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SENGHOR, L.S.

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Lors d’un entretien en 2008, à l’occasion de l’attribution du Prix Nobel de Littérature, J.-M.G. Le Clézio annonçait son projet d’écrire un texte sur L.S. Senghor (1906-2001), homme politique et poète francophone d’origine sénégalaise, situé par sa biographie, sa vision du monde et son œuvre littéraire au carrefour de l’Afrique et de l’Europe. Premier écrivain d’origine négro-africaine à être élu membre de l’Académie Française en 1983, Senghor est devenu avec le temps l’une des grandes figures intellectuelles de la Francophonie et du Métissage culturel qui lui est inhérent. Il n’est pas étonnant que J.-M.G. Le Clézio ait été ébloui par une œuvre poétique qui illumine des feux de brousse de ses images rythmées la littérature de la deuxième moitié du XXe siècle et qui présente, en bien des aspects, des connivences et des coïncidences avec la sienne.

En effet, la « poésie de l’action » de Senghor, aussi bien que la prose narrative leclézienne, nimbée de poéticité, résultent d’un engagement dans le Monde contemporain et face à l’Histoire, le plus souvent douloureuse, qui le rend nécessaire. L’esclavage, la traite, la déportation, la colonisation, le racisme, la violence aveugle et les harcèlements de toutes sortes sont des thèmes récurrents chez l’un et chez l’autre. Senghor révise l’Histoire pour en faire la défense des valeurs de la civilisation noire et rêver d’une civilisation de l’universel, transfrontalière et transculturelle, véritablement métisse, car « toutes les grandes civilisations sont des civilisations de métissage culturel » (cité par R. Jouanny, 2002, 33). Le Clézio, pour sa part, revisite l’Histoire pour en dénoncer les affres et les injustices, les effets de l’oppression, la violence raciale, l’exil forcé, l’écrasement social, à travers un regard engagé et une voix narrative empathique envers les victimes et les opprimés, surtout envers les enfants qui « portent en eux l’avenir de notre race humaine » (Le Clézio, 2008, 12). Les deux écrivains ont en vue le continent africain comme exemple flagrant des blessures infligées par des civilisations adeptes du progrès et de l’industrialisation. La poésie de l’un, africain de naissance, tourne autour d’une Afrique réellement vécue, ressentie et rêvée depuis son exil européen comme fondement d’un Royaume d’Enfance survalorisé. La prose poétique de l’autre s’inspire souvent de l’expérience d’une Afrique visitée dans l’enfance, mise en fiction dans Onitsha (1991), et recréée dans L’Africain (2004). Dans ce dernier récit de filiation, situé en Afrique, Le Clézio restitue cette figure paternelle manquante dans sa petite enfance parce que Raoul Le Clézio était alors médecin de brousse au Nigéria.

Les deux écrivains puisent donc aux sources d’une Afrique mythique qui leur permet, d’un côté, de développer un primitivisme prudent et nuancé, de l’autre, de combattre la « culture du mépris » (Salles, 2006, 80) instaurée par l’Occident industrialisé. L’enjeu pour Senghor et Le Clézio est de défendre les valeurs ancestrales de l’Autre, de « danser l’Autre », selon une expression chère au premier. Tous deux rêvent de remonter le cours du temps, « comme les lamantins qui vont boire à la source », d’après le titre de l’essai senghorien (1990, 155-168), non pas pour développer un passéisme immobiliste, mais pour déceler les multiples fontaines dont découle l’écriture métisse, pour défendre la coexistence de multiples savoirs et de diverses visions du monde. En ce sens, la métaphore du fleuve devient « clé » chez les deux auteurs, qui lui attribuent des valeurs symboliques plurielles. L’une des plus significatives est celle du fleuve africain comme support de la chaîne isotopique Afrique-femme-amante-mère-écriture. Pour Senghor, ce sera la figure féminine imaginaire du cours du fleuve Congo qui, telle une « reine sur l’Afrique domptée » (1990, 101) donne lieu au magnifique poème éponyme, véritable « fleuve-poème » (Delas, 2005, 123). Chez Le Clézio, le Niger irrigue l’écriture autofictionnelle d’Onitsha pour devenir, selon le personnage de Sabine Rodes, « le plus grand fleuve du monde, parce qu’il porte dans son eau toute l’histoire des hommes, depuis le commencement » (O, 119). D’où le rêve de remonter aux sources – du temps, de l’humanité, de l’identité individuelle –, de boire l’eau mystique des fontaines sacrées : la Fontaine de Kam-Dyamé pour Senghor (Senghor, 1990, 28), celle d’Ite Brinyan, source de vie pour Geoffroy, le père de ce prénommé Fintan, alter ego enfantin de Le Clézio. Onitsha contient, comme beaucoup d’autres romans lecléziens, une forte rêverie des origines. Geoffroy, le père de Fintan, essaie de retrouver les traces de la reine Candace, l’héritière du royaume de Meroë, devenue dans ses rêves déesse du fleuve. La figure mythique de la reine Meroë s’avère très proche de celle que chante Senghor de sa « voix d’or vert de dyâli » (Senghor, 1990, 327) sous le nom de reine de Saba. En effet, Senghor consacre la dernière de ses Élégies majeures (1979) à la reine de Saba, long poème intégrant à la perfection « le verset des fleuves, des vents et des forêts » (Senghor, 1990, 30), véritable testament poétique dans lequel l’émotion et l’imagination se greffent sur une parole rythmée transmuée en Verbe. On n’est pas très loin de cette « Alchimie du Verbe » propre à Rimbaud, poète maudit et novateur dont s’inspirent tant Senghor que Le Clézio.

La poésie senghorienne de la célébration du monde s’avère très proche de l’émerveillement qui illumine l’écriture de Le Clézio : cette sorte d’« extase matérielle », cosmique et sensorielle. Les deux écrivains aspirent à traduire la « musique intérieure » qui résulte de leur contact au monde, de leur ouverture à l’autre, toujours attentifs aux « qualités sensibles – sensuelles – des mots » (Senghor, 1990, 161). Il s’agit, d’interpréter « […] la danse, le rythme, les mouvements et les pulsations du corps, le regard, les odeurs, les traces tactiles, les appels […] » (IST, 1978, 87) et de les intégrer, de les incarner, dans une matière expressive qui, par ce fait même devient « matière-émotion », c’est-à-dire « mise en œuvre simultanée de l’émotion et de la matière verbale » (Collot, 1997, 4).

L’aire commune à l’œuvre de Senghor et de Le Clézio contient donc un souci d’engagement envers le contemporain. Mais il y a d’autres coïncidences importantes. D’un côté, cette exploration commune du réel par l’intuition et les sens plutôt que par les a priori de la raison ou par la connaissance. De l’autre, cette vision émue du monde et de l’autre manifestée par une voix lyrique qui, chez Senghor, s’épanouit dans les longs versets cadencés des Élégies majeures (1979) et qui, chez Le Clézio, modèle sa prose tout en rendant définitivement poreuses les frontières entre narrativité et poéticité. Enfin, l’un et l’autre se sont inspirés d’histoires entendues, et non seulement lues, au cours de leur vie : Senghor des fables chantées par Marône, la poétesse de son village natal (Senghor, 1990, 167), Le Clézio, des fables dramatisées d’Elvira, conteuse amérindienne à qui il rend hommage dans son Discours de Stockholm, toutes deux responsables de la transmission orale des savoirs anciens et des mythes.

Lourdes Carriedo

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

COLLOT, Michel, La matière-émotion, Paris, PUF Écriture, 1997 ; DELAS, Daniel, « Un fleuve-poème : le Congo », in Paysages et poésies francophones, COLLOT, Michel et RODRIGUEZ, Antonio (Dir.), Paris, Presses de Sorbonne Nouvelle, 2005, 123-134 ; JOUANNY, Robert, Senghor « Le troisième temps », Paris, L’Harmattan, 2002 ; LE CLÉZIO J.-M.G. Onitsha, Paris, Gallimard, Folio, 1991 ; L’Africain, Paris, Mercure de France, 2004 ; RANAIVOSON, Dominique, Senghor et sa postérité littéraire, Université Paul Verlaine, Metz, « Écritures », 2008 ; ROUSSEL-GILLET, Isabelle et THIBAULT, Bruno, (Dir.) Migrations et métissages, in Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio 3-4, Ed. Complicités, 2011 ; SALLES, Marina, Le Clézio. Notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006. SENGHOR, Léopold Sédar (Ed.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache (précédée de « Orphée noir » par J.P. Sartre), Paris, PUF, Quadrige, 1948. SENGHOR, Léopold Sédar, Œuvre poétique, Paris, Seuil, 1990 ; Liberté I-V, Paris, Seuil, 1964-1992.

 

L’Africain ; Fintan ; Niger (fleuve) ; Meroë ; Onitsha.

LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Letitia Elizabeth Landon, plus connue sous les initiales L.E.L. dont elle signait ses textes, est une poétesse et romancière anglaise, représentative de la littérature féminine du début de l’ère victorienne, à l’instar de ses amies Elizabeth Barrett Browning et Felicia Dorothea Browne Heymans. Assimilée au courant romantique, fervente émule de Byron, elle est restée dans les mémoires moins pour son œuvre, contestée, mal comprise et vite oubliée, que pour les aspects romanesques de sa vie et l’énigme de sa mort brutale en Afrique.

Née à Londres en 1802, dans une famille de la moyenne bourgeoisie, élevée au Collège de Frances Rowden, puis par sa cousine Elisabeth, elle montre des dispositions précoces pour l’écriture. Elle a 17 ans quand son voisin, William Jerdan, directeur de la Literary Gazette, la repère et publie son premier poème, Rome (1819), suivi de nombreux autres. À la mort de son père en 1824, Letitia Elizabeth Landon doit subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Elle participe alors à la rédaction d’albums annuels, de livres cadeaux et contribue activement à la mode du « keepsake », ses poèmes, ses récits illustrant des gravures ou des reproductions de tableaux d’artistes contemporains. Avec sa plume prolifique, son intuition des attentes du public et l’aura de mystère autour de ses initiales, elle excelle dans cette littérature de commande qui lui assure à la fois la notoriété et une indépendance financière, rare pour les femmes écrivains de l’époque. Son recueil de poèmes, The Improvisatrice and other poems with embellishments l’impose, dès 1824, dans les milieux littéraires. Mais sa réputation est très tôt ternie par les rumeurs que véhiculent des journaux comme The Wasp, The Sun Newspaper et la presse à scandales au sujet de sa vie sentimentale, de sa liaison avec William Jerdan dont elle aurait eu clandestinement un (voire 3) enfant(s) illégitime(s), et avec d’autres hommes mariés. Elle se voit finalement contrainte de rompre ses fiançailles avec John Forster, critique littéraire et biographe de Dickens, qui, déstabilisé par ces calomnies, diligente une enquête, manifestant un manque de confiance, douloureux pour la jeune femme.

En 1838, elle épouse George Maclean, gouverneur du fort de Cape Coast au Ghana. En juillet de la même année, elle l’accompagne en Afrique. Mais trois mois plus tard, le 15 octobre, elle est retrouvée morte dans sa chambre avec à ses côtés un flacon d’acide prussique et ces mots écrits lors de la traversée : « Do you think of me as I think of you, my friends, my friends », ces mots qui rythment le poème d’hommage d’Elizabeth Barrett Browning, L. E. L.’s Last Question et que Le Clézio cite avec émotion. Cette mort mystérieuse et romanesque alimente à nouveau les supputations autour de trois hypothèses : celle de l’accident, officiellement retenue – la jeune femme aurait confondu l’acide prussique avec le flacon de laudanum qu’elle prenait pour apaiser ses crises nerveuses –, celle du meurtre commis par la maîtresse africaine du Gouverneur, servante au fort, celle du suicide romantique, Letitia Elizabeth Landon ayant choisi de mourir dans sa trente-sixième année, comme Byron, son idole. Dès lors, la vie tourmentée de L.E.L. éclipse son œuvre, elle-même victime, à réception, de lectures hâtives et de malentendus.

Letitia Elizabeth Landon est l’auteure de plusieurs recueils de poèmes, dont The Troubadour. Catalogue of pictures and historical sketches (1825), The Golden Violet with its tales of Romance and Chivalry (1826), The Venetian Bracelet. The Lost Pleiad, A History of the Lyre and other poems (1828), d’un roman, Romance and reality (1831) et d’une centaine d’articles publiés dans The Literary Gazette ou les « gifts books ». On lui a reproché ses productions commerciales, hâtivement écrites, le choix de thématiques essentiellement sentimentales et élégiaques, ses textes ayant été lus au premier degré, avec les préjugés sexistes de l’époque concernant la littérature féminine, comme la stricte projection de ses expériences et de ses émotions personnelles. Tombée dans l’oubli au XXe siècle, car jugée trop simpliste ou trop mièvre, sa poésie est actuellement redécouverte par la critique qui rejoint certain(e)s critiques contemporain(e)s de Letitia Elisabeth Landon (Susan Sheppard, Caracteristics of the Genius of L. E. L., 1841) pour rendre justice à l’exigence littéraire de l’écrivain. Ses contributions à ce qu’on appelle « la littérature fugitive », en contrepoint des œuvres d’art représentées dans les albums souvenirs, révèlent son attention à la forme, au langage artistique. Quant à ses poèmes, ils relèvent d’une double lecture : s’ils offrent au lecteur conventionnel les oripeaux de la sentimentalité, ils expriment au second degré la désillusion de l’amour, les fausses valeurs de la gloire, et donc les mensonges de la société et de l’art qui exaltent l’un et l’autre. Une ironie qui a échappé à nombre de ses lecteurs. Au fil du temps, son œuvre se place sous le signe du désenchantement : « Day by day / Some new illusion is destroyed, and Life / Gets cold and colder on towards it’s close » (The Golden Violet, tome II).

On comprend aisément en quoi ce personnage a pu fasciner Le Clézio et lui inspirer la nouvelle « L.E.L., derniers jours » dans le recueil Histoires du pied et autres fantaisies (2011) : un destin non élucidé qui laisse le champ libre à l’imagination du romancier, le contexte africain, marqué du sceau de l’esclavage et de la colonisation, une figure de femme émancipée qui affirme son indépendance professionnelle, sa liberté sentimentale face à l’intolérance d’une société phallocrate et puritaine. Letitia Elizabeth Landon est de la trempe des héroïnes lecléziennes et de la famille de ces femmes de talent qui, avec une énergie sans limites, osent tenter de se faire une place dans des mondes dominés par les hommes, celles à qui Le Clézio rend hommage dans une de ses conférences en Corée : Christine de Pisan, Olympe de Gouge ou la peintre Marie Bashkirtseff (Voix de femmes, 2013).

 

Marina Salles

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

DIBERT-HIMES, Glenn, « Introductory Essay to the Work of Letitia Elizabeth Landon » http://extra.shu.ac.uk/corvey/database/authors/datal/landon/gdhessay.htm consulté le 20 jancier 2016 ; ELWOOD, Anne Katherine, Biography on Letitia Elizabeth Landon, http://spenserians.cath.vt.edu/BiographyRecord.php?action=GET&bioid=4388, consulté le 15 janvier 2016 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., « Trois femmes en France : Christine de Pisan, Olympe de Gouges, Marie Bashkirtseff » dans SALLES, Marina, LOHKA, Eileen (coords), Voix de femmes, Les Cahiers Le Clézio n°6, Paris, Éditions Complicités, 2013 ; MAC GANN, Jérome and REISS, Daniel, Letitia Elizabeth Landon : Selected Writings, Peterborough, Ontario, Broadview Press, 1997 ; Romantic Circle, « Life of Letitia Elizabeth Landon » https://www.rc.umd.edu/editions/lel/lelbio.htm, consulté le 15 janvier 2016 ; STEPHENSON, Glennis, Letitia Landon, The Woman behind L. E. L., New-York, Manchester University Press, 1995 ; SULLIVAN, Alvin, Letitia Elizabeth Landon, The Romantic Age, 1789-1836, Ed. British Literary Magazine, London, Greenwood Press, 1983.

« L.E.L., derniers jours ».

FINTAN

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suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
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VOLCAN PARICUTIN
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CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Philippe Lejeune arguait que : « Pour qu’il y ait autobiographie […], il faut qu’il y ait identité de l’auteur, du narrateur et du personnage » (15). Même si cette assertion ne s’applique pas entièrement à Onitsha, il faut noter que ce roman s’inspire de la vie de Le Clézio, transposant sur le mode fictionnel son séjour au Nigéria en 1948, la rencontre avec son père, médecin de brousse à Ogoja, sa découverte de l’Afrique. Le personnage de Fintan a donc la fonction de substitut identitaire de l’auteur, chargé de réécrire l’histoire, ce qui lui permet, comme le soutient Lydie Moudileno, de jeter un regard critique sur les traces de son père en Afrique : « […] des sentiments […] qui renvoient au malaise d’un sujet affilié malgré lui à ‘une famille’ jugée déshonorante » (2011, 63-82). Cet épisode colonial de la vie du père de l’auteur réapparaît dans L’Africain, autre récit à caractère autobiographique, comme si « le sujet cherch[ait] à reconstruire l’histoire dont il est issu » (Moudileno, 2011, 63-82).

Dans Onitsha, la réécriture romanesque établit la distance avec les valeurs du père qui avait décidé « de s’engager auprès du Ministère des Colonies britanniques. De devenir, donc, colonisateur » (Moudileno, 2011, 63-82). Cette analyse est également partagée par Madeleine Borgomano (Onitsha, 1993) qui explique le choix du prénom de la mère de Fintan, Maou, d’origine italienne, par le désir de « créer un lien entre l’enfant et son père absent » (ibid., 68), Geoffroy Allen, exilé à Onitsha (toponyme romanesque pour la ville d’Ogoja). La reconstruction imaginaire doit d’abord déconstruire les valeurs séculaires de l’identité dont est issu Fintan, cette culture dominante, arrogante, et condescendante incarnée par son père qu’il renie systématiquement dès le début du roman : « L’homme qui attendait là-bas, au bout du voyage, ne serait jamais son père. C’était un homme inconnu » (O, 18). La relation entre père et fils, même si elle apparaît comme « l’enjeu d’un conflit » (Borgomano, 1993, 76), évolue favorablement au cours du roman lorsque Fintan découvre le rêve de Geoffroy de partir sur les traces de la reine noire de Meroë, ce qui fait dire à Madeleine Borgomano qu’il n’y a pas de lien naturel entre père et fils, mais qu’il se construit petit à petit au cours du livre.

Le lecteur est averti dès les premières pages du récit qu’un long voyage qui transcende l’espace-temps de la traversée en bateau vient de commencer, celui de l’écriture : « Écrire, […] comme si on remontait un fleuve sans fin » (O, 30). Fintan est le témoin privilégié et le narrateur des épisodes constitutifs de cette nouvelle histoire. Cela passe nécessairement par un travail de collecte, de souvenirs, et de découvertes qui lui ouvre une nouvelle perspective : la création d’un mythe fondateur de l’expatriation paternelle. Fintan, dans sa pérégrination africaine, est continuellement confronté à une série d’oppositions propres à la condition humaine — le vice et la vertu en la personne de Sabine Rodes : « Il était généreux, moqueur, enthousiaste, et aussi coléreux, cynique, menteur » (O, 113) ; la norme des colonisateurs et la marginalité de Maou qui s’y oppose ; la naissance et la mort : « ’Est-ce qu’on met les enfants au monde pour qu’ils nous ferment les yeux’ » (O. 287) ; l’initié et le profane : « ’Orum, Orum !’ criait Fintan. Bony disait que Shango avait tué le soleil » (O. 88). Ces axes antagonistes, comme le souligne Marina Salles, constituent des outils d’analyse pour recomposer de nouveaux paradigmes qui changent fondamentalement la perception de l’autre : « […], le romancier, qui confronte des points de vue, des personnalités, des discours contradictoires, […], a le pouvoir de bousculer les préjugés, d’ébranler les systèmes de pensée dominants (Salles, 2006, 88).

Tout au long de ce voyage initiatique, Fintan découvre les particularités culturelles, la présence du sacré, qui enrichissent la formation de sa personnalité. Ainsi, malgré son appartenance à la communauté des colons, il prend conscience de la brutalité de la colonisation et ressent la souffrance des hommes noirs traités en esclaves : « Fintan fermait les yeux, il pensait à la colonne de forçats qui traversait la ville, au bruit de la chaîne attachée à leurs chevilles » (O, 272). Il s’intègre facilement dans le village africain, entretient une amitié avec Bony et s’adapte rapidement au style de vie proche de la nature : « Fintan marche pieds nus, comme Bony » (O, 79).

À l’opposé des rapports conflictuels que Fintan entretient avec son père biologique, il faut noter la grande affection qu’il porte à sa mère, le jeune garçon se sentant investi de la mission de la protéger, de combler le vide affectif dans lequel elle vit du fait de l’indisponibilité de Geoffroy : « Il arrive aussi qu’elle cherche un appui auprès de Fintan, c’est alors lui qui la protège et la serre contre lui » (O, 70). L’absence consciente ou la démission inconsciente de Geoffroy favorise la relation filiale qui s’établit entre Fintan et Sabine Rodes, un personnage mystérieux, détesté pourtant de Maou. Madeleine Borgomano explique l’émergence de cette relation à partir du « […] ‘roman des origines’ que se forgent les enfants » […] et qui consiste à remplacer les parents par « des parents de rêve, conformes à leur désirs » (O, 76). Sabine Rodes exerce une influence paternelle sur Fintan et l’introduit petit à petit dans le monde mythique de l’Afrique. Il l’initie également à l’univers de la sexualité en le faisant assister aux ébats sexuels entre Oya et Okawho dans un espace secret pour la perpétuation de la descendance du peuple de Méroë. Cette scène peut être lue en parallèle avec la découverte inattendue du « passage secret » auquel Le Clézio fait référence dans Pawana : « Nous parlions de ce passage secret, du refuge des baleines grises, là où les femelles venaient mettre au monde les petits » (Pa, 55). De même que le massacre des mammifères marins fait écho à la destruction des termitières que « Fintan [avait attaquées] l’une après l’autre avec sauvagerie » (O, 81). La vive indignation qu’inspire cette violence gratuite à Bony, l’ami africain, emblématise la révolte de Le Clézio contre toutes les formes de saccage du patrimoine culturel et des ressources naturelles des peuples dominés par des peuples dominants. C’est avec consternation et impuissance que les dominés subissent de telles marques de mépris, ce que traduit le regard de Bony : « Bony l’avait regardé. […] Fintan ne pourrait oublier ce regard-là » (O, 81). Et c’est à juste titre que Raymond Mbassi Atéba fait référence à la destruction de l’oracle d’Aro Choku pour justifier la farouche résistance spirituelle du peuple d’Onitsha considéré comme « l’épicentre de la sorcellerie de l’Afrique de l’Ouest » (Atéba, 2011, 137-152). En effet, affirme-t-il : « En conquérant l’Amérique et l’Afrique, l’Europe leur a apporté la civilisation en détruisant celles qu’elle a trouvées » (ibid.).

Les conséquences de l’aliénation culturelle et identitaire, consécutive à la colonisation, vont au-delà du sous-développement et du déracinement. Dans la dernière partie du livre, Le Clézio décrit les horreurs de la guerre civile au Biafra : « Les bombes, les villages rasés, les enfants qui meurent par la faim sur les champs de bataille […] » (O, 279). Cet acte de réécriture postcoloniale, relève d’un certain courage, noté par Robert Miller : « Peu de romanciers français se sont risqués autant que J.-M.G. Le Clézio à évoquer l’univers postcolonial » (Miller, 2003, 61).

Car s’il est établi que cette guerre fratricide qui a causé la mort de plus d’un million de personnes est une tragédie exclusivement nigériane, Le Clézio est à juste titre persuadé que ce conflit a été attisé par l’attrait du pétrole dont regorge cette région du delta du Niger : « Pour la mainmise sur quelques puits de pétrole, les portes du monde se sont fermées sur eux […] » (O, 279). C’est sur la mort du père, sur le cynisme des puissances occidentales, sur ce constat d’échec du système colonial aux lendemains des indépendances – car il n’avait pas permis d’implanter les valeurs de cette civilisation dite de lumières et de progrès pour lesquelles elle a toujours revendiqué sa légitimité –, que s’achève l’initiation de Fintan parti, avec sa mère Maou, à la rencontre d’un homme, d’un continent dont la magie n’a cessé de nourrir la sensibilité de l’écrivain.

Karim Simpore

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ATÉBA Raymond M’Bassi, « Articuler le local et le global : Le Clézio et la coexistence des savoirs culturels » in Migrations et Métissages, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, 3-4, Éditions Complicités, 2011, p. 137-152 ; BORGOMANO, Madeleine, Onitsha, Le Clézio, Paris, Bertrand-Lacoste, 1993 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., Onitsha, Gallimard, Paris, 1991 ; LEJEUNE, Philippe, Le Pacte autobiographique, Paris, Seuil, 1996 ; MILLER Robert Alvin, « Onitsha ou le rêve de mon Père », International Journal of Francophone Studies, 6, 1, 2003, p. 31-41 ; MOUDILENO, Lydie, « Trajectoires et apories du colonisateur de bonne volonté : d’Onitsha à L’Africain » dans Migrations et Métissages, Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio 3-4, op.cit., 137-152 ; SALLES, Marina, Le Clézio, Notre contemporain, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

 

Aro Choku ; Biafra (guerre), Onitsha ; Pawana.

CHAZAL (DE) MALCOLM

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Malcolm de Chazal, né en 1902 et décédé en 1981, n’a été que brièvement connu en France par le biais de deux œuvres publiées chez Gallimard : Sens-Plastique en 1947 et La Vie Filtrée en 1948. Jean Paulhan y avait trouvé des étincelles de génie et André Breton faillit accueillir Chazal comme le poète portant un deuxième souffle au surréalisme, si Chazal n’avait été déiste. Finalement ce sera dans son île natale qu’il n’aura quittée que le temps d’études d’ingénierie agricole à Bâton-Rouge, que la carrière artistique de Chazal sera particulièrement riche et multiforme. À son décès à 79 ans, Malcolm de Chazal avait produit 54 ouvrages dont 7 volumes d’aphorismes, 26 essais métaphysiques, quelques essais d’économie politique, des pièces de théâtre et des recueils de poèmes. À cela, il convient d’ajouter les 980 chroniques de presse parues dans divers journaux entre 1948 et 1978 et les milliers de peintures réalisées à partir de 1957. Depuis, la publication de plusieurs tapuscrits et/ou manuscrits, alors inédits, sont venus porter le nombre d’ouvrages disponibles à 62 dont des recueils de contes, de nouvelles et des pièces de théâtre. D’autres manuscrits attendent d’être publiés et d’autres encore sont certainement dans des greniers ou des tiroirs tant Malcolm de Chazal aimait donner des textes encore tout frais à ses connaissances.

Ingénieur en technologie sucrière, formé de 1918 à 1924 à Bâton-Rouge (Louisiane, États-Unis), Malcolm de Chazal « jette son diplôme aux orties », selon sa formule, après quelques tentatives infructueuses d’insertion professionnelle à Maurice, faute de pouvoir s’entendre avec les magnats sucriers. Devenu simple fonctionnaire pendant vingt ans (1937-1957) dans un obscur département chargé de l’électricité et du téléphone, Malcolm de Chazal est libre… Pauvre, mais libre de dénoncer l’industrie sucrière locale dans des essais entre 1937 et 1941, de créer des aphorismes par milliers entre 1940 et 1947, d’entrer en dialogue avec une fleur d’azalée qui se met à communiquer un matin de la fin des années 1940, d’approfondir les révélations que lui transmet un soir de 1950 le poète et ami Robert-Edward Hart quant à l’existence au-dessous de Maurice d’un continent englouti. Chazal reçoit cette information comme un choc, un séisme personnel : ce continent, la Lémurie, aurait été habité par des géants qui sculptaient dans les montagnes des enseignements essentiels. Chazal se met alors à scruter les montagnes mauriciennes pour y lire l’évangile de la pierre et en faire le socle de son œuvre dense et foisonnante. Petrusmok en 1951 est l’île revisitée, reconquise grâce au mythe lémurien. Jusqu’en 1957, dans des écrits traversés de fulgurances, Malcolm de Chazal poursuit une quête vers l’absolu, que son éducation dans le culte swedenborgien va alimenter et porter vers le cosmique même s’il ne fréquente plus personnellement cette église. La peinture, découverte grâce à une fillette de 8 ans, vient remplacer la plume dès 1957 et lui permet de traduire en une forme picturale propre à lui, une métaphysique que les mots ne lui auraient pas permis d’exprimer.

Lorsque le prix Nobel de littérature fut attribué à Jean-Marie Gustave Le Clézio en 2008, bien des Mauriciens ne purent s’empêcher de mêler à leur bonheur une pensée en parallèle pour Malcolm de Chazal, car cette distinction avait souvent été évoquée en ce qui le concerne. La considération que Chazal portait au Nobel était, pour le moins, ambiguë. Autant s’était-il multiplié en appréciations positives pour Gide, Einstein, Elliot, Saint-John Perse, autant avait-il fait preuve de réserve lorsque ce fut le tour de Camus en 1960. Puis vint l’épisode d’un Chazal « nobélisable » et, éventuellement, nobélisé. Le 25 octobre 1969, il révèle au quotidien Le Mauricien qu’il a accepté une interview et un reportage sur lui dans « un seul et unique but : introduire [sa] candidature au Prix Nobel » l’année suivante en précisant : « le Prix Nobel lui-même m’indiffère. Ce qui m’intéresse, c’est la somme allouée au lauréat, à savoir Rs. 400 000 ». Il est question à nouveau du Nobel en 1974 : dans Le Mauricien du 5 septembre 1974, interrogé sur l’éventualité que son nom soit officiellement proposé, Chazal répond : « À Paris, tout le monde dit que j’aurais le Prix Nobel cette année. On parle même de certitude. » Le sujet revient au premier plan suite à sa réponse à des parlementaires francophones, relatée par le quotidien mauricien l’Express du 9 octobre 1975 : « Si j’obtenais le Prix Nobel, les gens diraient qu’il y a eu un égarement à Stockholm, qu’on s’est trompé. » Léopold Sedar Senghor, qui semble avoir été le promoteur d’une can-didature de Chazal au Nobel, alla jusqu’à exprimer publiquement son admiration pour Chazal lors du banquet à Maurice en l’honneur des chefs d’État participant au Sommet de l’OUA (propos rapportés dans l’édition du 5 juillet 1976 du quotidien Le Mauricien) en évoquant ce « poète qui a fortement marqué la littérature contemporaine » et regrettant « que le Prix Nobel ait oublié Chazal. »

L’admiration que Malcolm de Chazal portait à Jean Marie Gustave Le Clézio est indéniable. Les deux articles joints, que Chazal publie dans le quotidien mauricien Advance le 7 novembre 1963 : « La destinée de M. J. M. G. Le Clézio. Une grande leçon mauricienne » et le 20 mars 1964 : « M. Gustave Le Clézio - Le poète et le voyant », sont de vibrants hommages à Le Clézio qu’il considère comme « un visionnaire, donc un homme qui ne masque pas sa pensée avec des mots », devinant en lui, après lecture du Procès-verbal, « le plus grand écrivain révolutionnaire des temps actuels » capable de nous emmener « au-delà de Lautréamont. » Ceci dit, Chazal ne peut s’empêcher d’inscrire l’ouvrage de Le Clézio dans une sorte de prolongement de la brèche qu’il aurait lui-même ouverte en littérature française avec Sens-Plastique sous la houlette du même Jean Paulhan qui avait déclaré découvrir en Chazal un génie.

Au regard de Chazal, il convient de juxtaposer celui de Le Clézio qui, à deux reprises, s’exprime sur l’œuvre de Chazal : en 2002 dans le Spécial Chazal de la revue mauricienne Italiques célébrant le centenaire de Malcolm de Chazal et dans lequel il affirmait : « Que cet anniversaire de la date lointaine de sa naissance ne nous trompe point. Malcolm de Chazal est toujours au-devant de nous », et en 2011 dans Le Monde des Livres où il rappelle le « lien incroyablement charnel qui unit pour toujours le poète de l’infini et du chaos de la Lémurie à ce petit morceau de volcan jailli de l’océan il y a cent millions d’années. »

Il ne semble pas que ces deux hommes se soient jamais rencontrés : ils auraient eu tant de choses à échanger, notamment concernant cette variante de soufisme que Le Clézio a détectée dans l’œuvre de Chazal « par l’affirmation de l’unité et de l’universalité de Dieu… visage qui n’a pas de nuque » (Italiques, 2002) et la force sismique qu’il dégage de Petrusmok, cette revisite de l’île publiée par Chazal en 1951.

Robert Furlong

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CHAZAL (de), Malcolm, Sens-Plastique, Paris, Gallimard, 1948 ; La Vie filtrée, Paris, Gallimard, 1949 ; Poèmes, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1968 ; Histoires étranges et Fabliaux de colloques magiques, Arma-Artis, 2011 ; Contes de Morne Plage, Port-Louis, Vizavi, 2012 ; Petrusmok, Paris, Léo Scheer, 2004 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., « Sur Malcolm de Chazal, Italiques, Le Magazine des livres 8, 2002, p. (9-15) ; « Le Génie éloigné », Le Monde des livres, 10 novembre, 2006, p. 4 ; « Malcolm de Chazal, poète sous tension », Le Monde des livres, 6 octobre 2011, p. 1-2 ; VIOLET Bernard, À la rencontre de Malcolm de Chazal, Paris, Philippe Rey, 2011 ; La Princesse et le dromadaire, Paris, Philippe Rey, 2011 ; Fondation Malcolm de Chazal, www.malcolmdechazal.mu. Voir aussi ces deux textes de M. de Chazal sur J.-M.G. Le Clézio : La destinée de M. J. M. G. Le Clézio (Une grande leçon mauricienne) (document externe) ; M. Gustave Le Clézio - Le poète et le voyant (document externe).

Maurice (île).

CAILLIÉ (RENÉ)

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

 

« C’est alors qu’un courageux jeune homme entreprit avec ses faibles ressources et accomplit le plus étonnant des voyages modernes ; je veux parler du Français René Caillié », explique le docteur Ferguson dans Cinq semaines en ballon, et Jules Verne d’ajouter : « Ah ! si Caillié fût né en Angleterre, on l’eût honoré comme le plus intrépide voyageur des temps modernes, à l’égal de Mungo Park ! Mais en France, il n’est pas apprécié à sa valeur ».

La “longue marche” de René Caillié (1799–1838) à travers le continent africain constitue assurément un des temps forts de l’exploration africaine au XIXe siècle ; il prit fin en septembre 1828, après 4500 kilomètres d’un pénible voyage de 545 jours, dont environ 200 journées à pied – et encore n’est-ce qu’un moment d’une épopée individuelle étalée de 1816 à 1828. Elle eut pour étapes Saint-Louis-du-Sénégal, Freetown au Sierre-Leone, Kakondy (Boké) et Kankan en Guinée, Tiemé (Côte d’Ivoire), Djenné ou Fez, mais aussi Gorée et Tanger, sans compter la remontée du Niger de Djenné à Tombouctou. Son périple comme son récit de voyage relèvent à la fois du reportage ethnographique et du parcours initiatique à visées rédemptrices chez un homme étonné, étonnant, habité par le désir de connaître et de comprendre, de témoigner du monde au monde, voyageur scientifique, dont la modestie des moyens et le courage exceptionnel ne cessent d’intriguer. L’ingénuité brute de sa langue n’en fait pas un poète, mais ce frère de Rimbaud a trouvé son Harrar à Tombouctou.

René Caillié, premier Blanc à revenir de Tombouctou en 1828, est connu de Le Clézio. Trois sources attestent sa présence dans ce qui relève d’abord d’un imaginaire pour glisser ensuite vers une connaissance d’ordre plus rationnel.

Dans Gens de nuages, en 1997, on apprend qu’il a été marqué, enfant, par des lectures, « où H.-G. Wells se mêlait aux récits de René Caillié ou aux reportages du Journal des voyages qu’il feuilletait chez sa grand’mère » et qu’en conséquence sa rêverie géographique s’est alors nourrie de noms sonores : Bornu, Kono, Touaregs, haut Niger (GN, 46). Cette « présence » de Caillié, on l’avait toutefois entrevue, dès 1986, dans Voyage à Rodrigues, où Le Clézio cite le nom de l’explorateur parmi les récits et les mots qui l’ont conduit vers le désert.

Dans sa longue préface au livre de Jean-Michel Djian, Les Manuscrits de Tombouctou – Secrets, mythes et réalités (Lattès, 2012), J.-M. G. Le Clézio commence par évoquer Caillié, dont le nom vient curieusement après ceux de Heinrich Barth, Mungo Park, Camille Douls : désordre chronologique ? Choc de réputations internationales ? Assemblage hétéroclite des « précurseurs des conquêtes coloniales ». Lorsque le Tartarin de Tarascon d’Alphonse Daudet prépare une expédition à la recherche des grands lions de l’Atlas africain, avant toute chose, le héros veut lire, en vrac, « les récits des grands touristes africains, les relations de Mungo-Park, de Caillé [sic], du docteur Livingstone, d’Henri Duveyrier. Là, il vit que ces intrépides voyageurs, avant de chausser leurs sandales pour les excursions lointaines, s’étaient préparés de longue main à supporter la faim, la soif, les marches forcées, les privations de toutes les sortes. » Aucun d’entre eux ne fut touriste, mais surtout Caillié fut l’homme d’une aventure individuelle. Un autre héros de fiction, celui de L’Atlantide de Pierre Benoît, l’a bien compris : « Des gens sont partis, pour ces sortes de voyages, avec cent réguliers et même du canon. Moi, j’en suis pour la tradition des Douls et des René Caillié : j’y vais seul. »

Solitaire, subalterne parmi les subalternes, homme des périphéries sociales confronté aux périphéries du monde connu, sans légitimité savante ou politique, mais s’autorisant à apporter des connaissances, à dire le monde. Caillié, qui est pour Le Clézio « l’humble provincial, fils de galérien […] jeune paysan de la Saintonge » (né à Mauzé-sur-le-Mignon, Deux-Sèvres, mais en Aunis), n’était pas paysan, mais fils de boulangers. Son père devint bagnard l’année de sa naissance (accusé de vol, condamné pour douze ans comme forçat de bagne à l’arsenal de Rochefort – mais non rameurs de galère). Et puis, le discours colonialiste l’a récupéré pour fondateur d’empire, mais c’est un contresens ; Caillié n’a pas de visées coloniales.

Le Clézio insiste beaucoup sur la déception de l’explorateur entrant à Tombouctou : « René Caillié entra pour la première fois dans Tombouctou et vit que la cité mystérieuse n’était en fait qu’un rendez-vous de chameliers » (VAR, 40). Cela doit être nuancé, également.

Le titre actuel de l’édition disponible du récit de Caillié, Voyage à Tombouctou trahit l’esprit du texte original. En effet, Tombouctou n’est pas l’unique objectif du récit, dont le titre complet, nommant à égalité Djenné, faisait état d’« un » voyage « dans l’Afrique centrale » – celui de 1827-1828, précédé d’« observations » – celles de 1819, de 1824-1825, lesquelles occupent dans l’édition actuelle près de 180 pages sur presque 750, soit un bon quart. De fait, cela atténue les réticences de Jacques Berque à l’égard des pages consacrées à Tombouctou lorsqu’il avança que leur faible nombre (un chapitre sur vingt-sept) trahissait la déception du “découvreur” et une certaine indigence de ses observations, une description « courte et somme toute décevante ». Le Clézio est influencé par Berque. Or, le chapitre XXI portant sur les treize jours passés dans cette ville (un chapitre sur les vingt-et-un du voyage proprement dit), additionné de quelques pages antérieures et postérieures, totalise près de quarante pages (soit dix de plus que pour Djenné, où Caillié passa également treize journées et l’équivalent de ce qui est consacré au « beau pays » de Tiemé, où Caillié, malade, a séjourné cinq mois). Si l’on retire aussi la préface et quelques pages de fin, à Tanger alors que le voyage est terminé, cela donne une proportion fort différente : 1/14e et non 1/27e. Tombouctou n’est pas, dans le regard du voyageur, ni sous sa plume, sous-estimée, négligée, et son témoignage n’y est pas plus fragile qu’ailleurs.

Est-ce Caillié qui attend trop de cette cité mirifique, ou bien son avide lecteur, par anticipation fascinée envers « cette ville mystérieuse » ? Celui que Jacques Berque n’hésita pas à créditer d’avoir été l’homme qui « inventa en quelque sorte l’africanisme », ancêtre exigeant et curieux d’un Théodore Monod, qui l’admira chaleureusement, est donc heureusement présent dans l’œuvre de Le Clézio : il a alimenté son souvenir d’Afrique et son désir de désert.

Alain Quella-Villéger

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

CAILLIÉ, René, Journal d’un voyage à Temboctou et à Jenné, dans l’Afrique centrale, précédé d’observations faites chez les Maures Braknas, les Nalous et d’autres peuples ; pendant les années 1824, 1825, 1826, 1827, 1828, Paris, Impr. Royale, 1830, 3 vol. ; BERQUE, Jacques, préface à R. Caillié, Voyage à Tombouctou, édition au format de poche, texte seul, Maspéro, 1979, rééd. La Découverte, 1985 ; QUELLA-VILLÉGER, Alain, René Caillié, l’Africain. Une vie d’explorateur (1799-1838), Aubéron, 2012 ; BENOÎT, Pierre, L’Atlantide, Albin Michel, 1919 ; DAUDET, Alphonse, Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon, Dentu, 1872-1890 ; VERNE, Jules, Cinq semaines en ballon, Hetzel, 1865.

 

Gens des Nuages ; Voyage à Rodrigues.

DAVID

in Dictionnaire / by simon saliot
12 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

David est le protagoniste de la nouvelle éponyme qui clôt le recueil La Ronde et autres faits divers, publié en 1982. Après l’accident mortel de son père – qui portait le même prénom – et la fugue de son frère aîné, le petit garçon d’à peine neuf ans, David, mène une vie sous le signe de la pauvreté avec sa mère dans un appartement de la vieille ville. Il quitte le domicile afin d’aller rejoindre son frère disparu. La recherche du personnage de David se transforme en une quête d’appartenance et en une lutte contre l’argent qui soutient la vie citadine, pour s’estomper dans une tentative ​​ de s’emparer de l’argent de la caisse d’un magasin.

 

Typiquement mis en récit à la troisième personne du singulier, l’enfant leclézien partage sa perspective sur l’univers urbain, espace conçu par les adultes et où la créativité et l’imagination enfantines ont du mal à trouver leur place. À l’instar d’autres enfants lecléziens, le personnage de David est calqué sur une réinterprétation ironique de l’héros biblique David, troisième roi de la Monarchie unifiée d’Israël et Juda – ce qui ajoute une dimension tragique et quasi métaphysique au récit. Quand il a peur, le protagoniste leclézien pense au jeune berger et futur roi biblique David, dont l’histoire lui a été transmise oralement par sa mère et qui figure en filigrane tout au long de la nouvelle. Rappelons que selon la Bible hébraïque, le jeune berger David de la tribu de Juda, le plus jeune des fils de Jessé, est appelé aux côtés du roi Saül pour l’apaiser de ses chants. Il déroute les ennemis philistins en vainquant le géant Goliath à l’aide de sa fronde. Or, les géants à qui s’oppose le David leclézien sont ceux de l’urbanisme et du consumérisme, présents déjà dans Les Géants. À l’instar de son homonyme biblique, le personnage leclézien se prépare au combat en ramassant un galet plat sur le lit du rio sec qui parcourt la ville. Mais contre les géants modernes, il se montre pourtant inefficace : le jeune David est attrapé, et le galet tombe de sa main sur le sol du magasin : « le géant l’a vaincu … il ne sera pas roi … il ne retrouvera pas ce qu’il cherche. » (p. 244). L’intention de David n’est nullement de voler de l’argent, mais d’en détruire autant que possible. C’est la manifestation d’une nécessité intérieure de combattre l’argent, qu’il déteste et qu’il trouve sale et laid. Il finit par jeter les espèces par terre dans un geste de mépris.

 

Le vol d’argent va de pair avec un autre genre de vol, celui des nuages et des anges. Il associe leur bonheur à l’éloignement de la terre et « avec […] le silence, le grand silence, qu’on croirait descendu du ciel pour apaiser la terre » (p. 247), et qu’on trouve tôt le matin, avant le grondement des moteurs, des voix des hommes. David ressent leur présence comme « un passage de vent, très rapide et léger comme un souffle » (p. 249). Le vent devient un symbole de la qualité spirituelle du subconscient.

 

Dans son aspiration de rejoindre son frère Édouard, d’environ six ans son aîné, et dont le prénom d’origine germanique veut dire « celui qui garde les richesses », David désire atteindre la vraie richesse au-delà du trop-plein de la ville, à savoir la communauté humaine, voire l’utopie (Borgomano, 2004). Cependant, il a perdu son frère pour toujours, car adolescent, Édouard a quitté le monde magique de l’enfance. À un moment donné, David entre dans le centre commercial avec une famille à laquelle il rêve d’appartenir, mais devant l’incompréhension de la fille aînée qui refuse gentiment la pomme qu’il lui offre, il quitte le supermarché, les larmes aux yeux. Ce n’est que dans l’excipit que David trouve le chemin sans retour qui le mènera vers son frère. Le vol gâché se transforme ainsi en un rite de passage (Salles, 2007).

 

Le lit du rio sec à la marge de la ville, où coule à peine un mince filet d’eau, reste un des seuls milieux où David éprouve des moments d’apaisement. C’est là qu’il ramasse le galet pour sa lutte contre « les géants », c’est là que, dans un passé indéfini, il retrouve la bande de son frère en train de sniffer de la colle, manière artificielle et négative d’éprouver le tourbillon de vide dont la face positive est l’extase. Au matin, la brume qui monte du lit du fleuve fait disparaître la ville devant les yeux de David ; le gris, non-couleur par excellence, transforme l’espace en un non-lieu, une utopie. En ville, il rêve des esplanades sans fin, mais la seule étendue qu’il voit n’est que le carrelage de couleur rouge du magasin, comme si le sang des êtres humains victimes de la consommation s’était répandu sur le sol de l’édifice.

 

Finalement, le personnage de David rompt les liens humains et se dépouille de tout dans une aspiration à se rapprocher de l’existence à l’état pur, mais tout comme dans chacune des nouvelles du recueil, la fuite se heurte aux contingences du monde réel. David est au fond la victime de l’agression urbaine, d’une société devenue inhumaine, démesurée, aliénante et répressive.

 

 

Fredrik Westerlund

(2023)

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

 

ARRIENS, Astrid, J.M.G Le Clézio als Erzähler moderner Mythennovellen. Thèse de doctorat soutenue à Christian Albrechts-Universität, Kiel, 1992 ; BORGOMANO, Madeleine, « Le Voleur comme figure intertextuelle dans l’œuvre de J. M. G. Le Clézio »,  in J. M. G. Le Clézio, coord. Sophie Jollin-Bertocchi et Bruno Thibault, P.U. de Versailles, Éditions du Temps, 2004, p. 19-30. COENEN-MENNEMEIER, Brigitta, « Kind und Kosmos: J.M.G. Le Clézio als Geschichtenerzahler » in Die Neueren Sprachen 83: 2, April 1984, p. 122–145 ; GLAZOU, Joël, La Ronde et autres faits divers, J.M.G. Le Clézio, Parcours de lecture, Paris, Editions Bertrand Lacoste, 2001 ; LE CLÉZIO, Marguerite, « J.M.G. Le Clézio : ‘La Ronde et autres faits divers’ » in French Review, vol 56 no. 4, mars 1983, p. 667–668 ; MAURY, Pierre, « Le Clézio : Retour aux origines. », Entretien dans Magazine littéraire 230, aai 1986, p. 92-97 ; La SAINTE BIBLE, 1 S 17, notamment 1 S 17,40 ; SALLES, Marina, Le Clézio, « Peintre de la vie moderne », Paris, L’Harmattan, 2007.

 

VOYAGE À RODRIGUES

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
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DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
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QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
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VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
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CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
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MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
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CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
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MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

C’est en 1986 que J.-M.G. Le Clézio publie Voyage à Rodrigues, à la fois récit de voyage, roman familial et quête initiatique. Dans Voyage à Rodrigues, J.-M.G. Le Clézio fait revivre le mythique continent de la Lémurie. D’après les anciens, suivis par des savants et nombre de mythographes et amateurs de légende, aux origines, l’Australie, l’Inde, les Mascareignes à l’Est et l’Amérique du Sud à l’Ouest, épousant l’Afrique, formaient un continent qui s’est fracturé et dont les masses dérivantes ont engendré les continents existant aujourd’hui à la surface du globe. C’est à une terre qu’ils supposaient gigantesque pour faire contrepoids à la masse représentée par les terres de l’hémisphère nord, et en laquelle ils ont vu ou fantasmé un continent englouti, qu’ils ont successivement donné les noms de terra australis nondum cognita ou de Mu. Fin des voyages, fin des rêves, fin des mythes : Cook et Lapérouse font définitivement disparaître le continent austral. Celui-ci resurgit de manière quasi miraculeuse au siècle suivant grâce aux rêveries d’un forcené. En 1830, Slater ressuscite cette terre à laquelle il donne le nom de Lémurie. Dans son sillage, la Lémurie devient ce monde premier duquel seraient issues toutes les civilisations. D’où une pléthore d’ouvrages savants et érudits dont le chef-d’œuvre demeure sans nul doute Les Révélations du Grand Océan du Réunionnais Jules Hermann. Selon lui, la Lémurie formait un continent dont tous les habitants parlaient un même langage que les peuples des îles de l’Océan Indien et du Pacifique ont continué d’employer après la dislocation des plaques. En réécrivant l’histoire de ce continent, Hermann l’élève au rang de « berceau de l’humanité » et, par un renversement assez ironique, fait des Océaniens les ancêtres des Européens. C’est dans ce volume que nombre d’écrivains indianocéaniques – Robert-Edward Hart, Malcolm de Chazal et J.-M.G. Le Clézio – vont puiser une part de leur inspiration.

Ce sont en effet les Mascareignes, dont Rodrigues est la troisième des pointes émergées supposées du mythique continent, qui servent de cadre à ce Voyage à Rodrigues dont la Lémurie fait figure de véritable palimpseste en ce que sur elle viennent se greffer plusieurs histoires : celle du continent perdu, celle du grand-père de l’auteur et celle de J.-M.G. Le Clézio lui-même. Bien que le titre soit au singulier, c’est bien de voyages au pluriel et de voyageurs dont il est question, et dont l’auteur se fait l’historien. Parmi les rêveurs, utopistes et chercheurs d’or de passage sur l’île ou ayant louvoyé le long des rivages, Le Clézio mentionne Leguat, Misson, fondateur de l’utopique et éphémère République de Libertalia, Olivier Le Vasseur, dit La Buse, Pingré venu observer le passage de Vénus, le père Wolff, puis son grand-père, Léon Leclézio, qui, sa vie durant, épluchant les manuscrits, dressant des plans, marquant l’île de repères, traquant les empreintes, a recherché le fabuleux trésor du Privateer. C’est le récit de cette quête que livre l’auteur dans ces deux récits fondateurs de la ​​ mythologie insulaire et familiale leclézienne : Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues. Car plus que le trésor lui-même, ce sont les indices disséminés par le pirate La Buse que Léon Leclézio a employé le plus clair de son existence à rechercher et à déchiffrer. Aussi Voyage à Rodrigues se lit-il comme une chasse au trésor, une enquête. Le lecteur est embarqué dans le déchiffrement des signes, dans la quête du grand-père, puis dans celle de l’auteur qui cherche Le Comble du Commandeur, le ravin en cul de sac, la source tarie. À mesure que ses yeux s’accoutument au paysage, il voit, reconnaît, retrouve les chemins empruntés par son grand-père, les repères qu’il a dessinés, les traces qu’il a laissées. Revêtant diverses formes et permettant au narrateur de remonter le cours du temps, ces marques, omniprésentes, font de la vallée un langage que le narrateur cherche à déchiffrer à son tour : « Pourtant l’île me dit autre chose, elle me signifie autre chose que je ne peux encore saisir tout à fait » (VR, 78). Et ce, comme dans un dialogue à distance : « Maintenant, errant sur ses traces, en vain je cherche à percevoir ce qui lui parlait ici, à lui seul » (VR, 81). À l’instar de Jules Hermann, Léon Leclézio a également tenté de reconstituer la langue des origines et y a consacré sa vie, inventant sa légende qu’il transmet en laissant derrière lui un journal, un fascicule, une carte, des plans, des lettres, des schémas ainsi qu’un paysage criblé de cryptogrammes. Ces marques, signes et traces ne sont pas sans émouvoir profondément le narrateur : « Comment ne pas voir dans ce paysage désertique, façonné par le vent et par la pluie, imprégné de soleil, l’expression d’une volonté ? Message laissé par quelque géant terrestre, ou bien dessin de la destinée du monde […]. Signes du vent, de la pluie, du soleil, traces d’un ordre ancien, incompréhensible […] » (VR, 46). L’identification exige de la patience, le temps différant la reconnaissance. Mais le chercheur, quel que soit l’objet de sa quête, est toujours récompensé s’il persévère. C’est là l’une des leçons que Léon Leclézio a découvertes poinçonnées dans une roche : « Cherchez : » et qu’il transmet à son petit-fils dans un document, assorti du commentaire suivant : « sur quoi […] là trouverez que pensez » (VR, 107). Dans Voyage à Rodrigues comme dans Le Chercheur d’or, le palimpseste lémurien prend place dans la réappropriation de l’héritage et de l’histoire familiale, sur les pas de Léon Leclézio. Tout en reconstituant l’histoire de l’île, c’est l’histoire de sa famille que s’applique à retracer J.-M.G. Le Clézio en évoquant la perte par son grand-père, pour la poursuite de sa chimère, de la demeure familiale : « C’est la perte de cette maison qui, je crois, commence toute l’histoire, comme la fondation d’Euréka avait été l’aboutissement d’une autre histoire, celle qui avait conduit mon ancêtre François, au temps de la Révolution, du port de Lorient à l’Île de France. » (VR, 121). Toutes ces histoires qui se superposent fonctionnent comme autant de préhistoires dans la tentative de reconstruction de la généalogie familiale à laquelle se livrent le narrateur du Chercheur d’or et l’auteur du Voyage à Rodrigues : « La perte d’Euréka me concerne aussi, écrit J.-M.G. Le Clézio, puisque c’est à cela que je dois d’être né au loin, d’avoir grandi séparé de mes racines, dans ce sentiment d’étrangeté, d’inappartenance. » (VR, 122). Ainsi que l’observe justement Jean-Michel Racault : « portant en lui la mémoire d’un double exil, celui du départ pour la France de sa famille mauricienne, celui inverse de son ancêtre qui quitta jadis la Bretagne pour s’installer aux Mascareignes, [J.-M.G. Le Clézio] cherche par le retour au sein de l’île, en même temps qu’une révélation du secret inscrit dans le paysage, une réappropriation de sa généalogie et une résolution de l’éternelle dialectique de l’ici et de l’ailleurs, de l’Europe et de l’océan Indien. » (« Avertissement », 2007, 10).

 

Dominique Lanni

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Le Clézio, Jean-Marie Gustave, Voyage à Rodrigues, Paris, Gallimard, 1986. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997 ; Joubert, Jean-Louis, « Pour une exploration de la Lémurie. Une mythologie littéraire de l’Océan Indien » [in] Annuaire des Pays de l’Océan indien, III, 1976 ; Marimoutou, Jean-Claude Carpanin, « La Lémurie : un rêve, une langue » [in] Ailleurs imaginés, Cahiers du CRLH-CIRAOI, n°6, Paris, Didier-Erudition, 1990, p. 121-132 ; North-Coombes, Alfred, La Découverte des Mascareignes par les Arabes et les Portugais, Ile Maurice, 1979 ; Racault, Jean-Michel, « De l’ère des voyages à l’émergence d’une littérature : panorama introductif » [in] Mémoires du Grand Océan. Des Relations de voyages aux littératures francophones de l’océan Indien, Paris, PUPS, 2007, « Lettres francophones », p. 13-41 ; Racault, Jean-Michel, « L’Écriture des pierres : fiction généalogique et mémoire insulaire dans Le Chercheur d’or et Voyage à Rodrigues de Le Clézio » [in] Mémoires du Grand Océan. Des Relations de voyage aux littératures francophones de l’océan Indien, op.cit., p. 229-242 ; Ranaivoson, Didier, « Lémurie » [in] Battistini, Olivier, Poli, Jean-Dominique, Ronzeaud, Pierre, et Vincensini, Jean-Pierre, dirs., Dictionnaire des lieux mythiques, Paris, Robert Laffont, 2011, « Bouquins », p. 703-705 ; Ronzeaud, Pierre, L’Utopie hermaphrodite. La Terre Australe Connue (1676) de Gabriel de Foigny, Marseille, C.I.R. 17, 1992 ; Ronzeaud, Pierre, « Terre australe » [in] Battistini, Olivier, Poli, Jean-Dominique, Ronzeaud, Pierre, et Vincensini, Jean-Pierre, dirs., Dictionnaire des lieux mythiques, op.cit., p. 98-104 ; Toussaint, Auguste, Histoire de l’océan Indien, Paris, PUF, 1961, « Pays d’Outre-Mer ».

Chercheur d’or (Le) ; Libertalia.

 

« ROUE D’EAU (LA) »

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Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
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ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

La nouvelle « La roue d’eau » (publiée dans Mondo et autres histoires, 1978) raconte une journée dans la vie du jeune Juba, petit paysan qui vit en Algérie près de Cherchell et des ruines de l’antique cité de Yol, rebaptisée Caeserea par Juba II au premier siècle de notre ère. Cette histoire se déroule en trois parties dans un même lieu habité, à deux époques différentes, par ces deux personnages qui portent le même nom.

Dans la première partie, on voit le jeune Juba se lever avant le soleil, puis marcher vers la noria où il attelle les bœufs qui vont faire tourner la « roue d’eau ». Sur le chemin, il ramasse quelques fleurs d’acacia et les mâchonne : ce geste apparemment naturel et anodin le prépare à affronter la journée et, symboliquement, l’initie à la connaissance de la vérité, celle d’un mythe immémorial et universel, celui de la renaissance. Car au fur et à mesure que l’eau s’élève dans le puits, « le soleil s’élève lentement au-dessus de l’horizon » (LR, 153). Cette noria de l’eau est aussi noria du temps où chaque jour est une renaissance et répète le précédent en un cycle d’éternel retour, où chaque jour Juba répète les gestes de ses aïeux, accomplissant ainsi son travail d’homme, qui permet de cultiver la terre en harmonie avec l’eau et le soleil.

La partie centrale est un voyage dans le temps. Comme souvent chez J.-M.G. Le Clézio, un glissement narratif quasi imperceptible fait passer du présent au passé, du réel au rêve. Juba s’assoupit sous le soleil de midi et dans son rêve, il est transporté à Yol, à l’époque de Juba II, roi de Maurétanie et de son épouse Cléopâtre Séléné. Là aussi un glissement nominal fait passer de Juba le petit paysan au roi Juba II, « un jeune roi venu de l’autre côté de la mer et qui portait le même prénom que lui » (LR, 156). La référence à ce roi numide n’est pas pour J.-M.G. Le Clézio une simple recherche de vérité historique lorsqu’on sait que Pline l’Ancien dit de lui « qu’il était encore plus connu pour son savoir que pour son règne » et que son héritage culturel métissé (il a été élevé à Rome et est marié à Cléopâtre Séléné d’origine égyptienne et grecque) lui ont permis de jouer un rôle dans les échanges culturels et artistiques de son époque et de délivrer un message de tolérance. Juba II est donc un « roi sage » qui veut créer une ville « où l’on enseignera la philosophie, la science des chiffres […] » (LR, 160). Comment ne pas voir dans celui qui fut « emmené comme un esclave à Rome » puis est devenu roi, un modèle, un idéal pour Juba le petit paysan exploité dans un monde encore sous le poids du système colonial ? Comment ne pas voir dans ce rappel du passé historique une valeur culturelle d’identification et dans ces références au métissage et à l’interculturalité, la défense de valeurs chères à J.-M.G. Le Clézio dans le monde d’aujourd’hui ?

La troisième partie fait revenir au réel et au présent. Les ombres s’allongent, la lune prend la place du soleil, la roue d’eau s’arrête. Le cycle de l’eau et le cycle du temps sont accomplis, le travail de Juba aussi. Quelle vérité Juba a-t-il découverte au terme de cette journée ? Y-a-t-il un sens à ce cycle qui se répète indéfiniment ? À la fin de sa journée, en refaisant toujours les mêmes gestes, n’est-il pas à sa manière un nouveau Sisyphe, cet autre roi de légende qui a joué de ruse pour que les dieux accordent une source intarissable à sa ville de Corinthe et qui sera condamné à rouler chaque jour son rocher en haut d’une colline avant de le voir redescendre ? Comme Sisyphe donc, « il faut imaginer Juba heureux » quand il redescend de son « monticule de pierres » car il a « fait son métier d’homme » comme disait Camus qui célébrait ses « noces à Tipasa » en chantant le monde présent tout en contemplant les ruines, vestiges du passé glorieux des civilisations disparues. Ce rapprochement de pensée induit par le rapprochement géographique (Tipasa se situe à côté de Cherchell) n’est sûrement pas fortuit. Avant de retourner « vers les maisons où les vivants l’attendent » (LR, 164) le jeune Juba a fait aussi le détour par le passé et les morts. Sur le chemin du retour, il s’interroge : « Peut-être reste-t-il quelque part un monument en forme de tombeau, un dôme de pierres brisées […] » (LR, 164) qui évoque le mausolée construit à proximité de Tipasa par Juba II à la demande de sa femme Cléopâtre Séléné. C’est donc en passant devant les ruines des civilisations passées, celles de Yol, celles de Tipasa, devant le mausolée de Juba II et de Cléopâtre, que Juba acquiert savoir et sagesse et qu’il comprend que les hommes comme les civilisations sont mortels. Il a puisé dans le passé ce qui lui permet de vivre le présent. Il a compris que le futur sera identique au passé et au présent, « quand les grandes roues de bois recommenceront à tourner, quand les bœufs repartiront […] » (Ibid.), dans un éternel recommencement, une éternelle renaissance et que tout cela participe à l’équilibre du monde et de la nature.

Comme les sept autres histoires du recueil qui sont souvent proches du conte initiatique, cette nouvelle, qui part du présent pour plonger dans un passé historique, fait aussi appel aux symboles et aux mythes liés à l’eau et aux cycles naturels. Ainsi la quête de Juba renvoie à celle des autres personnages et fait de lui le frère de Jon (dans « La Montagne du dieu vivant »), de Gaspar (dans « Les Bergers »), de David Sinbad (dans « Celui qui n’avait jamais vu la mer »).

 

Joël Glaziou

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

LE CLÉZIO J.-M.G., Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, Folio n° 1365, 1982, (p. 147-164) ; MAROTIN, François, Mondo et autres histoires, Paris, Gallimard, Foliothèque n° 47, 1995, p. 65-72.

 

RÉVOLUTIONS

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Le troisième volet du cycle mauricien a après Le Chercheur d’or et La Quarantaine, Révolutions (2003) représente de plusieurs manières la « somme » de l’écriture leclézienne. Roman polyphonique, qui traverse les siècles et les continents, il mobilise une grande variété de voix narratives, d’histoires imbriquées et de types de narration: lettres, journaux de bords, histoires personnelles, cahiers intimes, rapports officiels. La représentation du langage ordinaire y est dominante mais laisse apparaître quelques fulgurances plus marquées littérairement, de manière ponctuelle.

Divisé en sept parties, le livre croise le récit d’apprentissage de Jean Marro, adolescent pendant la guerre d’Algérie, avec l’histoire épique de son ancêtre, Jean Eudes Marro, soldat dans l’armée de la Révolution française. Les deux itinéraires sont structurés autour du motif du voyage et du départ. Jean Marro, double fictionnel de l’auteur, est présenté dès le début comme un être solitaire qui étouffe au sein de sa famille et dans l’univers clos de Nice. Enfant, il rend visite à sa tante Catherine, dont les histoires orales de sa jeunesse à Rozilis nourrissent un imaginaire du voyage et déclenchent le mouvement de quête de ses racines perdues. À seize ans, il s’éveille à la réalité historique, aux violences de la Guerre d’Algérie, au racisme, à la sexualité. C’est à cette époque qu’il découvre la pensée présocratique qui marque une étape importante dans sa quête identitaire.

Toujours à la recherche de la réalité et d’une terre promise, fuyant une Guerre d’Algérie qui ne le concerne pas, il part étudier la médecine à Londres où il rencontre une population xénophobe en proie à de violents conflits entre les diverses communautés. Dans le quartier Elephant & Castle, il est confronté à la misère extrême de la vie des immigrants. Désireux d’aller plus loin dans cette exploration du réel, il s’installe au Mexique en 1968, l’année de la révolte étudiante. Il y découvre la pensée amérindienne et prend conscience de l’oppression culturelle et économique dont souffre la population indigène. Après la brutale charge policière contre les étudiants à Tatlelolco, il quitte Mexico. Son ultime voyage avec sa femme Mariam le conduit à l’île Maurice où il visite les sites de ses ancêtres qui lui révèlent le secret de Rozilis et de ses origines. La clausule du texte évoque le départ du couple vers un autre territoire et une promesse d’enfant.

Ce récit d’apprentissage de Jean Marro alterne avec le récit enchâssé de Jean Eudes. À dix-huit ans, le narrateur s’engage comme volontaire dans le régiment breton et, après avoir participé à la Bataille de Valmy, il rentre en Bretagne et trouve la région plongée dans la mi-sère et en proie à la terreur. Désabusé de la cause révolutionnaire, Jean Eudes s’embarque, en 1798, pour L’Isle de France dans l’espoir de commencer une nouvelle vie. Face à une société raciste où les esclaves sont réduits à l’état de bêtes, il quitte la capitale Port-Louis en 1824 pour s’installer à l’intérieur des terres où il fonde la maison de Rozilis, une sorte de Thébaïde régie par les idéaux de la Révolution française. Le récit second intitulé « Kilwa », où l’esclave Kiambé raconte son viol initial au Mozambique, son voyage à Maurice, sa vente, son marronnage, puis son affranchissement illustre très concrètement les horreurs du système esclavagiste combattu par Jean-Eudes Marro, dont le récit s’inspire de l’histoire réelle de l’ancêtre François-Alexis Le Clézio.  

 

La vision de l’histoire : la structure en échos

 

L’imbrication des deux strates narratives appelle une lecture paradigmatique où chaque plan fictionnel trouve son écho à un autre niveau du discours romanesque (Salles, 2006 ; Cavallero, 2009). Le lecteur est frappé par la répétition incessante des mêmes images, des mêmes configurations narratives, par une composition qui renvoie au Boléro de Maurice Ravel, œuvre à laquelle le texte fait référence (R, 415). Un parallèle s’établit, par exemple, entre la Guerre d’Algérie et la Révolution française, entre les conflits liés à la décolonisation au vingtième siècle et les conquêtes coloniales du dix-huitième siècle, entre les révolutions étudiantes de mai 68 en France et d’octobre 68 à Mexico, entre la répression de cette dernière et le massacre des Indiens par les Conquistadores à Tenochtitlan et Tlatelolco. On pourrait aussi mettre en regard le cahier où Jean Marro consigne les communiqués de presse sur la Guerre d’Algérie et les nautoscopies de Jean Eudes qui notent les mouvements de bateaux dans l’Océan indien, témoins de l’histoire mouvementée de la région. Et ce sont la pauvreté, l’oppression culturelle et l’esclavage qui caractérisent à la fois les populations colonisées du passé et les populations migrantes des États modernes. De même, des similitudes apparaissent au niveau des itinéraires des personnages dans leur lutte contre l’injustice et le nationalisme et dans la recherche de leurs racines multiples.

Cette structure en échos, la persistance de la violence et du racisme à travers les siècles, suggèrent non seulement une dénonciation du colonialisme européen mais aussi une mise en cause du concept même de progrès historique lié à un oubli du passé. L’ancrage historique des deux strates narratives dominantes, l’importance accordée aux victimes de l’Histoire peuvent être envisagés comme une critique des idéologies européennes fondées sur le concept d’identité-nation ou de racine unique et sur un rejet de la différence culturelle. Le narrateur conteste le langage abstrait qui sous-tend ces idéologies en privilégiant les approches non dualistes propres aux pensées présocratique et amérindienne. Le rejet de l’Autre est associé à la poursuite de valeurs purement conceptuelles, à une séparation entre le langage et la réalité vécue. Le texte critique, par exemple, l’égocentrisme et la xénophobie d’étudiants qui préparent le baccalauréat en philosophie (R, 141-142), (R, 151-52). Pour Jean Marro, en revanche, le langage représente une force matérielle qui le lie au monde et au cosmos (R, 201-202).

Par l’incarnation, dans des situations concrètes, des notions de métissage et d’interculturalité, l’auteur met en valeur ce qui unit les individus et les cultures différentes. Plusieurs critiques ont examiné les liens entre le roman et la pensée d’Édouard Glissant en développant les concepts d’identité-rhizome, de Relation et de créolisation (Salles, Martin, Van Der Drift).

 

La quête des origines : un récit d’initiation

 

Comme le constate Bruno Thibault, le parcours identitaire de Jean Marro peut être vu comme une quête initiatique dont le but serait de revivre l’histoire de ses ancêtres : à la fin du texte, le protagoniste revient à la terre de ses aïeux et il se fond avec les figures de Jean Eudes et de Catherine. L’île devient ainsi le lieu d’une découverte de ses racines pluri-elles. C’est une structure cyclique qui met en avant le rôle initiatique de la pensée pré-socratique évoquée par la citation de Parménide: « Et pour moi, c’est tout un là où je commence, car là je retournerai » (R, 100 ; R, 526).

L’identification avec les ancêtres est présentée comme un retour au temps de l’origine, un regressus ad uterum, symbolisé par l’acte de plonger dans l’eau du bassin (R, 544), suivi d’une renaissance symbolique. Le même trajet de retour et de renouvellement caractérise l’union sexuelle, présentée comme l’expérience de la liberté absolue (R, 527). Mais comme le soulignent Marina Salles et Claude Cavallero, Révolutions, à l’instar de beaucoup de romans lecléziens, offre une fin ouverte : pour Jean et Mariam, la plongée dans le passé n’est pas l’expression d’une nostalgie, mais le détour nécessaire pour un élan nouveau, le point de départ d’un voyage jamais achevé vers le réel et vers soi.

 

La mémoire

 

Les thèmes de la mémoire intergénérationelle et de la transmission de l’héritage culturel s’incarnent dans le personnage de la tante Catherine, présentée comme « le dernier témoin, la mémoire de Rozilis » (R, 107). C’est Jean qu’elle a choisi comme dépositaire de sa mémoire, c’est à lui de faire revivre l’histoire de ses ancêtres. La transmission est liée au thème de la métempsycose, à celui d’une révolution des âmes : « C’est lui qui est en toi, qui est revenu pour vivre en toi, dans ta vie, dans ta pensée. Il parle en toi » (R, 53-54). Soulignons ce paradoxe d’une mémoire du corps qui brise les frontières entre le passé et le présent, entre l’être et le monde matériel et qui, alors qu’elle lie à l’espace des origines, est aussi une force créatrice, performative, orientée vers le futur.

La lutte contre l’oubli devient un motif central du livre : les histoires de Catherine, enchaînées en spirale, sont répétées en cycle, quand sa mémoire s’affaiblit, c’est Jean qui assume le rôle du conteur. On note également le rôle central de transmission de la mémoire intergénérationnelle dans l’histoire de Kiambé.

Au niveau structural, l’entrelacement des récits, la mise en relation d’une multiplicité de mémoires mettent en lumière l’importance de la mémoire de L’Autre dans la quête identitaire et dans la résistance à l’injustice. Il s’agit donc d’une mémoire à la fois individuelle et collective. Le déroulement initiatique des parcours narratifs des protagonistes illustre le rôle fondamental de l’héritage culturel et de la mémoire du texte, oral ou écrit, dans cette lutte contre l’oubli et dans la recherche d’un monde meilleur.

 

Bronwen Martin

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ANOUN, Abdelhaq, J.-M.G. Le Clézio, Révolutions ou l’appel intérieur des origines, Paris, L’Harmattan, 2005 ; BALINT-BABOS, Adina, « Le rituel de La Kataviva dans Révolutions », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, n° 1, Paris, Complicités, p. 115-129 ; CAVALLERO, Claude, Le Clézio témoin du monde, Paris, Calliopées, 2009 ; LE CLÉZO, J.-M.G. Révolutions, Paris, Gallimard, 2003 ; MARTIN, Bronwen, The Fiction of J.-M.G. Le Clézio : A Postcolonial Reading, Oxford, Peter Lang, 2012 ; SALLES, Marina, Le Clézio, Notre contemporain, PUR, 2006 ; Le Clézio, « Peintre de la vie moderne », Paris, L’Harmattan, 2007 ; « Formes de métissage et métissage des formes dans Révolutions de J.-M.G. Le Clézio », Littérature française contemporaine, The Edwin Mellen Press, 2008, p. 79-92 ; SOHY, Christelle, « La représentation de l’esclavage dans Révolutions », Les Cahiers J.-M.G. Le Clézio, n° 3-4, Paris, Complicités, p. 201-213 ; THIBAULT, Bruno, J.-M.G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam/New York, Rodopi, 2009 ; VAN DER DRIFT, Martha, « Révolutions : La mémoire comme espace de ’ Relation ’ », Le Clézio, Glissant, Segalen : la quête comme déconstruction de l’aventure, Université de Savoie, 2011, p. 89-96.

Alexis ; Chercheur d’or (Le) ; Île Maurice.

QUARANTAINE (LA)

in Dictionnaire / by simon saliot
11 juin 2016
Avant-propos
Oeuvres
Romans
AFRICAIN (L')
ALMA
CHERCHEUR D’OR (LE)
DÉSERT
DIEGO ET FRIDA
ÉTOILE ERRANTE
GÉANTS (LES)
GENS DES NUAGES
GUERRE (LA)
ONITSHA
OURANIA
PROCÈS VERBAL (LE)
QUARANTAINE (LA)
RAGA : APPROCHE DU CONTINENT INVISIBLE
RÉVOLUTIONS
TERRA AMATA
VOYAGE À RODRIGUES
Nouvelles et textes brefs
« AMOUR SECRET »
« ANGOLI MALA »
« ARBRE YAMA (L') »
« ARIANE »
« CHANSON BRETONNE »
suivi de « ENFANT ET LA GUERRE (L’) »
« ÉCHAPPÉ (L’) »
« FANTÔMES DANS LA RUE »
« GÉNIE DATURA (LE) »
« GRANDE VIE (LA) »
« HAZARAN »
« IL ME SEMBLE QUE LE BATEAU SE DIRIGE VERS L’ÎLE »
« L.E.L., DERNIERS JOURS »
« MARTIN »
« MOLOCH »
« ORLAMONDE »
« PASSEUR (LE) »
« PAWANA »
« PEUPLE DU CIEL »
« RONDE (LA) »
« ROUE D’EAU (LA) »
« SAISON DES PLUIES (LA) »
« TEMPÊTE »
« TRÉSOR »
« VILLA AURORE »
« ZINNA »
Essais
EXTASE MATÉRIELLE (L')
FLOT DE LA POÉSIE CONTINUERA DE COULER (LE)
HAÏ
INCONNU SUR LA TERRE (L’)
PROPHÉTIES DU CHILAM BALAM (LES)
RÊVE MEXICAIN (LE)
SISMOGRAPHE (LE)
Personnages
Fictifs
ADAM POLLO
ALEXIS
ANTOINE
DAVID
FINTAN
JADI
Personnes réelles
BARRAGÁN (LUIS)
BAUDELAIRE
CAILLIÉ (RENÉ)
CHAZAL (DE) MALCOLM
DARWICH MAHMOUD
HUMBOLDT (VON) ALEXANDER
FRIDA KAHLO
LETITIA ELIZABETH LANDON (L.E.L.)
LONGFELLOW
MA EL AÏNINE
MALINCHE (LA)
MENCHÙ RIGOBERTA
RATSITATANE
RULFO (JUAN)
SENGHOR, L.S.
Lieux
Afrique
CHAGOS (ARCHIPEL DES)
CHAGOS (ARCHIPEL DES) MàJ 2022
COLLÈGE ROYAL DE CUREPIPE (LE)
EURÉKA
MAURICE (ÎLE)
MORNE (LE)
NIGER (FLEUVE)
PLATE (ÎLE)
RODRIGUES (ÎLE)
SAGUIA EL HAMRA
Amérique
CHIAPAS (LE)
MEDELLÍN
MEXICO
PACHACAMAC
VOLCAN PARICUTIN
Asie
SÉOUL
Europe
Nice
Lexique
BIAFRA (GUERRE DU)
CANNE À SUCRE
CHAUVE-SOURIS
CIPAYES (RÉVOLTE DES)
COSTUMBRISME
CRISTEROS (GUERRE DES) OU CHRISTIADE
DODO (LE)
ÉCOLOGIE
FLORE (Maurice)
HINDOUISME
LANGAGE DES OISEAUX (LE)
LANGUE BRETONNE
LOUVRE (LE)
MURALISME
OISEAUX (MAURICE)
PROSE POÉTIQUE
SAINT-AUBIN-DU-CORMIER (BATAILLE DE)
SANDUNGA
SIRANDANE
SOUFISME
Bibliographie et abréviations
Auteurs

Orchestration de voix, de rythmes musicaux et de poésie, roman polyphonique, La Quarantaine fascine par ses résonances autobiographiques, la complexité de sa situation narrative et la richesse de son tissage intertextuel. Paru après Le Chercheur d’or (1985) et Voyage à Rodrigues (1986), avant Révolutions (2003) et Ritournelle de la faim (2003), ce texte, publié chez Gallimard en 1995, se rattache à ce que la critique leclézienne désigne par « cycle mauricien » qui marque l’infléchissement autobiographique de l’œuvre.

 

Traces et brouillages de l’autobiographie

 

Ce roman a en effet pour toile de fond l’histoire familiale et les origines mauriciennes de l’écrivain : l’installation de l’ancêtre fondateur, François-Alexis, à l’Isle de France en 1794, l’achat de la maison Euréka par son fils Jules-Eugène Alexis en 1856, la perte, en 1920, du domaine familial par la branche d’Eugène, grand-père de J.-M.G. Le Clézio. Ce déracinement hante la pensée leclézienne et revient en spirale tout au long de sa production, ce dont témoigne la projection de la maison mythique dans ses textes sous différents noms : le Boucan (CO), Anna (Q), Rozilis (R), XAPIΣMA (M), Alma (RF). Il faut souligner l’effet de « diptyque » (Bernabé-Gil, 2006, 88-98) entre Le Chercheur d’or, qui met en scène le grand-père paternel Léon et sa quête du trésor, et La Quarantaine qui raconte l’aventure de l’arraisonnement à l’île Plate survenue au grand-père maternel (Alexis) en 1891. Le Clézio brouille ainsi les pistes autobiographiques dans ces deux textes en inversant les prénoms : Léon Le Clézio sert de modèle à Alexis Létang dans Le Chercheur d’or, Alexis devient Jacques dans La Quarantaine, et c’est son frère qui porte le prénom du grand-père.

Le sujet de La Quarantaine est le voyage du retour, en 1891, de deux frères, Jacques et Léon Archambau, exilés en France, vers la propriété familiale (Anna) à l’île Maurice où Jacques a passé son enfance et que Léon ne connaît pas encore. Mais une épidémie de variole entraîne la mise en quarantaine des passagers du bateau sur l’île Plate et le récit de voyage se transforme en un huis clos dramatique qui met en scène l’attente angoissée de ces « prisonniers », les dissensions entre communautés, les ravages de la maladie, les morts… Sur le plan du rapport avec la réalité, le roman entrecroise deux événements historiques réels : la première quarantaine à Plate, en 1856, des passagers de l’Hydaree qui amenait la main-d’œuvre des coolies de l’Inde (c’est sur ce bateau que sont arrivées Ananta et Giribala, fuyant la révolte des Sepoys) ; le deuxième événement historique est la grande épidémie de variole de 1891 pendant laquelle l’île Plate fut également centre de quarantaine. La Quarantaine amorce la décoloration du « roman familial » que poursuit Ritournelle de la faim. Le retour des deux frères à l’île des origines n’aura de fait pas lieu et Léon, narrateur et protagoniste du récit central, se désolidarise des valeurs et de la puissance coloniale incarnées par sa famille pour partir avec Suryavati, la jeune intouchable qui l’initie à la mythologie hindoue, lui permettant ainsi de trouver sa véritable identité.

Une opposition s’établit donc à l’intérieur du texte et marque une fonction éminemment idéologique. D’une part, l’Histoire est figurée par le temps de l’enfance heureuse de Jacques au temps de la colonisation, par Alexandre Archambau, le Patriarche, responsable de la ruine de la famille, qui personnifie l’ordre et l’Autorité dans le système politique singulier et injuste de l’île Maurice – la Synarchie – , et par la tragédie des immigrants indiens que les autorités mauriciennes abandonnent à l’île Plate. D’autre part, l’histoire personnelle de Léon, qui se rebelle contre la séparation entre les Occidentaux et les Indiens en traversant la frontière imaginaire établie par les figures d’Autorité (tel le ridicule Véran de Véreux), pénètre dans le monde de Suryavati et valorise ainsi le domaine marginal des parias, les derniers dans le système des castes hindoues.

 

Un roman polyphonique

 

La Quarantaine présente une trame narrative rendue complexe par l’entrecroisement des voix narratives. Le premier et le quatrième chapitres – Le voyageur sans fin et Anna – composent le « récit-cadre » qui ouvre et ferme le roman et raconte le voyage à l’île Maurice du narrateur, Léon le descendant, sur les traces de ses ancêtres : un voyage qui signifie le retour à l’origine. Au premier chapitre, Léon arpente les rues de Paris, se remémore sa généalogie, la rencontre de son grand-père Jacques avec Rimbaud, « voyageur sans fin ». Au quatrième chapitre, il narre son séjour à Maurice, les entretiens avec Anna, sa tante, assimilée par son nom à la maison rêvée, et le parcours qu’il réalise à la recherche du temps perdu. La fin du voyage et du journal qui constitue ce « récit-cadre » relate le parcours de Léon dans les lieux de Marseille fréquentés par Rimbaud avant sa mort, et où il évoque la disparition de ses ancêtres : les deux villes, Paris, Marseille, faisant ainsi office d’écrins de la mémoire où se tissent les souvenirs intimes et la figure du poète.

Au deuxième chapitre, « L’empoisonneur », consacré au début du voyage de ses grands-parents, Léon, le narrateur, s’efface, mais les expressions récurrentes « je pense » ou « j’imagine » laissent entrevoir sa présence en filigrane et marquent la transition du journal avec la fiction romanesque du troisième chapitre. L’écrivain crée ici un récit de voyages singulier, car si la forme « journal de bord » implique un ordre chronologique et des localisations spatiales, nous sommes en fait en présence de notations imprécises qui cachent un désordre temporel, illustré par diverses analepses. Ce jeu dévoile la dimension symbolique et mythique du roman, annoncée par l’épigraphe extraite du Baghavat Purana.

Le troisième chapitre, précisément intitulé La quarantaine, représente le roman dans le roman, une « métalepse » (Dällenbach, 121) qui s’érige en récit autonome. Mise en abyme orientée vers le passé diégétique, ce roman dans le roman équivaut au « rêve » (Q, 438) du narrateur premier : s’identifier à « […] l’autre Léon, celui qui a disparu » (Q, 20). Les récits des deux « Léons » établissent un dialogue intertextuel entre les différentes parties du texte. D’autres voix se laissent entendre dans ce roman ponctué d’extraits du journal du botaniste John Metcalfe, l’homme de science, dont la voix porte une parole concrète et constructive dans ce monde de violence et d’irrationalité qui exacerbe les tensions et la ségrégation entre toutes les communautés présentes sur l’île. La Yamuna, récit enchâssé de la vie et des origines mystérieuses de celle que Léon nomme Suryavati (Force du soleil), ouvre par la polyphonie une perspective temporelle. La mère et la grand-mère de la jeune fille ont traversé le fleuve sacré des Indes, une aventure chargée d’épreuves initiatiques et de rituels qui les conduit jusqu’à « l’île miracle » (Q, 331). Le récit de cette épopée adopte une typographie différente, tout comme la « geste » des hommes bleus de Désert ou la quête de Geoffroy dans Onitsha, un procédé qui peut signaler « la présence de quelques aspects de l’altérité » (Jarlsbo, 12). À la voix de Jacques évoquant le temps mythique de sa jeunesse à l’île Maurice, s’ajoute celle de Suzanne récitant les poèmes de Baudelaire, de Longfellow* et surtout de Rimbaud, figure tutélaire du roman.

 

Un roman sous le signe de Rimbaud

 

Rimbaud, le poète maudit et marginal, est identifié à l’ancêtre disparu et au narrateur, cet autre « voyageur sans fin » qui, lorsqu’il marche sur les pas de l’un, retrouve les images de l’autre. La première rencontre de Jacques avec Rimbaud se répète d’une manière obsédante ; l’énigmatique incipit du roman présente l’image du poète au seuil du restaurant, une image – transmise par Jacques – que Léon conserve en mémoire telle une photographie. La deuxième rencontre avec Rimbaud se produit pendant l’escale à Aden ; Rimbaud est alors le moribond « empoisonneur » des chiens faméliques qui errent dans la ville. Cet épisode a son écho à la fin du roman puisque la tante Anna empoisonne aussi les chiens abandonnés.

Après cette deuxième rencontre, Rimbaud disparaît comme actant, mais il est présent par les citations du « Bateau ivre » que récitent Léon et Suzanne. Les vers de ce poème de la révolte, de la quête d’aventure et d’absolu, de la désillusion aussi, font de Léon, le disparu, le reflet du référent mythique, le poète maudit à la recherche de son identité. Sa quête s’effectue par le voyage en mer au bord de l’Ava, évocateur de celui de Rimbaud. Mais l’image récurrente du « bateau ivre » se dilue peu à peu dans la figure dégradée du « radeau » à la dérive (Q, 471) jusqu’à sa disparition complète, à l’instar des personnages : « Il me semble que même les mots violents de l’homme d’Aden ont disparu dans le ciel, ils ont été emportés par le vent et perdus dans la mer » (Q, 409).

La poésie représente ainsi l’un des fils conducteurs essentiels pour l’interprétation du texte. Le poète devient un mythe ou un « contre-mythe » auquel l’ancêtre légendaire est assimilé par son caractère rebelle et marginal. Le motif rimbaldien place le roman sous le signe du voyage, de la révolte absolue et de la poésie, et il introduit symboliquement un signe de la dégradation du mythe – déjà présente dans les deux images contrastées du Rimbaud jeune, violent, exigeant : celui des Poésies, du « Bateau ivre », et de l’homme d’Aden, aigri, malade – qui contamine en quelque sorte tout le roman.

 

Maria Luisa Bernabé

 

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :

BERNABÉ-GIL, Maria Luisa Narración y mito : dimensiones del viaje en Le Chercheur d’or y La Quarantaine de J.-M.G. Le Clézio, Granada, Editorial Universidad de Granada, 2006 ; La Quarantaine de J.-M.G. Le Clézio. Una novela del tiempo, Granada, Comares, 2007 ; DÄLLENBACH, Lucien. Le récit spéculaire, Paris, Seuil (1977) ; JARLSBO, Jeana, Écriture et altérité dans trois romans de J.- M. G. Le Clézio : Désert, Onitsha et La Quarantaine. Lund, Études romanes de Lund 66, 2003 ; LE CLÉZIO, J.-M.G., La Quarantaine, Paris, Gallimard, 1995 ; SALLES, Marina, Le Clézio, Notre contemporain, PUR, 2006 ; THIBAULT, Bruno, J.-M.G. Le Clézio et la métaphore exotique, Amsterdam/New York, Rodopi, 2009 ; VAN ACKER, Isa, Carnets de doute. Variantes romanesques du voyage chez J.-M.G. Le Clézio, Amsterdam / New York, Rodopi, 2008.

Cipayes (révolte des) ; Hindouisme ; Île Maurice ; Île Plate ; Longfellow ; Rimbaud ; Suryavati.

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