu du massacre : « Maintenant, il n’y avait plus de secret. » (42) Le secret est sacré et le sacré doit rester secret. La disparition des deux n’était pas pourtant le fruit d’un accident imprévisible, mais plutôt un travail de destruction conduit avec frénésie, passion et précision. La deuxième fois que Scammon en parle, il ajoute : « notre chaloupe fendait l’eau pâle en silence, et c’était la mort que nous apportions » (50).

On se demande pourquoi Le Clézio associe la destruction des baleines grises à la disparition génocidaire d’un groupe ethnique autochtone (les Nattick) et au meurtre d’une femme autochtone. L’apparente juxtaposition de ces événements suggère une relation en réalité beaucoup plus complexe. Le choix d’un mot nattick comme titre du récit et comme nom des baleines implique que le peuple nattick est plus qu’une autre victime de la machine destructrice de la modernité. Avec Araceli que personne ne comprend parce qu’elle ne parle que sa langue maternelle, les Nattick font partie de ce que Bruno Thibault appelle « la troisième voix de ce récit » (1997, 723). Sacrifiée et bien que presque réduite au silence, cette voix seule est à même de compléter ce que John et Scammon, malgré tout complices du désastre, ne pouvaient pas dire. En revanche, Araceli (comme Laïla de Poisson d’or) avait été volée à son peuple. De la même façon, les hommes de vigie nattick ont prêté leur voix et leur langue (en criant « Awaité pawana ») à la chasse parce qu’ils connaissaient et respectaient le sacré et le secret. Cela ne suggère aucune passivité de leur part (Araceli par exemple ne s’est jamais résignée à sa captivité), mais implique que sans eux, le récit Pawana n’aurait pas pu aboutir à cette question finale partagée par les deux narrateurs : « Comment peut-on oser aimer ce qu’on a tué ? »

 

Robert Miller

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BEDRANE, Sabrinelle, DOUZOU, Catherine « Le partage de la parole : Pawana : Le Clézio/ Lavaudant », in LÉGER, Thierry, ROUSSEL-GILLET, Isabelle, SALLES, Marina (dirs), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Rennes PUR, 2010, p. 245-257 ; GILLET, Isabelle, « The story of a secret : Le Clézio from inheritance to origin : a look at two novels : Le Procès-verbal and Pawana », Revue Analecta Husserliana, M. Kronegger and A.T. Tymieniecka, tome LVII Life, Kluwer, academic publishers in the Netherlands, 1999, p. 383- 392 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. Pawana, Paris, Gallimard, 1992 ; Poisson d’or, Paris, Gallimard, 1997 ; MILLER, Robert, « Le Malaise du sacré dans Onitsha et Pawana », Nouvelles Études Francophones, 20, 2 (2005) p. 31-42 ; MOSER, Keith, The Complex Ambivalence of “Privileged Moments” in the Works of J.M.G. Le Clézio : Their Force, Their Limitations, and Their Relationship to Alterity, diss. Université de Tennessee, 2007 ; THIBAULT, Bruno, «‘Awaité Pawana’ » : J. M. G. Le Clézio’s Vision of the Sacred », World Literature Today, 71, 4,1997, p. 723-729.

ONITSHA

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Fictifs
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MEXICO
PACHACAMAC
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Asie
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Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Nous sommes en 1948. La Deuxième Guerre mondiale est de récente mémoire. Les empires coloniaux tirent à leur fin même si de nombreux colonisateurs ne semblent pas encore le savoir. Geoffroy Allen, agent de la United Africa Company à Onitsha, a invité sa femme italienne Maria Luisa (Maou) à venir le rejoindre en compagnie de leur fils de douze ans, Fintan, qu’il n’a jamais vu. La ville commerciale d’Onitsha sera le lieu de rencontre de trois visions imaginaires distinctes de l’Afrique. Pour Maou c’est une vaste forêt évoquée par les lettres de Geoffroy : une « forêt sombre comme la nuit, habitée par des milliers d’oiseaux. » (O, 32). Onitsha était à ses yeux un lieu où « tout serait différent, tout serait facile » (O, 31). Pour son fils c’est un nouveau monde à explorer, un monde où il pourra éluder la tyrannie d’un père inconnu qu’il n’a pas envie de connaître. Pour Geoffroy, l’Afrique est le long chemin d’un rêve épique inspiré par la destruction, au troisième siècle de notre ère, de la ville ancienne de Meroë. Il est convaincu que la reine de Meroë a mené son peuple dans une grande migration transcontinentale aboutissant à la fondation d’une nouvelle civilisation. Quand il fait la connaissance des Aros du sud-est du Nigéria, il est convaincu que leur langue et leur culture portent la trace d’une religion égyptienne apportée par les réfugiés de Meroë.

Geoffroy sera chassé de son poste par les autorités coloniales et Fintan sera obligé d’arriver, à l’âge adulte, en Angleterre, témoin à distance en 1968 de la Guerre du Biafra, guerre de sécession manquée qui voit le peuple igbo réduit à la famine. Mais son témoignage, ainsi que celui de ses parents, n’en révèlent pas moins un milieu géopolitique complexe où entrent en jeu de nombreux thèmes chers à Le Clézio. Le rôle du sacré dans l’histoire des peuples transparaît dans la mémoire de Meroë, dans l’histoire de la profanation de l’Oracle d’Aro Chuku par l’armée britannique en 1902 ; ou encore dans les remarques de Bony (jeune ami nigérien de Fintan) sur le caractère sacré des aigles et des termitières, et dans le mystère de la femme apparemment muette, Oya, qui représente à la fois les victimes de l’oppression coloniale et la résistance de peuples refusant de disparaître.

Dans ce monde angoissé où sévit une présence coloniale qui ne comprend guère la culture et la société qu’elle prétend administrer, la famille commence à se séparer. Geoffroy essaie en vain de se faire à la présence de sa femme bizarre et exotique aux yeux des Anglais d’Onitsha. À partir du moment où Maou dénonce publiquement l’abus des « forçats » africains que le District Office Gerald Simpson emploie cruellement à construire une piscine, elle n’est plus la bienvenue au sein du petit cercle ridicule des colons. Geoffroy comprend la consternation de sa femme mais il n’a pas le courage de confronter ses collègues. Maou essaie d’aimer son mari tout en détestant le système pour lequel il doit travailler. Abandonnée la plupart du temps par son mari et son fils, elle se lie d’amitié à des femmes nigérianes. Fintan cherche la compagnie de Bony pour fuir celle de ses parents et se forger des racines au sein d’un peuple qu’il préfère aimer. Il sera dérouté quand Bony l’associe aux Blancs qui oppriment sa famille. Mais plus Geoffroy, Fintan et Maou se séparent, plus ils se retrouvent, à mesure que leurs expériences les réunissent dans un rêve qu’ils partagent : le rêve de connaître l’Afrique.

Une structure narrative onirique

 

L’aspect onirique d’Onitsha n’est pas seulement la conséquence de références explicites aux rêves, bien qu’il y en ait plusieurs. On a l’impression de rêver les yeux ouverts en lisant ce récit à cause d’une focalisation multiple subjective et personnelle. Dès que le Surabaya, navire de la Holland Africa Line, s’approche de la côte africaine, nous voyons tout à travers la vision de Fintan et de Maou. Plus tard, Geoffroy cherche à expliquer dans un langage à la fois érudit et délirant les balafres sur le visage des commerçants aros comme des symboles sacrés égyptiens. Tout semble réel à ces personnages dans un monde qu’ils comprennent pour la première fois, et à peine. Fintan commence au bord du Surabaya à rédiger un récit qu’il appelle « Un long voyage », alors qu’en fait le roman de Le Clézio compose plusieurs voyages initiatiques oscillant entre découverte et hallucination. Ainsi par exemple, lorsque Fintan commence à réfléchir sur le rêve de son père au sujet de la reine de Meroë, « il essayait d’imaginer cette ville, au centre du fleuve, cette ville mystérieuse où le temps s’était arrêté. Mais ce qu’il voyait, c’était Onitsha, immobile au bord du fleuve, avec ses rues poussiéreuses et ses maisons aux toits de tôle rouillée » (O, 135). Non seulement Fintan reconnaît le rêve de son père, il veut y participer même quand ses propres expériences ne s’y accordent pas. Selon Karen Levy, Geoffroy et Fintan sont « tous les deux incapables de reconnaître leur rôle dans la construction du mythe qui les obsède » (Levy, 1998, nous traduisons).

Sur cet ensemble de visions délirantes plane le regard ambigu du colon renégat Sabine Rodes. Ce personnage inquiétant se moque autant de Maou que des Anglais de la communauté coloniale. Il échoue dans ses efforts pour manipuler ses protégés africains Okawho et Oya mais se permet de prédire la fin de l’empire colonial. Il joue le rôle de père de substitution pour Fintan éloigné du père biologique, tout en attirant sur lui-même la haine de Maou. L’auteur donne à Rodes le dernier mot quand sa mort dans la guerre du Biafra est annoncée à Fintan à la fin du livre : « il s’appelait Roderick Matthews […] officier de l’Ordre de l’Empire Britannique » (O, 289). Étant donné que c’est lui qui avait suggéré à Geoffroy l’idée de suivre la trace de la reine de Meroë (O, 197), on peut dire qu’il a la fonction de destinateur. Il envoie Geoffroy à la recherche d’un objet désiré élusif et illusoire, met en relief la naïveté morale de personnes comme Maou qui rêvent d’une fraternité entre colonisé et colonisateur, et lègue à Fintan un sens de la perte qui fait du pays colonisé un objet désiré dont le monde moderne l’a privé mais qui reste enfoui dans sa mémoire.

Dans une lettre à sa petite sœur née au moment où la famille a dû quitter le Nigéria, Fintan dit : « Maintenant, il ne reste plus rien de ce que j’ai connu » (O, 275). Mais il n’en affirme pas moins : « Je n’ai rien oublié, Marima. Maintenant, si loin, je sens l’odeur du poisson frit au bord du fleuve. […] Est-ce que tout cela doit disparaître à jamais ? » (O, 279). Alexia Vassilatos considère qu’Onitsha se construit à partir de réseaux denses de souvenirs perpétuellement reconstitués sous forme de sensations (Vassilatos, 2013, 66). Le contraste angoissant entre ces réseaux et leur dépassement fatal renforce la qualité onirique d’Onitsha et la ténacité de sa vision du monde postcolonial. Fintan lègue à sa sœur ses souvenirs d’une terre qu’il ne reverra plus « comme ce train d’images qu’on dit que les noyés entrevoient au moment de sombrer » (O, 280).

Un livre inclassable

 

Comme ouvrage de littérature-monde en français, Onitsha demeure énigmatique et inclassable. Ouvrage de langue française, il représente un ensemble de cultures africaines, capté dans un contexte colonial anglais. Il présente un aspect autobiographique marqué, Le Clézio lui-aussi ayant passé plusieurs années au Nigéria à partir de l’âge de huit ans. Toutefois, la publication ultérieure d’un ouvrage plus ouvertement autobiographique, L’Africain, souligne la part de l’imaginaire dans la conception d’Onitsha. Alexia Vassilatos voit Onitsha comme un « alternative genre », occupant les marges où prose et poésie sont intégrées dans la pensée délirante des personnages (Vassilatos, 2013, 66). Onitsha condamne les méfaits du colonialisme sans renoncer facilement aux rêves suscités par l’aventure coloniale. On peut comprendre pourquoi la forme narrative onirique convient à ce récit qui glisse subtilement dans les interstices ambigus du postcolonial.

Que les quêtes multiples évoquées dans Onitsha révèlent un effort « pour dialoguer avec l’Autre et pour valoriser la culture africaine » comme le suggère Dauda Yilla (2008, 187), ou bien une « posture paradoxale, signe de singularité et de créativité » (Moudiléno, 2011, 79), la ville d’Onitsha et le voyage de la reine de Meroë resteront dans l’univers de Le Clézio des symboles d’un horizon intimement inconnaissable. Comme le titre de la dernière partie du livre – « Loin d’Onitsha » l’implique, ce récit a l’effet de nous rapprocher d’une certaine Afrique pour nous en éloigner.

 

Robert Miller

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ALSAHOUI, Maan, La Question de l’Autre chez J.-M.G. Le Clézio, Paris, Éditions universitaires européennes, 2011 ; BORGOMANO, Madeleine, Onitsha : J.-M.G. Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, 1993 ; « Onitsha, ou l’Afrique perdue de J.-M.G. Le Clézio », Les Cahiers Le Clézio, nos 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 95-105 ; LE CLÉZIO, J.-M.G. ; Onitsha, Paris, Gallimard, 1991 ; L’Africain, Paris, Gallimard, 2005 ; LEVY, Karen, « Intersected Pasts and Problematic Futures : Oedipal Conflicts and Legendary Catastrophe in J.-M. G. Le Clézio’s Onitsha and Étoile errante », The International Fiction Review, 25.1 et 2, 1998 ; MILLER, Robert, « Onitsha ou le rêve de mon père : Le Clézio et le postcolonial », International Journal of Francophone Studies, 6.1, 2003, p. 31-41 ; MOUDILENO, Lydia, « Trajectoires et apories du colonisateur de bonne volonté : d’Onitsha à L’Africain, Les Cahiers Le Clézio, nos 3-4, Paris, Complicités, 2011, p. 63-82 ; ONIMUS, Jean, Pour lire Le Clézio, Paris, PUF, 1994 ; PIEN, Nicolas, Le Clézio, la quête de l’accord original, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 18-76 ; VASSILATOS, Alexia, « The Poetics of Sensation in J.-M. G. Le Clézio’s Onitsha », JLS/TLW 29.3, 2013, 60-81 ; YILLA, Dauda, « Envisioning Difference in Le Clézio’s Onitsha », French Studies, 62, 2008, p. 173-187.

 

 

« MOLOCH »

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Deuxième nouvelle du recueil La Ronde et autres faits divers, paru en 1982, et troisième – à côté de « Ariane » et de « David » – à annoncer, par le titre, son étayage potentiel sur le filon mythique ou religieux, « Moloch » raconte quelques épisodes de l’existence isolée et fort peu mouvementée d’une jeune femme enceinte, prénommée Liana, qui vit seule dans un mobile home, avec Nick, son chien loup pour unique compagnie. Comme pour la plupart des autres récits, « Moloch » se donne pour but d’arracher à l’anonymat (où il est relégué par le fait-divers) l’individu démuni, vivant un drame personnel à l’écart d’une société indifférente, mais non moins désireuse pour autant de maîtriser son destin en lui imposant ses lois.

Cette nouvelle se remarque tout d’abord par l’ancrage temporel le plus précis à l’échelle du recueil, puisqu’elle débute le 15 août 1963, jour de l’Assomption, se poursuit le 3 octobre, jour de la naissance de l’enfant de Liana, et se clôt quelques jours plus tard, sans que le texte indique une date quelconque. Néanmoins, les deux premiers indices temporels sont plutôt censés réactualiser une journée particulière en lui ôtant ainsi le caractère ordinaire, tandis que la linéarité est tributaire de l’évolution biologique de la grossesse.

Cela parce que, là où le fait divers privilégie l’événementiel, l’écrivain privilégie le vécu individuel. Liana est une femme esseulée, délaissée par l’homme dont elle est enceinte. Le souvenir lui est plaie ouverte, ce qui fait que le retour en arrière est banni consciemment. « Moloch » repose à son tour sur le rythme de la vie qu’impose la perception, et cette dernière fond dans le même creuset la chaleur écrasante et la lumière aveuglante du soleil qui enferment l’abri du personnage dans une sphère de feu où le temps n’est plus rythmé par l’horloge. Le manque de perspective – dans le temps aussi bien que dans l’espace – fait que l’existence de Liana est engourdie à l’intérieur du … « mobile home » (sic !), mais il s’agit d’une immobilité paradoxalement salvatrice, car la protagoniste a horreur de l’agitation qui est la substance de la quotidienneté de ses semblables.

Cependant, si le nom du personnage symbolise, entre autres, les « liens » sociaux coupés, le monde extérieur parvient à empiéter sur la bulle de Liana à travers l’assistante sociale, qui lui porte secours une fois qu’elle s’évanouit, sans pour autant devenir une présence tolérée. En fait, une faille se creuse dans cette nouvelle aussi entre l’individu désireux de vivre à l’écart et la société qui menace en permanence de briser l’équilibre fragile de l’isolement. Liana redoute « les autres », qui « savent où ils vont » et « n’ont pas peur de se perdre » (M, 32) ; autrement dit, elle redoute le prévisible trop structuré. Dans ce contexte, son seul allié reste Nick, le chien loup offert par Simon et dont l’auteur se sert de manière surprenante, surtout afin de multiplier les perspectives au niveau du récit. En effet, après la naissance du bébé, il introduit un fragment où le « point de perception » (la vue n’étant qu’un sens parmi les autres) est celui du... chien. C’est également l’occasion d’un glissement mythologique, car en faisant pour un instant croire au lecteur que, affamé, Nick va dévorer l’enfant en l’absence de Liana, Le Clézio ressuscite Moloch, ancienne divinité cananéenne ressemblant au Minotaure, mais souvent représentée sous les traits d’un chien auquel on sacrifiait autrefois des enfants. Il n’en est rien pourtant, et Moloch se révèle tel qu’on le connaît de nos jours sous l’image de la société dévoratrice, menaçant d’enlever l’enfant d’une mère jugée incapable de pourvoir à ses besoins.

Comme « Hazaran », « Moloch » se clôt par l’effort désespéré de Liana de sauver son enfant en se dirigeant, comme attirée par une force invisible, vers les eaux du fleuve. Mais, si le lecteur la quitte sur la rive, il ne peut qu’espérer avec elle que le regard médusant de Nick suffira à « arrêter l’avancée des hommes qui les cherchent, pendant quelques heures encore » (M, 54).

 

Bogdan Veche

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BRIÈRE, Émilie, « Faits divers, faits littéraires. Le romancier contemporain devant les faits accomplis », Études littéraires, vol. 40, no 3, 2009, p. 157-171 ; CHEVALIER, Jean ; GHEERBRANT, Alain, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont / Jupiter, 1982 ; GLAZIOU, Joël, La Ronde et autres faits divers. J.M.G. Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, coll. « Parcours de lecture », 2001 ; HANQUIER, Eddy, « Parole et silence chez Le Clézio », Communication et langages, no 89, 3e trimestre 1991, p. 18-29 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Ronde et autres faits divers, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1982 ; LE MARINEL, Jacques, « La Ronde et autres faits divers de J.M. G. Le Clézio », L’École des lettres, no 6, 1er janvier 1992, p. 33-46 ; MARTINOIR, Francine de, « Ceux qui n’ont pu choisir une autre vie », La Quinzaine littéraire, no 371, 16/31 mai 1982, p. 5-6 ; PECHEUR, Jacques, « Feuilleton : La Ronde et autres faits divers », Le Français dans le monde, no 174, janvier 1983, p. 17 ; THIBAULT, Bruno, « Du Stéréotype au mythe : l’écriture du fait divers dans les nouvelles de La Ronde et autres faits divers de J.M.G. Le Clézio », The French Review, vol. 68, 1995, p. 964-975.

 

« L.E.L., DERNIERS JOURS »

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

L’idée de la nouvelle « L.E.L., derniers jours » qui romance le bref séjour et la mort, en Afrique, de la jeune poétesse anglaise, Letitia Elizabeth Landon, fut inspirée à Le Clézio par la découverte en 2009 de la plaque dédiée à sa mémoire dans la cour du Fort de Cape Coast, au Ghana. Le titre annonce à la fois une « nouvelle portrait » (Viegnes, 1989), avec les initiales de l’héroïne, et l’inexorable de la tragédie. Comme souvent, Le Clézio choisit l’écriture polyphonique. Un premier récit à la troisième personne et de graphie classique présente les quatre actes de cette marche vers une mort annoncée : l’arrivée de L.E.L., avec son mari George Maclean, au Fort dont il est Gouverneur et l’espoir d’une vie nouvelle loin de la malveillance du milieu littéraire londonien, la découverte de l’envers du décor, les efforts pour rencontrer l’Afri-que profonde lors d’un voyage en terre ashanti, l’échec, la déception et la mort par le poison. En contrepoint, un second récit, à la première personne et en italiques, donne à entendre la voix d’Adumissa, la « Wench » – l’épouse africaine clandestine de George Maclean – qui expose sa propre histoire : son éviction brutale du Fort à l’arrivée de l’épouse légitime, le recours aux pratiques magiques pour éliminer sa rivale, et enfin, la fière affirmation de sa liberté lorsqu’elle refuse de reprendre la vie commune avec le père de sa fille Aweeabil-Laura. Les voix alternent selon un rythme 1/1, 4/1, 1/1, 1/1 dans ce qui s’apparente à un court opéra dramatique dont les interventions d’Adumissa, ponctuées de leitmotive, seraient les récitatifs. Le choix de laisser le dernier mot de l’épilogue à l’Africaine humiliée confère au texte une dimension parabolique.

Comme plusieurs nouvelles du recueil Histoire du pied et autres fantaisies (2011), « L.E.L., derniers jours » est écrite « l’Afrique au cœur » : une Afrique stylisée – récit bref oblige – et ambivalente. La vision idéalisée de l’Afrique, nourrie de la lecture du Giaour de Byron ou des Cahiers de voyage de l’exploratrice Sarah Bowdich qui, en 1817, a accompagné l’expédition de son mari, Thomas Edward Bowdich, jusqu’à la cité de Kumasi en terre ashanti, s’oppose à la réalité d’un continent marqué par les stigmates de l’esclavage et de la colonisation. Aux yeux de la jeune et brillante poétesse, qu’une liaison adultère avec un homme marié a vouée à l’opprobre de la société bien-pensante, le fort africain fait figure de château romantique et de havre propice à la création : « Le château était semblable à tout ce qu’elle avait imaginé dans ses rêves, un endroit perdu au bout du monde, effrayant et mystérieux, un endroit pour oublier les échecs du passé et recommencer à écrire » (HP, 163). Il se révèlera très vite une geôle odieuse avec ses rituels ridicules, la morgue des colonisateurs et la surveillance hostile de son mari. L.E.L. découvre le vrai visage de ce qu’elle pensait être une mission civilisatrice : la colonisation à l’œuvre dans les forts qui en sont les constructions emblématiques tout au long de la Côte-de-l’Or. Instituées dès le XVe siècle par les Portugais, ces petites forteresses qui dominaient la mer, comptoirs commerciaux à l’origine, furent réaménagées pour répondre aux besoins de la traite négrière. Équipées de grandes caves pour recevoir les esclaves en attente de partir, elles serviront ensuite de prisons. L.E.L. observe avec effroi les cellules délabrées avec leur « odeur de mort » (HP, 180) et la détresse des prisonniers. Son équipée à l’intérieur des terres jusqu’à la ville d’Axim, qui devait nourrir son inspiration poétique et qui n’est pas sans évoquer les toiles orientalistes de l’époque (Fromentin), s’avère également déceptive. Faute de rencontrer les grands fauves, la ville pittoresque et l’accueil chaleureux du peuple Africain, dont elle avait rêvé, L.E.L. sera confrontée à l’agression d’insectes, au spectacle de la misère et à l’hostilité des femmes Ashanti.

Ce rapport ambivalent à l’Afrique est poétiquement traduit par le motif de la mer. Si L.E.L, femme de la ville, a besoin d’un temps d’adaptation pour trouver le tempo et entrer en harmonie avec « le bruit lancinant, inlassable, impossible à oublier […] » (HP, 157) de la houle, elle répond à « la voix des vagues qui la harcelait, ressassait […] » (HP, 160), et se rend chaque nuit à l’extrême pointe du fort pour s’enivrer de l’odeur de la mer, de la violence du vent qui lui apporte le baume doux-amer de la nostalgie : « De l’autre côté de l’Océan se trouvaient ses amis très chers, sa vie, sa fille, tous ceux qu’elle avait quittés pour venir ici – et tous, ils lui arrivaient dans le vent de la mer, elle croyait entendre leurs voix, leurs rires […] La petite voix chantante de Laura » (HP, 161). Un appel ambigu, car dans cette nouvelle, placée sous l’orbe du romantisme, la nature garde de manière indélébile la trace de l’histoire des hommes. Aussi la rumeur des flots est-elle chargée de l’écho des voix des disparus : gémissement des esclaves enchaînés ou des prisonniers du fort, voix de Laura, enterrée à Honfleur, non loin de la Léopoldine de Victor Hugo, et qui dit l’échec et le remords. La mer exerce sur Letitia Elizabeth Landon une attraction morbide : l’aide de la cuisinière, Meriama, la retient un jour de s’y jeter et lorsque, désespérée, L.E.L. pense au suicide, le « poids du vent sur les volets » l’empêche de rejoindre la vague. Conformément à l’imagerie romantique (on songe au dessin de Victor Hugo : La Vague, ma destinée), la mer est présentée, dans les vers de Letitia Elizabeth Landon placés en exergue, comme la métaphore de la vie qui brise et emporte les illusions : « One wave comes up after another, and is forever dashed to pieces, like human hopes that only swell to be disappointed ».

Le Clézio qui, une fois n’est pas coutume, retient l’hypothèse la plus romanesque pour la mort de L.E.L. : celle d’une rivalité amoureuse entre les deux femmes, substitue toutefois à l’empoisonnement réel supposé, un meurtre par voie de sorcellerie. La malédiction d’Adumissa introduit le fantastique, cette « pensée magique » qui fascine Le Clézio, avec l’incertitude sur les causes exactes de la mort de L.E.L. : meurt-elle de la trahison de George, de sa rencontre manquée avec l’Afrique, du souvenir douloureux de Laura, de l’impuissance à écrire ou de la malédiction de sa rivale (quand elle meurt, les cordes sont dénouées) ? L’auteur évite également les clichés du drame de la jalousie en présentant deux figures de femmes qui à la fois s’opposent et se ressemblent comme dans un jeu de miroir. Toutes deux ont choisi la transgression, elles ont chacune une fille clandestine, lesquelles, ironie du sort, portent le même prénom. Elles ont en partage l’indignation contre l’esclavage et les abus de la domination masculine : « Les hommes n’étaient-ils pas tous complices ? » (HP, 172), interroge Letitia Elizabeth Landon, et Adumissa rappelle la trahison de ses ancêtres, complices du trafic d’esclaves. Le Clézio crée un personnage de « Wench » qui ne correspond pas au signifié péjoratif du mot (prostituée) : Adumissa « de la lignée d’Adoo, dernier roi de Braffoo » (HP, 165) est une femme fière de ses origines aristocratiques et fidèle « à l’honneur de sa lignée » (HP, 167), attachée à sa culture et désireuse néanmoins de voir évoluer la condition des femmes.

La nouvelle met ainsi face à face une « colonisatrice de bonne volonté » (Albert Memmi) nourrie de l’idéalisme de Byron, le héros de Missolonghi, animée du vif et naïf désir de militer conjointement pour l’émancipation des femmes et des esclaves, et la victime africaine de la colonisation, bafouée dans sa dignité et son honneur. L’utilisation cruelle des rites de la sorcellerie africaine contre sa rivale (cordes nouées, offrandes à la pierre sacrée), renvoie à ce que disait Sartre dans sa préface aux Damnés de la terre sur le recours aux traditions utilisées comme « une arme contre le désespoir et l’humiliation » (Fanon, 2002, 27). Les deux femmes, victimes du même homme, eussent pu se retrouver sur le terrain du combat féministe. Mais Le Clézio a choisi d’opposer au désespoir romantique de l’Européenne, l’orgueil en acte de la femme africaine qui s’affranchit seule de la tutelle de l’homme infidèle et du colonisateur sans scrupule en refusant de revenir au fort, et avec la volonté d’enseigner à sa fille Aweeabil « la vie des femmes libres » (205). Une fin à lire comme une parabole : c’est par ses seules forces, sans l’aide paternaliste des Européens, fussent-ils pétris de bons sentiments, que l’Afrique pourra se libérer du carcan de la colonisation, selon un double axe de respect et de dépassement de la tradition qu’implique inévitablement le concept de liberté des femmes.

Marina Salles

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BEDRANE, Sabrinelle, « Histoire du pied et autres fantaisies. Déplacements génériques » dans J.-M.G. Le CLézio La Fièvre, Printemps et autres saisons, Histoire du pied et autres fantaisies, BEDRANE, Sabrinelle, ROUSSEL-GILLET, Isabelle (dirs), Roman 20-50 n°55, juin 2013, p. 25-33 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., « L.E.L., derniers jours » dans Histoire du pied et autres fantaisies, Paris, Gallimard, 2011 ; SALLES , Marina, « Nouvelles d’exil. Variations sur « l’irréversible et la nostalgie », J.-M.G. Le CLézio La Fièvre, Printemps et autres saisons, Histoire du pied et autres fantaisies, Roman 20-50, op. cit., p. 113-125 ; SARTRE, Jean-Paul, Préface à FANON, Franz, Les Damnés de la terre, Paris, La Découverte & Syros, 2002 ; THIBAULT, Bruno, « Trois femmes puissantes ; La vision de l’Afrique contemporaine dans Histoire du pied et autres fantaisies », J.-M.G. Le Clézio La Fièvre, Printemps et autres saisons, Histoire du pied et autres fantaisies, Roman 20-50, op. cit., p. 37-47 ; VIEGNES, Michel, L’Esthétique de la nouvelle française au XXe siècle, New-York, Peter Lang, 1989.

Letitia Elisabeth Landon.

INCONNU SUR LA TERRE (L’)

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Quand les mots échappent à saisir le réel apparaît un enfant, assis « au bord des nuages comme sur une dune de sable ». Son regard est lumière vivante qui bondit « sur les rochers blancs » et son « sourire […] fait naître » une musique (IT, 9-11) cette vibration du monde que J.-M.G Le Clézio entend faire résonner, au-delà des mots et des pensées, à travers les pages de L’Inconnu sur la terre : « Je veux écrire pour la beauté du regard, annonce-t-il, pour la pureté du langage. [...] Je veux écrire pour être du côté des animaux et des enfants, du côté de ceux qui voient le monde tel qu’il est, qui connaissent toute sa beauté […] » (IT, 386-387).

Cette phrase programmatique de L’inconnu sur la terre est citée dans le Monde du 11 octobre 2008 par Patrick Kechichian lorsqu’il annonce l’attribution du prix Nobel à J.-M.G. Le Clézio. Il la considère comme emblématique de « l’aventure poétique et de l’extase sensuelle » récompensée par l’Académie suédoise.

L’Inconnu sur la terre demeure pourtant un des livres inclassables et presque secrets de l’auteur du Chercheur d’or, de Révolutions ou de L’Africain. Il n’a longtemps été pour moi qu’une simple ligne dans la bibliographie de l’écrivain. Lors de l’entretien public que j’avais eu avec l’auteur au moment de la sortie de La Quarantaine (à Toulouse, en 1995, à l’invitation de la librairie Ombres blanches) nous n’étions que peu remontés au-delà de Désert (1980), le roman par lequel le grand public avait accédé à ses livres.

Il m’a fallu aller jusqu’à Pondichéry, début 2009, pour éprouver l’urgence de la lecture de L’Inconnu sur la terre. Une mission Stendhal m’avait conduite jusqu’à cette porte française de l’Inde et, au fil des rencontres, j’avais été conviée à intervenir à l’école de l’ashram fondé par Sri Aurobindo (1872-1950) et par la française Mira Alfassa, dite « la Mère » (1878-1973). Un membre de l’ashram, Cristof Alward-Pitoeff (descendant des acteurs Georges et Sacha Pitoeff), m’avait demandé de présenter l’œuvre de J.-M.G. Le Clézio dans la salle même où l’auteur de Désert était intervenu lors de son passage à Pondichéry en 2006. Je revenais en effet de Stockholm, où j’avais assisté aux cérémonies de remise du prix Nobel de littérature, le 10 décembre 2008. Au cours de l’échange qui a suivi la conférence, Cristof Pitoëff a évoqué L’Inconnu sur la terre. Entièrement voué à son itinéraire spirituel, il ne lisait plus de romans depuis des décennies. Il avait été attiré par le caractère poétique de L’Inconnu sur la terre et surtout, la spiritualité qui l’imprègne lui avait semblé familière. Il éprouvait un particulier attachement pour la figure de l’enfant autour de laquelle se déploie le livre. Il cherchait à susciter chez les enfants de l’école de l’ashram ce « regard qui révèle l’immense creux au fond de votre être, la vie interne », porté par des yeux « sans limites [qui] ne veulent pas juger, ni séduire, ni subjuguer » (IT, 63).

La proximité spirituelle ressentie par Cristof Pitoëff n’était pas impression subjective. Dans l’entretien accordé à François Gautier pour la Revue de l’Inde (2006) lors de ce même séjour à Pondichéry, Le Clézio évoquait un club fondé avec quelques amis lorsqu’il avait une vingtaine d’années : « Nous nous lisions des passages de ces grands écrits de sagesse que sont Les Oupanishads, les Védantas, ou la Bhâgavata gîta et également des livres de René Guénon. […] et nous remettions un peu en question l’héritage chrétien. On se livrait à des gloses très intuitives […]. Nous lisions Sri Aurobindo aussi, c’est pour moi le leader spirituel de l’Inde, le visionnaire de l’humanité future. Je crois que la spiritualité indienne a quelque chose à nous apporter. »

L’essai discursif directement issu de ces échanges du Le Clézio de 20 ans avec ses amis était paru en 1967 sous le titre de L’extase matérielle. En 1978, L’Inconnu sur la terre reprend un objectif identique : rendre compte sous forme de méditations désormais fluides et poétiques, ponctuées de dessins légers, d’un itinéraire spirituel ancré dans le présent – « Je suis moi. Je suis ici, maintenant » (IT, 83) – et dans la matérialité des choses : « Ce qui sépare les hommes du monde doit s’effacer. Les plantes, les rochers, la mer sont si proches ! Il suffit de tendre la main. Comment, comment faire pour les entendre ? Il faut s’approcher, encore, s’appliquer et s’étendre, ouvrir ses sens, écouter. Tout va venir, tout va s’unir. Tout va parler […] » (IT, 144). Cette conviction de l’unité entre toutes les composantes de la matière, cette confiance dans la capacité de l’homme à atteindre un état de conscience permettant d’accéder à la transparence, de devenir vague, rocher et lumière fait partie des fondements des Upanishads et de L’Aventure de la conscience de Sri Aurobindo. Entre 1967 et 1978, la route de Le Clézio était passée par le Mexique et par la rencontre avec un autre monde indien, celui de la méso-Amérique, des indiens Huicholes de la sierra Madre et des Embéras du Panama. Dans Haï, il évoque sa participation à leurs cérémonies sacrées, leur vision d’un monde sans rupture entre ses différentes composantes, leur conscience de la beauté, leurs pratiques artistiques et leur lutte « contre l’empire de la soumission » par des « mots magiques » et des « dessins magiques qui étaient l’énergie de la vie » (H, 141), leur obsession d’un silence qui, s’il entre « à l’intérieur de notre corps », « détruira […] ces livres qui ne servaient qu’à brouiller les émissions de la conscience » et « éteindra » non pas la musique « mais la prison qu’il y a dans la musique » (H, 49).

Lorsqu’à la fin de L’Inconnu sur la terre le narrateur voit aboutir sa quête et accède à la vie nouvelle pour laquelle il veut écrire, il invoque, en écho à Haï, la naissance d’une musique « qu’il jouerait avec les mots de [son] langage […] et qui contiendrait tous les désirs, tous les espoirs, toutes les souffrances » , une musique « de mots libérés » conduisant « plus loin que le regard » : « les paroles, et la musique, en ce temps-là, seraient vraiment libres, et ne survivraient pas à elles-mêmes ; leur bruit serait leur seule vérité, dans la chaleur et la lumière du soleil, sur cette pierre blanche, non loin de la mer » (IT, 388-391). Il s’autorise par ailleurs à inclure dans le livre des représentations graphiques légères qui entrent en résonance avec certains éléments du récit. Le dessin a toujours été une forme d’expression naturelle chez Le Clézio et il croit dans la force de l’emblème. Les graphismes de L’Inconnu sur la terre visent à l’épure. Ils sont des signes, une autre forme de ce langage unique que le narrateur cherche à créer et une manifestation de sa transgression des codes éditoriaux : le livre de l’enfant libre peut aussi s’accorder la liberté des livres pour enfants ponctués d’images.

La liberté est une des caractéristiques essentielles de L’Inconnu sur la terre, livre d’aboutissement et de passage. L’Inconnu sur la terre surgit après des années de recher-ches et d’expériences, de travaux sur les textes fondateurs mexicains et de séjours chez les Indiens : « La plongée dans l’univers amérindien, dans la forêt du Darién panaméen, que j’ai faite dans les années 1970, a été un choc très violent, qui m’a laissé muet pendant des années » a expliqué Le Clézio dans un entretien avec François Armanet pour L’Obs en 2006. « Tout était si différent, si empli de grâce. J’avais tout à apprendre, c’est-à-dire à réapprendre »… Y compris sa place dans le monde en tant qu’écrivain.

L’Inconnu sur la terre est un manifeste : le narrateur veut « écrire seulement sur les choses qu’[il] aime » et « reconstruire la beauté » (IT,12) des choses et des éléments – eau, feu, terre, air – mais aussi la lumière qui peut apparaître jusqu’au cœur des villes. Au fil du récit, du lever au coucher du soleil, en compagnie de l’enfant, c’est le « comment » de cette écriture nouvelle et son ouverture sur l’espace du monde qui se définit peu à peu.

L’Inconnu sur la terre devient ainsi le livre du passage, celui qui permet la libération d’une nouvelle écriture de fiction et la conquête d’un public dépassant les professionnels qui avaient applaudi la réussite formelle et la construction langagière du Procès-Verbal en 1963, approfondie de roman en roman jusqu’à Les Géants (1973). L’Inconnu sur la terre est indissociable d’un recueil de nouvelles Mondo et autres histoires : leur écriture a été menée en parallèle, au point que « ces deux ouvrages, très intimement liés, se fondent et se complètent. » (Maulpoix, 2001). Les nouvelles de Mondo et autres histoires mettent, elles aussi, en scène des enfants, des « enfants Dieu » selon les catégories jungiennes fondées sur les mythes, porteurs de transformation. C’est à travers eux que Le Clézio peut atteindre ce qu’il cherche : un changement radical du regard, fixé non plus sur ce qui déshumanise le monde et le rend inhabitable mais sur « la beauté sans fin de la vie magique, de la vie libre » (IT, 394). Les contes de Mondo ont très vite été repris dans des collections pour enfants (Lullaby, Gallimard Jeunesse, 1980), mais leur pouvoir d’enchantement s’est immédiatement exercé sur des lecteurs adultes qui ont commencé à ne plus considérer Le Clézio comme un  ​​​​ intellectuel illisible.

Ces « œuvres laboratoires », L’Inconnu sur la terre et Mondo et autres histoires ont ouvert la route vers une nouvelle entreprise, celle de Désert, conduite avec un souffle romanesque d’une particulière puissance et dont chaque page porte la marque définitivement imprimée sur l’œuvre par les apprentissages intérieurs, la confrontation aux éléments et les expériences spirituelles que révèle L’Inconnu sur la terre à travers le silence, l’écoute et le regard de l’enfant.

Aliette Armel

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

LE CLÉZIO, J.-M.G., L’Inconnu sur la terre, Paris, Gallimard, coll. L’Imaginaire, 1978 ; L’Extase matérielle, Paris, Gallimard, nrf, coll. Idées, 1971 ; Haï, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1987 ; Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, Folio, 1982 ; Entretien, propos recueillis par François Gautier, Revue de l’Inde, n°5, 2006 (http://www.larevuedelinde.com/itwleclezio.htm, consulté le 5 avril 2016) ; « Les Amérindiens et nous », propos recueillis par François Armanet, L’Obs, 2006 (publié sur Internet le 9 octobre 2008, http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20081009.BIB2169/les-amerindiens-et-nous-par-le-clezio.html consulté le 5 avril 2016 ; MAUGUIÉRE, Bénédicte, « Hindouisme », « Dictionnaire J.-M.G. Le Clézio » de l’Association des lecteurs de J.-M.G. Le Clézio, édition 2015, http://www.associationleclezio.com, consulté le 5 avril 2016 ; MAULPOIX, Jean-Michel, « Deux hymnes de Le Clézio à la liberté vraie, L’Inconnu sur la terre & Mondo et autres histoires », 2001, URL : http://www.maulpoix.net/clezio.html ; SATPREM, Sri Aurobindo et l’aventure de la conscience, Buchet-Chastel, 2003 ; THIBAULT, Bruno, « L’Expérience et l’écriture paradoxales dans L’Inconnu sur la terre », dans Bruno THIBAULT et Keith MOSER (coords.), J.-M.G. Le Clézio. Dans la forêt des paradoxes, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 67-78.

 

HAÏ

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Haï est une commande de Gaétan Picon pour sa collection « Les sentiers de la création » chez Skira. Jean-Xavier Ridon rappelle qu’un an plus tôt, en 1970, Roland Barthes publiait dans la même collection L’Empire des signes qui présente le Japon comme « un système de signes élaboré à partir de l’idée qu’il se fait de ce pays » (Ridon, 2010, 80). Haï n’est pas une fiction et comporte, en alternance avec le texte, des photos de divers objets appartenant à l’auteur : statuettes, calebasse, panier tissé ainsi que des clichés de paysages, opposant art indien et photos publicitaires de la société de consommation.

Haï conte l’expérience, au début des années soixante-dix, de vie commune de Le Clézio avec les Indiens Emberas et Waunanas, habitants du Darién, lieu sans infrastructures, dans la forêt tropicale du Panama. Pour les Indiens le monde se diviserait entre deux forces : « Haï », le titre, signifie « L’activité, l’énergie » et l’autre force « wandra, la soumission, la domination, la possession » (H, 143). Cependant, Le Clézio « n’entend pas qualifier [sa démarche] d’anthropologique » (Cavallero, 2005, 19). Le lecteur a surtout l’impression de se trouver devant un traité de sémiologie portant sur les Amérindiens du Panama, mais rédigé de l’intérieur par un auteur empathique. Marina Salles note que les traditions indiennes n’inspirent pas de fictions à Le Clézio (Salles, 2006, 292) et le font « sortir de l’histoire » (Salles, 2006, 305). Effectivement ce monde indien se trouve déjà si loin de notre réalité qu’il est inutile de lui inventer une histoire, un récit fictif. Nous nous trouvons grâce à lui hors histoire et également ancré dans un hors temps. L’auteur précise que son livre, sans qu’il en ait eu l’intention, se trouve structuré comme le « déroulement du cérémonial de guérison magique » (H, 7). Les trois étapes que Le Clézio nomme avec des majuscules en sont Initiation « Tahu sa, l’œil qui voit tout » (H, 9), Chant « Beka, la fête chantée » (H, 47), et Exorcisme « Kakwahaï, Corps exorcisé » (H, 92). Il s’agit donc d’un livre initiatique. La phrase la plus troublante du livre et qui donne le ton de ce qui va suivre est « Un jour on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine » (H, 7). L’italique invite à comprendre le mot dans le sens anglais de sorcellerie, de même que l’expression « medicine man » signifie guérisseur, chamane, sorcier, chez les Indiens d’Amérique. Les pratiques décrites dans Haï, que Le Clézio présente comme des actes à la fois logiques et naturels en comparaison avec celles des sociétés de consommation, incluent des rituels d’altération de conscience, des chants, et l’art en tant que traitement mental ou du corps. Le Clézio revient sur ce rituel et son apprentissage avec des chamans dans La Fête chantée.

Gérard de Cortanze, dans son livre/anthologie, intitulé J.-M.G. Le Clézio, cite deux pages de Haï (29-31) qui ne parlent que du silence, de la magie du silence (Cortanze, 2009, 91-92). Il s’agit du silence lourd, « dense » (H. 31) de la forêt et du fleuve qui s’oppose au vacarme des villes et aux bavardages inutiles des hommes. Marina Salles retient le respect de la liberté et l’absence de censure qui caractérisent les Amérindiens. Elle montre que Le Clézio oppose cette liberté aux règles morales des sociétés occidentales policées, notamment pour ce qui concerne les femmes (Salles, 2006, 85). En effet, la femme indienne possède la « liberté de fuir l’homme qu’elle a cessé d’aimer, de chercher un homme qui lui plaît, de boire les décoctions de plantes abortives ou d’empoisonner son enfant à la naissance si elle n’en veut pas » (H, 25).

« Je ne sais pas trop comment cela est possible, mais c’est ainsi, je suis un Indien » (H, 5) : cette déclaration en forme d’incipit, écrite dans l’enthousiasme suscité par la découverte de la civilisation indienne, était-elle excessive ? Rappelons que l’enfant qui va en Afrique dans Onitsha* devient africain et que Le Clézio nomme son père « l’Africain » dans le livre du même nom. Pour Le Clézio vivre dans un lieu et une culture affecte forcément l’écrivain ouvert et empathique. Il s’imprègne à la fois du lieu et des gens et il devient africain ou amérindien. Il s’adapte de façon extrême, adoptant toutes les coutumes, sans jamais donner dans l’exotisme facile. Les pratiques qui, généralement, passionnent les lecteurs épris d’exotisme n’intéressent pas particulièrement l’auteur : la prise de mescal, de peyotl ou de chicha n’ont pas beaucoup d’effet sur lui, dit-il (H, 5). Qu’on ne s’attende pas à l’accès à un monde magique par les plantes hallucinogènes. Ce qu’il apprend chez les Indiens va beaucoup plus loin que la vision physique d’un monde plus en phase avec la nature, elle lui apporte la certitude qu’il existe une autre philosophie de vie, une autre manière de percevoir et de se sentir, d’être dans le monde. De même lorsqu’il affirme : « quand j’ai rencontré ces peuples indiens, moi qui ne croyais pas spécialement avoir de famille, c’est comme si tout à coup, j’avais connu des milliers de pères, de frères et d’épouses » (H, 5), il laisse entendre qu’il s’est senti inclus sans jugement, avec tolérance, admis dans la famille humaine, ce qui arrive rarement dans le monde occidental individualisé et discriminatoire. Le message que Le Clézio a retenu de sa rencontre avec les Indiens est un message de tolérance et de respect des différences. Il reviendra ensuite, dans La Fête chantée et « L’Obs » (Le Nouvel Observateur), sur sa déclaration d’identité indienne, dont il reconnaît les limites : « Naturellement, après être parvenu à un certain niveau d’entendement, il m’est devenu clair que je ne pouvais aller plus loin » (FC, 22). Cependant il réitère le fait que sa rencontre avec trois sorciers, chamans, devins, et le rite de la fête chantée l’a « changé complètement, a modifié toutes les idées qu’[il] pouvai[t] avoir sur la religion, la médecine, et sur cet autre concept du temps et de la réalité qu’on appelle l’art » (FC, 22).

En accord avec l’esprit des « Sentiers de la création », Haï aborde la question de l’art et montre que la perception et l’appréhension du monde de l’art diffère chez les Indiens de celles du monde occidental : « Pas besoin de livres assurément, ni de tableaux : tout homme est un livre, est un tableau » (H, 50), ou « la musique indienne ne cherche pas à être belle. Elle est seulement un bruit dans le concert des autres voix : cris des oiseaux, cris des singes hurleurs, cris du chien » (H, 136). Tout un chacun peut s’exprimer de façon artistique chez les Indiens et il n’existe pas d’élitisme de l’art ou d’exigence de technique artistique. En fait la finalité de l’art diffère en occident et chez les Indiens. L’art indien a un but religieux de dépassement individuel, de communion : « par le chant, les Indiens sont peut-être les seuls à avoir réalisé l’idéal zen » (H, 78). Le chant s’apparente à la magie, envoûte, communique avec les forces occultes (H, 79). Le chant s’évapore ensuite, comme les mandalas tibétains en sable sont créés pour être ensuite effacés. L’impermanence de l’art ne gêne pas les Indiens. L’ego n’entre pas en jeu, ni l’ambition, ni le désir d’être prolongé, contrairement, dit Le Clézio, à la conception occidentale de l’art où « la compétition obligatoire a fait des artistes ces soudards et ces aventuriers, qui ne voulaient vivre que pour la gloire, dans l’espoir de la survie de leur nom » (H, 105). La comparaison entre monde indien et monde moderne offre un éclaircissement sur ce dernier et Le Clézio la formule comme une injonction : « La rencontre avec le monde indien n’est plus un luxe aujourd’hui. C’est devenu une nécessité pour qui veut comprendre le monde moderne » (H, 11). Le Clézio oppose le mystère, l’élémentaire, le vivant, la nature et l’univers, au soi-disant progrès de la modernité. L’homme Indien fait partie de l’univers, contrairement aux Occidentaux qui en sont distincts et séparés en raison de leur langage et de leurs diverses productions. En fait le langage humain est suspect pour les Indiens. Le Clézio décrit les gestes, les regards et le silence, trois éléments qui acquièrent une qualité spécifique chez les Emberas. Les gestes sont répétitifs, sans précipitation, et créent de la beauté, les regards se posent sans juger ni chercher à comprendre ni à interpréter, et le silence de la jungle prédomine. Le Clézio déteste la pollution sonore de nos villes, les publicités agressives et les mots inutiles : « Quand on a appris à parler, que reste-t-il ? Apprendre à se taire, voilà » (H, 34). Il sous-entend que les cultures occidentales débordent de tant de stimuli, de sollicitations, d’appels, qu’il est impossible d’échapper à leur pouvoir. Au contraire de l’Indien qui, lui, « n’est pas agi, [...] n’est pas soumis » (H, 34).

Avec Haï, Le Clézio a souhaité mettre en lumière une façon d’appréhender l’art, étrangère à la civilisation occidentale. Haï inclut de multiples aspects artistiques que les Indiens ne considèrent pas comme de l’art, mais comme la vie simplement, et qu’ils n’enferment pas dans un musée. Dans le même ordre d’idée, à l’invitation du musée du Louvre en 2011–2012, Le Clézio a rassemblé pour l’exposition « Le Musée Monde » des œuvres multiples, comprenant arts éphémères, art vivant et objets d’art ou d’artisanat. Sur une période de trois mois furent programmés films, danse, musiques, spectacles, et mis en relation des artistes issus d’horizons et de cultures éloignées, Haïti, le Vanuatu, le Mexique ou Chicago, afin de dépasser les catégories, de gommer les hiérarchies, d’annuler les chronologies, et de faire vivre la magie.

Isabelle Constant

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ARMANET, François, « Entretien : Les Amérindiens et nous, par J.-M.G. Le Clézio », Bibliobs, 9-10-2008, http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20081009.BIB2169/les-amerindiens-et-nous-par-le-clezio.html ; http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-dossier-presse-clezio.pdf, consulté le 25 mars 2016 ; BARTHES, Roland, L’Empire des signes, Genève, Skira, coll. Les sentiers de la création, 1970 ; CAVALLERO, Claude, « J.-M.G. Le Clézio ou l’Écriture transitive », Nouvelles Études francophones, vol. 20, Nº 2, Automne 2005, 17-29 ; DE CORTANZE, Gérard, J.-M.G. Le Clézio, Paris, Gallimard/Cultures France Éditions, 2009 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Hai, Flammarion, coll. « Champs », 1987 ; La Fête chantée et autres essais de thème amérindien, Paris, Gallimard, coll. Le Promeneur, 1997 ; PIEN, Nicolas, Le Clézio, La quête de l’accord originel, Paris, L’Harmattan, 2004 ; RIDON, Jean-Xavier, « L’île perdue : entre invisibilité et nostalgie », dans Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Léger, Roussel-Gillet, Salles, dirs, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 75-91 ; SALLES, Marina, Le Clézio notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

ÉTOILE ERRANTE

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Étoile errante (1992) relève d’une double poétique, corrélée à un double ethos auctorial, que Le Clézio a explicités dans sa « Conférence Nobel ». D’une part, Le Clézio se veut témoin dans la tradition de l’intellectuel sartrien ; d’autre part, il cherche à dépasser les clivages socio-historiques pour esquisser, fût-ce de façon approximative, des figures de la complétude mythique, voire de l’utopie, et l’auteur est alors proche de la posture du mage romantique, dont témoigne encore la fascination qu’il éprouvait pour « Mircea Eliade, l’initiateur » et ce qu’il appelait son « univers cosmocisé » en 1979.

Le roman est consacré au conflit israélo-palestinien, et le témoignage est au cœur du projet. La partie centrale, intitulée « Nejma », relate l’exode palestinien d’après-guerre (1948), au moment de la fin de la présence britannique en Palestine, et la proclamation de l’État d’Israël par Ben Gourion. Nejma est une jeune Palestinienne qui quitte la ville d’Akka et le bord de mer où elle vivait pour rejoindre le camp de Nour Chams, puis la Jordanie. À la demande de Mahmoud Darwich, Le Clézio a publié en 1988 la première partie de ce récit, jusqu’au départ de Nejma de Nour Chams, dans la Revue d’études palestiniennes sous le titre « Camp de Nour Shams, été 1948 ». Cette publication, qui reprend une problématique déjà abordée dans « Hanné » (1987), a donné lieu à ce que Jérôme Garcin a appelé une « cabale » : Bernard-Henri Lévy y avait lu un « anti-sionisme déclaré, déchaîné », alors que Tahar Ben Jelloun se disait en revanche sensible à la « sobriété » et la « justesse » du témoignage. Le Clézio a par ailleurs insisté, dans divers entretiens, sur son travail de documentation historique, notamment dans « les journaux de cette époque » ou les « dossiers des Nations unies » (« Les Cicatrices intérieures de Le Clézio » ; « J.M.G. Le Clézio, la Palestine et Israël »).

À cette histoire, le roman ajoute une deuxième trame narrative qui relate le parcours d’Hélène/Esther Grève. Cette jeune fille juive a vécu la persécution nazie dans l’arrière-pays niçois (Saint-Martin-Vésubie) en 1943 avant d’émigrer avec sa mère en Israël en 1948 et de s’installer dans le kibboutz Ramat Yohanan. Au début des années 50, elle se trouve à Montréal pour y faire des études, revient en Israël à la fin des années 60 et s’installe en 1973 comme pédiatre à Tel Aviv. Le Clézio a précisé qu’il avait emprunté (la partie la plus ancienne de) cette histoire aux souvenirs de sa mère, qui ont ressurgi en lui en 1982, lorsque de lourds bombardements de Beyrouth coïncidaient avec de spectaculaires incendies sur les hauteurs de Nice (« Les Cicatrices intérieures de Le Clézio »). Le roman était achevé dès 1987, mais l’auteur affirme avoir retardé la publication pour éviter le lien direct avec l’actualité, et notamment la « révolte des pierres » (« Le Clézio, victime d’une cabale »).

Le Clézio s’efforce d’harmoniser ces deux histoires de vie radicalement différentes, marquées par la violence : « À l’époque où j’écrivais Étoile errante, je pensais qu’il y aurait, tôt ou tard, un accord politique entre Israéliens et Palestiniens » (« J.M.G. Le Clézio, La Palestine et Israël »). Il est révélateur, à ce propos, que des références à l’Islam et au Judaïsme soient certes présentes, mais assez souvent quelque peu en sourdine. Esther ne sera familiarisée avec le Judaïsme qu’assez tardivement, dans une synagogue à Saint-Martin et surtout à bord du Sette fratelli, le bateau qui l’amène en Israël et où Reb Joël récite le Livre des Commencements, alors que son père, communiste et « professeur d’histoire - et - géo », préférait lui lire « les romans de Dickens » (EE, 185). De la traversée, Esther retiendra plus tard moins les chants religieux incantatoires que les chansons de Billie Holiday (EE, 196, 338). En miroir, le père de Nejma a certes enseigné la langue à sa fille pour qu’elle puisse apprendre « les sourates du Livre » et résoudre « des problèmes de géométrie » (EE, 228). Mais l’écriture de Nejma est résolument orientée vers la vie quotidienne : elle inscrit son nom « en caractères romains » (EE, 307) sur le cahier noir qu’elle offre à Esther sur la route de Siloë (EE, 212), pour que celle-ci y appose le sien, et elle y inscrira plus tard, à la demande de son compagnon le Baddawi, le récit de sa vie (EE, 228). Dans le roman, Le Clézio ajoute un paragraphe au texte de la Revue d’études palestiniennes dans lequel Nejma insiste sur le don, l’échange des « cahiers de [s]a mémoire » avec Esther : « Elle est venue, ce jour-là, et j’ai lu ma destinée sur son visage. Un bref instant, nous étions réunies, comme si nous devions nous rencontrer depuis toujours » (EE, 228). Le cahier noir où ne figuraient initialement que les deux noms de femmes devient ainsi un livre ouvert, où Nejma écrit son récit de vie pour Esther. Esther achète un cahier semblable pour y écrire à son tour le récit de sa vie, qu’elle rêve d’échanger avec Nejma comme signe d’une « mystérieuse alliance » : « Nous échangerions nos cahiers pour abolir le temps, pour éteindre les souffrances et la brûlure des morts » (EE, 308). Le cahier noir relève ainsi de ces supports fragiles, fréquents chez Le Clézio et auxquels Tanguy Dohollau a été sensible dans sa belle aquarelle « Lettre au vent », qui tendent à se substituer aux récits d’autorité, aux livres fondateurs. Le Clézio efface ainsi, de façon subtile, l’ancrage des personnages sur le plan vertical pour privilégier des récits de vie, des « écritures ordinaires » (Michel de Certeau, Daniel Fabre) sur l’axe horizontal.

Ce déplacement de la verticalité vers l’horizontalité se lit aussi dans la symbolique du récit, et c’est sur ce plan que Le Clézio a situé l’enjeu majeur de son roman : « mon texte est tout sauf politique. Ce sont des pages symboliques contre la guerre en général » (« Le Clézio, victime d’une cabale »). L’étoile est un symbole essentiel, à la fois dans la culture judaïque et l’histoire d’Israël (les étoiles des bougies du service religieux à la synagogue (EE, 81) et de la fête des Lumières, quand on allume les hannoukas (EE, 297), l’étoile de David (EE, 207) et dans la culture et l’histoire palestinienne (le récit de Nejma mentionne l’ « étoile verte » de la barque de son père (EE, 267)). Mais l’étoile est surtout, dans ce récit, le nom des deux protagonistes : Nejma signifie « étoile » en arabe, et Esther est appelée « estrellita » (petite étoile) par ses parents (EE, 92, 165). L’étoile errante traduit certes le parcours erratique de ces deux personnages (« Ester et Nejma resteront des étoiles errantes », dit la quatrième de couverture), mais aussi la possibilité de rencontres faites chemin faisant, selon la belle expression de Jacques Lacarrière. C’est dans ce sens qu’on peut lire la « chanson péruvienne », citée en exergue, qui semble répondre à la dédicace (« Aux enfants capturés ») en exhortant à poursuivre le voyage : « Estrella errante/Amor pasajero/ Sigue tu camino […] »

Par ailleurs, la figure du berger, traditionnellement liée à l’étoile, s’estompe dans ce récit. Mario, qui était berger avant la guerre (EE, 56) et qui possède une peau de mouton (EE, 84), meurt dans une attaque du maquis (EE, 66) ; Jacques Berger, qu’Esther rencontre lors de la traversée et qui sera le père de son enfant, n’a du berger que le nom et la silhouette (EE, 143) et meurt au combat près du lac de Tibériade (EE, 302) ; Yohannan, le berger du kibboutz où vit Esther, est assassiné le même jour (ibid.). Quand Esther retourne à Saint-Martin en 1982, juste après la mort de sa mère, elle revisite les lieux où son père a été assassiné par la Gestapo alors qu’il accompagnait des familles juives en fuite, et constate que c’est dans des cabanes de berger que le crime a eu lieu (EE, 335). Le compagnon de Nejma, le Baddawi, a vraisemblablement perdu son troupeau (EE, 247, 281), et la chèvre et son chevreau qu’il trouve sur la route de la fuite se meurent (EE, 283). La figure du berger, dont l’aura est érodée au point qu’il devient, à la fin du récit, un « vieux sourd qui parle en sifflant à son chien » (EE, 335), est relayé à la fin du roman par le pêcheur, et Le Clézio reprend ici un jeu de doubles qu’il avait déjà mis en œuvre dans Désert, où Naaman le pêcheur (et conteur) se substitue aux figures du berger (Ma el Ainine et le Hartani). Les pêcheurs d’Étoile errante se trouvent sur les brisants à Nice, et y ont allumé un poste de radio, dont la musique, qui rappelle à Esther celle qu’elle avait entendue sur le bateau ou dans le kibboutz en compagnie de Jacques Berger, est parasitée par les « grésillements » (EE, 337), et se fait ainsi « nasillarde et crachotante » (EE, 338). La radio symbolise ainsi le bruissement des voix du monde, multiples, ces poussières de fables que Le Clézio s’efforce d’accueillir dans une démarche essentiellement ouverte : « C’est un énorme travail d’artisanat, de rafistolage » (« Les Cicatrices intérieures de Le Clézio »).

Bruno Tritsmans

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CAVALLERO, Claude, « L’intellectuel et les médias », Europe, 957-958, (2009), p. 176-186 ; CERTEAU (de), Michel, L’invention du quotidien 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1990 ; DOHOLLAU, Tanguy, « Lettre au Vent », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, 1, (2008), deuxième de couverture ; FABRE, Daniel (éd.), Écritures ordinaires, Paris, POL, 1993 ; GARCIN, Jérôme, « Le Clézio, victime d’une cabale », L’Evénement du jeudi, 22-28 décembre 1988, p. 96-97 ; JOLLIN-BERTOCCHI, Sophie, « La Bible chez Le Clézio : références et réécriture », O. Millet (éd.), Bible et littérature, Paris, Champion, 2003, p. 221-232 ; LE CLÉZIO, J.M.G., « Mircea Eliade l’initiateur », La Quinzaine littéraire, 297, (1979), p. 1 et 16 ; « Hanné », Nouvelle Revue française, 419, (1987), p. 16-31 ; « Camp de Nour Chams, été 1948 », Revue d’études palestiniennes, 29, (1988), p. 3-34 ; Étoile errante, Paris, Gallimard, 1992 ; « Les Cicatrices intérieures de Le Clézio », Elle, 2149, (1992), p. 41-42 et 44 ; « Dans la forêt des paradoxes », Conférence Nobel (7 décembre 2008) ; LÉVY, Elias, « J.M.G. Le Clézio, La Palestine et Israël », Canadian Jewish News, 6 novembre 2008 : MICHEL, Jacqueline, « Épreuves du livre. Réflexions sur Étoile errante de J.M.G. Le Clézio », Les Lettres romanes, 47, (1993), p. 279-285 ; MIMOSO-RUIZ, Bernadette, « Le Clézio et l’immigration : le tragique du réel », Voix plurielles, Toronto, numéro 8.2, 2011, p. 116-131 ; SALLES, Marina, Le Clézio, notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006 ; THIBAULT, Bruno, « L’écriture de la guerre dans « Hanné » et « Camp de Nour Chams » de J.M.G. Le Clézio », Nouvelles études francophones, 24, (2009), p. 98-107 ; J.M.G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam, Rodopi, 2009 ; TRITSMANS, Bruno, « Figures du berger chez J.M.G. Le Clézio et André Dhôtel », Nouvelles études francophones, 20, 2005, p. 57-68 ; VAN ACKER, Isa, « Polyphonie et altérité dans Onitsha et Étoile errante », Thamyris, 8, (2001), p. 201-210.

 

« ÉCHAPPÉ (L’) »

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

« L’Échappé » (La Ronde et autres faits divers, 1982) raconte l’histoire de Tayar, évadé d’une prison du Sud de la France, qui fuit à travers un paysage désertique de hauts plateaux dans les Alpes Maritimes. Au cours de son évasion, il se remémore des épisodes de son enfance passée en Algérie, où il a connu la vie tranquille des bergers et les combats dans les Aurès. Assailli par la faim, le froid et la fatigue, Tayar se réfugie au fond d’une doline où un jeune garçon le trouve. L’enfant lui apporte à manger, mais finit par signaler son existence aux autorités. La nouvelle se termine sur l’image de Tayar, immobile, contemplant l’horizon depuis le bord de la doline, tandis que des hommes en uniforme guidés par le jeune garçon s’avancent peu à peu vers le fugitif.

Fonctionnant initialement sur un schéma simple (la fuite d’un homme), la structure de cette nouvelle devient complexe : les repères spatio-temporels du récit se brouillent, car au temps présent du récit, narrant l’évasion de Tayar, s’ajoute celui du passé, renvoyant à l’enfance en Algérie, sans que les deux soient toujours bien distincts. De la même façon, l’espace du présent, un paysage désertique des Alpes Maritimes, rappelle celui du passé, les Aurès. Ce brouillage est accentué par l’onomastique : le personnage s’appelle Tayar dans le récit présent mais Aazi, un diminutif, dans celui du passé.

La nouvelle présente une des figures topiques dans l’œuvre de Le Clézio, tout particulièrement dans le recueil La Ronde et autres faits divers : le marginal traqué par la société. Il fuit ses poursuivants suite à son évasion, comme il tentait autrefois de fuir les soldats qui voulaient le tuer, alors qu’il était un jeune berger dans les Aurès. Rien ne vient préciser si Tayar a été emprisonné à tort ou à raison, mais le personnage apparaît comme une victime dans un système où l’entraide n’existe pas ou reste toujours fragile. Seule la mort, métaphorisée, semble-t-il, dans les dernières lignes du texte par l’image du « chemin de lumière » dessiné par le soleil couchant, pourrait peut-être apporter une libération en annonçant la possibilité, dans l’au-delà, d’un monde meilleur.

Le récit peut aussi proposer un questionnement sur l’événement qui anime tout le recueil La Ronde et autres faits divers, où chaque nouvelle trouve son origine dans un entre-filet paru dans la presse. « L’Échappé » fonctionne en effet selon un procédé de répétition : à l’espace des Alpes Maritimes correspond celui des Aurès ; les souffrances de Tayar adulte lui rappellent celles qu’il a éprouvées lorsqu’il était un enfant jeté au milieu d’un conflit. En outre, la présence d’un enfant à la fin de la nouvelle insiste sur cet effet de circularité, puisque Tayar prend par moments ce jeune garçon pour son double venu du passé. Ainsi Le Clézio ne paraît pas vraiment insister sur un seul fait (l’évasion d’un homme), et ne l’inscrit pas dans une temporalité et un lieu précis : par ce système de répétition, l’auteur fait de Tayar un archétype, le symbole de la Souffrance de l’homme traqué, poursuivi par les représentants inexorables de l’autorité.

Enfin, « L’Échappé » suggère des pistes de réflexions autour de la thématique de la nature. La nature est dans ce récit un élément en partie hostile : le paysage, désertique, exacerbe la souffrance de Tayar, qui bute sur les cailloux et les arbustes, est aveuglé par la lumière du soleil et souffre du froid particulièrement rigoureux. Toutefois cette nature est aussi un lieu de ressourcement : lorsqu’il pose étroitement contre sa poitrine une pierre à la forme triangulaire, la « pierre de la faim », le personnage parvient à oublier son épuisement tandis que la lumière du soleil à la fin du texte est ce signe ambivalent de mort et de ressourcement.

 

Claire Colin

 

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BORGOMANO, Madeleine, « Le voleur comme figure intertextuelle dans l’œuvre de J.-M. G. Le Clézio », in Lectures d’une œuvre, J.-M. G. Le Clézio, collectif coordonné par Sophie Jollin-Bertocchi et Bruno Thibault, Nantes, éditions du temps, 2004, p. 19-30 ; COLIN, Claire, L’Événement dans la nouvelle contemporaine, thèse de doctorat soutenue à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2013 ; GLAZIOU, Joël, La Ronde et autres faits divers de J.-M. G. Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, coll. « Parcours de lecture », 2001 ; ThibauLt, Bruno, « Immigration clandestine et marginalité », in J.-M. G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam-New-York, Rodopi, coll. Monographique Rodopi en Littérature Française Contemporaine, 2009, p. 115-116.

 

DIEGO ET FRIDA

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
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CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
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MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
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PACHACAMAC
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Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
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OISEAUX (MAURICE)
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SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
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Bibliographie et abréviations
Auteurs

Il est juste de rendre d’abord hommage à la parfaite connaissance que possède J.-M.G. Le Clézio des ouvrages pluriels sur la vie et l’œuvre du célèbre couple de peintres mexicains Diego Rivera et Frida Kahlo, ce dont témoigne son livre Diego et Frida, paru en 1993. Mais il faut tout aussi bien souligner le ton poétique du style leclézien, qui confère au récit la double qualité de biographie d’artistes et de fresque du Mexique. Dans la Préface, on lit :

L’histoire de Diego et Frida – cette histoire d’amour inséparable de la foi en la révolution – est encore vivante aujourd’hui parce qu’elle se mêle à la lumière particulière du Mexique, à la rumeur de la vie quotidienne, à l’odeur des rues et des marchés, à la beauté des enfants dans les maisons poussiéreuses, à cette sorte de langueur nostalgique qui s’attarde au crépuscule sur les anciens monuments et les plus vieux des arbres. (D&F, 22)

Diego et Frida occupe une place singulière dans la création leclézienne : c’est le seul récit que l’écrivain consacre entièrement à des artistes, en mettant au centre de l’écriture leur vie – l’amour, la quête de l’inspiration, les rencontres, la souffrance, l’idéal révolutionnaire inséparable de la fascination pour le monde amérindien. « Diego et Frida consacreront toute leur vie à la recherche de cet idéal du monde amérindien. C’est lui qui leur donne une force révolutionnaire […] » (D&F, 20), écrit Le Clézio. Par ailleurs, Isabelle Constant, dans son article « Portrait de Le Clézio en Diego et Frida », souligne que Le Clézio ne s’attache pas d’emblée aux commentaires des fresques de Diego ou des tableaux de Frida, mais à ce qui se trouve en amont de l’œuvre : « la recherche de ce qui motive l’artiste » (2010, 129).

Dès le début, Le Clézio propose une boussole pour parcourir l’histoire de ce couple qui nous désoriente : « Diego et Frida, d’une certaine façon, ont incarné les vices et les vertus de cette époque où l’on réinvente les valeurs mexicaines, l’art et la pensée des civilisations préhistoriques » (D&F, 19). Si l’art, comme désir de changement est toujours une manière de (re)faire un monde, on comprend que le couple mythique est indéfectiblement lié au fantasme de redéfinir la société, le politique, les fondations du modernisme en peinture. Se trouve impliquée ici la question des savoirs que Diego rapporte de ses voyages : d’abord, en Europe, en France et en Espagne, et plus tard, aux États-Unis, à San Francisco et à Detroit, par exemple – savoirs qui lui permettent de saisir les grands bouleversements dans l’histoire de l’art au vingtième siècle : l’anarchisme esthétique, le dadaisme, le surréalisme, l’art de Pablo Picasso, entre autres.

Le Clézio insiste sur l’idée que Diego et Frida sont des représentants de « la race cosmique de Vasconcelos » (D&F, 59). Rappelons que José Vasconcelos (1882-1959) – écrivain, philosophe et politicien mexicain, auteur de La race cosmique (1925), où il expose certaines de ses réflexions sur le métissage spécifique à l’Amérique latine – est considéré comme el caudillo culturel de la Révolution mexicaine, adepte de l’éducation populaire et de l’action des Muralistes. Sous un autre angle, ces deux artistes expriment dans leurs œuvres « les désirs et les inquiétudes d’un peuple opprimé et exilé de sa propre culture » (D&F, 39). Quant à Frida, « [t]outes ses désillusions, tous ses drames, cette immense souffrance qui se confond avec [sa] vie, tout est exposé là, dans sa peinture » (D&F, 60). Il s’agit désormais de penser le rapport indivisible entre l’histoire individuelle et la grande histoire.

Le Clézio a dû mener une véritable enquête, puiser dans des biographies de Diego Rivera et Frida Kahlo en anglais et en espagnol, parler à des proches des artistes, comparer des témoignages – comme il le note dans les Remerciements. Le premier chapitre de ce projet est consacré à la « Rencontre avec l’ogre » : « Diego rencontre Frida pour la première fois en 1923 » (D&F, 25). Dès lors le récit invite à imaginer la personnalité de l’homme et de l’artiste Diego Rivera, portrait complété au deuxième chapitre, « Un sauvage à Paris », dont le titre cocasse rappelle le cliché du bon sauvage des Amériques. Dans le même registre espiègle, le chapitre suivant « Frida : ‘un vrai démon’ », brosse le portrait de Frida, qui correspond à l’horizon d’attente de l’époque – période de contestation du capitalisme et du colonialisme. Toutefois ce n’est pas en priorité la lutte sociale qu’incarne Frida, mais surtout la souffrance inscrite dans sa destinée extraordinaire : « Sous son allure désinvolte et ses dehors de jeune fille amoureuse, Frida cache une expérience de la douleur hors de la commune mesure » (D&F, 60). Plus loin, dans le chapitre « L’amour au temps de la révolution », on découvre un autre visage du couple, révélé par leurs engagements politiques, le voyage de Diego à Moscou, son entrée dans le Parti communiste mexicain, ainsi que leur immense ferveur pour l’art : les fresques, la peinture.

Si déjà en 1967, dans L’Extase matérielle, Le Clézio insiste sur ce qui le touche le plus dans la condition humaine : le renoncement « à tout ce qui est grandeur mensongère, à l’orgueil, à la complaisance, à tout ce qu’on croyait bon en soi et qui n’est que mesquinerie » (EM, 67) – on retrouve cette même préoccupation chez Diego et Frida. Marina Salles, dans Le Clézio, notre contemporain, rappelle que Diego « affirme son indépendance politique (qui lui vaudra l’exclusion du parti, la méfiance de Trotsky, le déni des Américains) » (2006, 103), alors que Frida « refuse la tutelle des surréalistes » (ibidem). Dans ce même chapitre, l’émouvante « histoire d’amour entre un éléphant et une colombe » (D&F, 100) est omniprésente, comme s’il s’agissait d’adoucir les bouleversements sociaux et la cruauté du vécu : l’accident terrifiant de Frida, les soucis financiers et politiques de Diego.

Les chapitres suivants, « La vie à deux : être la femme d’un génie » et « La ville du monde » (San Francisco) ouvrent de nouvelles pistes interprétatives de l’histoire du couple, revisitant leurs complicités, les forces de vie et de mortification qui les animent, et qui les poussent à transgresser les limites de la création et de la vie. « Aucun peintre n’a exprimé avec autant de conviction la complémentarité du masculin et du féminin, de la guerre et de l’amour, des forces solaires et des forces lunaires » (D&F, 197), écrit Le Clézio en évoquant Diego. Plus loin, on découvre « les deux Frida au cœur mis à nu, et l’extraordinaire portrait, brillant de cet humour macabre qui lui tient lieu de cuirasse » (D&F, 225-226). L’écrivain ne cesse de déployer avec finesse les lignes de force de l’homme et de la femme en lien avec la création. Il met en lumière les effets de consonance entre l’amour absolu qui unit Diego et Frida et le désir d’y puiser leur œuvre.

Le dernier chapitre, « L’enfant éternel », revient sur la pérennité de l’attachement du couple et sur le lien avec le Mexique :

Les aléas de l’existence, les mesquineries, les désillusions ne peuvent pas interrompre cette relation, non de dépendance, mais d’échange perpétuel, pareille au sang qui coule et à l’air qu’ils respirent. La relation de Diego et Frida est semblable au Mexique lui-même, à la terre, au rythme des saisons, au contraste des climats et des cultures. (D&F, 268)

Après tout, le couple autour duquel se tisse le récit leclézien constitue un microcosme pour mesurer l’évolution et les transformations de la société mexicaine dans la première moitié du vingtième siècle. Les métamorphoses permanentes de Diego et de Frida, les redéfinitions successives de leur complicité permettent de repérer des lignes de continuité et de rupture dans le Mexique des années vingt jusqu’à la fin des années cinquante.

Diego et Frida renouvelle de manière poétique nos savoirs sur le couple d’artistes mexicains. Prenant ses distances avec le discours biographique journalistique, Le Clézio propose une herméneutique fondée moins sur les données historiques que sur la mise en lumière d’une esthétique de la création. Le lecteur est ému par les découvertes qui se succèdent, mais aussi par le ton poétique et parfois personnel adopté par l’écrivain :

Il est difficile aujourd’hui, dans un monde laminé par les désillusions, les guerres les plus meurtrières de tous les temps, et par la pauvreté culturelle grandissante, de se représenter le tourbillon d’idées qui enflamment Mexico durant cette décennie qui va de 1923 à 1933. Alors le Mexique est en train de tout inventer, de tout changer, de tout mettre au jour, dans la période la plus chaotique de son histoire […]. Tout est à inventer et tout apparaît dans cette époque fiévreuse : l’art des muralistes au service du peuple […]. (D&F, 10)

Le Clézio s’engage dans son écriture avec une passion qui n’a d’égale que son admiration pour la vie et l’œuvre de ces artistes prodigieux : Diego Rivera et Frida Kahlo.

 

Adina Balint

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CONSTANT, Isabelle, « Portrait de Le Clézio en Diego et Frida », dans Thierry Léger, Isabelle Roussel-Gillet et Marina Salles (dir.), Le Clézio, passeur des arts et des cultures, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 129-144 ; LE CLÉZIO, J.-M. G, Diego et Frida, Paris, Gallimard, 1993 ; L’Extase matérielle, Paris, Gallimard, 1967 ; SALLES, Marina, Le Clézio, notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006 ; THIBAULT, Bruno, « L’Influence de quelques modèles artistiques sur l’œuvre romanesque de J.M.G. Le Clézio (Arman, Klein, Raysse, Tinguely, Kahlo et O’Keefe) » dans BERTOCCHI-JOLLIN, Sophie, THIBAULT, Bruno (coords), Lectures d’une œuvre, J.M.G. Le Clézio, Nantes, Éditions du temps, 2004, p. 161-178.

Frida Kahlo ; Diego Rivera ; Sandunga.

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